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© Rémi Sourice
19 décembre 2023

Scuffles, les hooligans qui faisaient de la ‘techno bas du front’|INTERVIEW

par Léa Formentel

Après avoir fait l’éloge de leur dernier EP en date, Chromé total, dans le Tsugi n° 166, on en voulait encore. On s’est donc entretenu avec les deux Angevins de Scuffles. On a parlé de leur dernier projet donc, de leur nouvelle manière de composer, des potentielles collaborations et des personnages au style « hooligan tuning » qu’ils affichent sur scène.

 

Contents d’avoir sorti votre projet ?

Thomas : Carrément. Ça fait un an qu’on a enregistré l’EP.

Manuel : En fait on l’a enregistré sur le temps long, sur des sessions d’un jour ou deux. On n’a pas fait un bloc de quinze jours, par exemple, donc le processus d’enregistrement était assez long. C’est cool de le sortir enfin, parce que ça fait effectivement longtemps qu’on a les morceaux.

 

Habituellement, vous composez de cette manière ?

Manuel : Non. Sur cet EP-là, on a bossé avec Pierre et Simon, qui sont ex-membres du groupe Inüït basés en région nantaise. Ils bossent avec plein de monde varié, notamment Zaho de Sagazan. Simon est aussi le batteur d’Adé. C’était la première fois qu’on bossait avec des gens extérieurs, en tout cas pour la partie réelle. Eux, ils avaient un peu plus une « culture du synthé ». Nous on vient du rock au sens large, même si on fait de la musique électronique.

Thomas : Et leur studio ressemble un peu à un décor spatial. Donc on était dans notre petit vaisseau, avec plein de synthés analogiques à l’ancienne (et des récents aussi). On n’avait pas du tout l’habitude de travailler avec de gros synthés analogiques, normalement c’était surtout des VST, ce genre de choses. Dans leur studio, il y a à peine un ampli de guitare qui fonctionne, par contre il y a cinquante synthés dont la moitié, tu ne sais même pas ce que c’est… On a complètement renversé notre façon habituelle de faire, ça ouvrait des choses un peu différentes, ce qui est bien.

 

J’ai lu pourtant, que Chromé Total avait été écrit en quelques nuits…

Manuel : Oui en fait, on arrivait avec une matière brute à chaque fois. Et les séances de compo c’est souvent très tard, avec des bières quoi…

Thomas : Effectivement, pour la plupart des chansons on amenait des démos, enregistrées avec nos petits doigts sur une carte son, sans préampli. On arrivait avec cette matière brute chez eux et on réenregistrait avec de chouettes sons, des idées un peu farfelues niveau production.

 

En parlant de lire, sur Bandcamp, dans l’encadré de la bio vous avez mis « résolument frontal voire même bas du front« . Est-ce que vous pouvez m’expliquer ?

Manuel : Ah, ça fait longtemps qu’on n’a pas changé la bio Bandcamp, faudra peut-être qu’on le mette à jour ! (rires)

Thomas : C’était un peu la manière de faire au départ. Même si on est toujours dedans, c’est avant tout un projet de teuf.

 

C’était votre manière d’aborder la musique en 2019 ?

Thomas : C’est toujours d’actualité, en réalité. On ne prend pas hyper au sérieux la musique qu’on fait, mais on la fait sérieusement.

Manuel : Je pense qu’il y a un temps pour tout. En tant qu’auditeur, il y a des fois où tu as envie de choses hyper alambiquées, intellectuelles. Et parfois tu as juste envie de taper la tête contre le caisson : nous, on a envie d’être ce groupe-là. C’est ni un renoncement ni un aveu d’échec, c’est une façon de faire la musique parmi les autres. Au départ avec Thomas on faisait du punk, quelque chose d’assez simpliste mais pas dans le mauvais sens. Juste un peu binaire.

 

D’ailleurs au début de votre carrière, vous écriviez plutôt en anglais. Vous êtes maintenant passés au français. Pourquoi ce changement ?

Thomas : Disons qu’à l’époque, la manière d’écrire des textes était assez simpliste. C’est toujours le cas, mais malgré tout, on n’est pas parfaitement bilingues et je pense que pour pouvoir mettre un minimum de sens dans les propos, il faut assurer. On ne se sentait pas forcément légitimes de continuer en anglais. C’était aussi un challenge de tester le français et on a bien kiffé.

Manuel : On l’a fait sur une première chanson qui s’appelle « Si joli.e« , sur le EP d’avant (Sur le bitume, 2021 ndlr). C’était un test et on s’est vraiment marré à le faire. Je trouve qu’en français, on va plus à l’essentiel en termes d’efficacité sur les parties scandées, des motifs identifiables, répétitifs… les choses sortent de façon plus limpide que si c’était en anglais.

 

Je trouve qu’aujourd’hui, écrire en français n’est pas toujours évident, selon le style. Sans risquer de tomber dans quelque chose de fade.

Manuel : Oui, c’est vrai. En ce qui nous concerne, on n’a pas vraiment de procédé d’écriture. Mais je trouve que c’était hyper intéressant de bosser en français, parce que la langue nous orientés au niveau des rythmiques, sur les placements, les refrains. Ça permet d’explorer. C’est une contrainte et à la fois un avantage.

Thomas : Oui, la musicalité de la langue amène des choses quasi tacitement, qui permet de prendre des directions.

 

Est-ce que votre approche de la musique a évolué depuis vos débuts en 2019 ?

Manuel : Bonne question, je ne sais pas.

Thomas : Pas sur les textes en tout cas. Sur les artistes en tant que tels, oui. Moi j’ai de plus en plus beaucoup continué à écouter de la musique électronique. De la hard techno notamment, c’est la grande mode. Sinon je ne vois pas, Manu ?

Manuel : Je ne crois pas que ça ait tant évolué. On évolue dans la musique qu’on fait, dans les lieux dans lesquels on la fait, mais la vision d’ensemble, je pense qu’on est toujours dans cette recherche de : ça doit nous faire marrer, faut que ce soit dans tous les cas soit bourrin, soit dansant et qu’il se passe quelque chose rythmiquement. On fait de la musique depuis qu’on a 14 ans avec Thomas, donc il y a toujours eu ce rapport soit à la danse, soit à l’humour et le rapport au live, surtout. Tout ça n’est un vaste prétexte pour faire des concerts en fait…

 

De quoi on parle, dans ses chansons quand le nom de son groupe veut dire ‘échauffourées’ ?

Thomas : C’est arrivé un peu comme ça, c’est sorti d’un buisson. On aurait pu s’appeler ‘tabouret’ je pense, ça aurait pu fonctionner. ‘Scuffles’ en anglais effectivement, parce qu’on chantait en anglais à la base. Et peut-être que si on avait commencé en français, ça aurait été un nom en français.

Manuel : Les premiers morceaux chantés en anglais, étaient quelque part autour de ces sujets de bagarre. Mais vraiment second degré, même sixième degré. Il y avait un espèce de lore « hooligan tuning ».

 

Scuffles

© Rémi Sourice

D’ailleurs, vous portez des costumes ?

Manuel : Ouais. À la base des vestes Adidas qui sont vendues dans le commerce. Mais on a une copine qui chante dans Michelle & les garçons, couturière de formation. On lui a confié les vestes Adidas et on lui a demandé de les rendre un peu plus « tuning ». Elle a mis ces espèces de bandes de tissus réfléchissant. Et à la lumière, on travaille avec copain qui s’éclate : que dès qu’il peut, il fait taper une lumière dedans, comme une ‘boule à facettes’. Donc oui c’est un costume sur-mesures, d’ailleurs il y en a eu trois. Pour le premier EP c’étaient des vestes Juventus/Bayern. Le deuxième c’était juste Adidas noir classique. Je pense qu’à chaque projet différent, on sortira des fringues différentes.

 

Je vois que l’aspect visuel est important pour vous. Avec ces ‘costumes’, c’est un rôle que vous voulez vous donner ?

Manuel : À fond parce qu’en live, comme on est juste deux et qu’il y a parfois des grosses scènes, il faut occuper l’espace. Et, ne serait-ce que d’avoir une tenue déjà ça remplit. C’est aussi un moyen d’apporter de la distance, dans le sens où ça renforce ce côté ‘personnage’. Dans notre tête c’est plus facile d’arriver et de faire le con, quand tu sais que tu n’es pas dans tes fringues de tous les jours.

 

Pour définir votre style, on dirait Garage/Techno ? Est-ce que vous diriez qu’il existe d’autres groupes du même style ?

Thomas : Si, si, c’est un peu transversal on va dire. Il y a plusieurs styles différents, un peu de post-punk, de sound pop.

Manuel : On a pas mal d’influences dans tout ce qui est 80’s. Par exemple Etienne Daho, je suis un fan d’Indochine… Moi je pense toujours à Rendez-vous. Par exemple une artiste que j’aime beaucoup en ce moment, c’est Eloi : il y a plein de styles qui se mélangent et je trouve que ce qu’elle fait est très cool. Une attitude punk et ça tabasse bien. Je pense qu’il y a un truc commun, c’est le côté très 80’s. Peut-être un peu moins sur celui-là (Chromé total, ndlr) que sur celui d’avant d’ailleurs, mais dans l’utilisation des mêmes effets de chorus, hyper 80. Après ça peut être Indochine, comme les Cure. Celui-là a ce côté électro un peu plus rave-ish, je dirais.

 

Votre EP pourtant, je trouve qu’il tabasse un peu plus que les autres, qu’est-ce que vous en pensez ?

Manuel : Je pense que ça a avoir avec la production.

Thomas : Le fait est qu’on se soit retrouvés dans un studio où il n’y a principalement que des synthés a pas mal joué aussi je pense, on a fait un peu avec ce qu’on avait sous la main aussi. Bien qu’on ait quand même enregistré, c’est anecdotique, mais des petits percus comme ça, à droite à gauche. Il y a un groupe qui m’a toujours influencé, c’est Contrefaçon par exemple, c’est pas de la hard techno non plus mais ça reste électro, qui tabasse un peu.

Manuel : C’est marrant que tu dises qu’il cogne plus que les précédents, parce que j’avais pas ce sentiment, mais quand j’y pense, oui carrément. En termes de production, avant notamment sur les lignes de basse c’était une vraie basse, là c’était différent puisqu’on avait que des synthés à dispo. D’un coup tu appuies sur une touche, ça t’arrache les boyaux et ça donne cet effet de violence alors qu’en réalité, c’est les mêmes notes et le même tempo. Donc je pense que ce n’est pas au niveau des compos mais plus du choix des sons. Des kicks qui sont peut-être un peu plus vilains, des basses qui tâchent un peu plus, ce genre de choses.

 

Est-ce que vous avez déjà pensé à faire des collaborations ?

Thomas : Moi j’adorerais.

Manuel : Ça pourrait être sympa, mais c’est un exercice qui n’est pas facile à faire parce qu’il y a très souvent la distance qui rentre en ligne de compte. Nous on a quand même besoin de voir les gens. Je crois que je serais plus chaud pour, soit être invité sur un projet, soit inviter des gens.

 

Vous penseriez hypothétiquement à quel type d’artiste ?

Thomas : Alors je sais pas, moi c’est plus pour la partie électronique pour le coup mais… ascendant vierge, ce serait marrant.

Manuel : J’aimerais quelque chose dans le style rap anglais, genre à la Sleaford Mods.

 

Quels sont les projets qui arrivent après ça ? Est-ce que vous allez sortir (enfin) un album ?

Thomas : On ne ferme pas la porte à la notion d’album. Rien n’est joué encore, alors on va continuer à produire d’autres volumes. Peut-être qu’on fera un album ou un espèce de format entre les deux.

Manuel : Après, la difficulté c’est que c’est de la musique bourrine. Avec un EP, tu peux écouter quatre chansons de suite, ça reste ‘digeste’. Si on fait un album et que, d’un coup on fait dix-douze morceaux… Soit on prend le parti de mettre un gros parpaing, soit il faut trouver un peu plus de relief. Je sais pas si pour l’instant, on a réussi à trouver ces moments d’accalmie. Des plages un peu plus longues, des BPM moins élevés, mais j’aimerais bien essayer. La moyenne des BPM c’était sur Chromé total, est autour de 170.

Thomas : Il y aura possiblement un quelque-chose qui sortira avant d’arriver à cette étape-là. Est-ce que c’est un EP ? Est-ce que c’est du single ? Il y a plusieurs possibilités.

 

Scuffles sera notamment en concert au Mazette le 24 janvier 2024.

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