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Anetha et Roni ©Julien Bernard/ ©DR
27 décembre 2022

Les DJs ont-ils une conscience écologique ?

par Jacques Simonian

Extrait du Tsugi numéro 154 (Octobre 2022)

Voyage aux quatre coins du globe à répétition, déplacements de foules… Le monde du deejaying n’est pas forcément compatible avec l’impératif écologique auquel nos sociétés sont soumises. Certains jeunes DJs français ont pourtant décidé de continuer à exercer leur activité tout en répondant à l’urgence climatique.

Au sein de l’écosystème de la musique électronique, ses acteurs, les DJs, sont fréquemment engloutis dans cette frénésie consumériste si caractéristique de notre époque. Pour assouvir les envies d’un public toujours plus demandeur, ou par peur de tomber dans l’oubli, voire le besoin, ces artistes sont prêts à faire de nombreux sacrifices, quitte à ce que leur santé mentale en souffre, que la planète en subisse les conséquences. Car dans ce paradigme qui unit les DJs et l’écologie, l’une des ébauches de solutions serait de lever le pied. Ralentir la cadence, certes, sans retomber dans l’immobilisme insupportable qu’ont imposé les précédents confinements. Face à cette urgence climatique qui se creuse au fil du temps, Anetha, Simo Cell, Roni et Mosimann envisagent chacun, à leur façon, de « mieux tourner ». Tous aspirent à un mode de travail — de vie aussi ? — plus sain et responsable, qui pourrait avoir un impact moindre sur l’environnement.

 

Simo Cell, l’art de la modération

Des pionniers cherchent depuis longtemps à faire évoluer les consciences collectives. DJs For Climate Action œuvre ainsi depuis 2011 à la création de ponts entre les musiques électroniques et l’environnement en produisant des événements ou du son. Pourtant, avant la terne année 2020, le sujet de l’écologie restait dans son ensemble boudé et l’industrie musicale dans sa presque globalité bottait en touche lorsque ces sujets se retrouvaient sur la table. L’une des premières détonations à retentir en France fut celle déclenchée par Simo Cell au mois de juin de cette même année. En prenant la parole dans une tribune chez Libération, le producteur sonnait l’alerte et proposait une sorte de manifeste du DJ écolo. À l’intérieur, il détaillait des « actions [qui s’articulaient] autour des thèmes du local et de la mobilité « . Parmi elles, il mettait un point d’honneur à minimiser au maximum les trajets en avion au profit du train ou encore à dynamiser les scènes locales en passant plus de temps sur place.


Deux ans après cette prise de parole, il se confie: « Au début, j’étais dans une attitude un peu radicale. L’idée n’était pas non plus de se renfermer sur soi-même. Nous faisons quand même des métiers de représentation. Je voulais amorcer une transition. Mais ce n’est pas binaire et ça ne se fait pas du jour au lendemain. Il faut donc y aller de manière transitoire, petit à petit décroître son empreinte, voir ce qu’on peut faire mieux, comment appliquer d’autres solutions. Il ne s’agit pas non plus de prôner une exemplarité utopique, mais de prendre le taureau par les cornes et de changer sa façon de faire quand on peut. » Bien que Simo Cell tienne dans la mesure du possible ses engagements et qu’il œuvre en parallèle avec des institutions comme le CNM (Centre National de la Musique) pour sensibiliser les gens, la réalité économique du secteur le rattrape parfois. Son statut d’intermittent du spectacle l’oblige à cumuler quarante dates sur une année. Une  » situation stressante et compliquée  » qui le contraint de temps à autre à faire quelques écarts. Mais pour lui, ne plus se lancer à corps perdu dans cette course effrénée aux gigs n’est finalement pas une si mauvaise entreprise. En plus de réduire ses émissions, ce ralentissement « réhumanise la profession » et fait ressentir à nouveau pleinement ce « plaisir de jouer « . Deux choses simples dont il se satisfait, qui lui permettent d’atteindre une forme de quiétude.

 

 

 

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Les commandements de Mama Loves Ya

Peu de temps après Simo Cell, Anetha, lorsqu’elle a lancé son agence Mama Loves Ya en fin d’année 2020, a également érigé l’écologie au rang de priorité. L’envie de créer la petite sœur de son label Mama Told Ya s’est manifestée à la suite d’une forte volonté de changement. « Un des déclics a été d’essayer de reproduire ce qu’on avait fait avec Anetha ces dernières années. Construire une carrière sur du long terme et pas être un feu follet qui va se cramer au bout de trois ans « , précise Jules, l’un de ses proches collaborateurs. « Naturellement, l’aspect écologie corrélait avec ce souhait de bien tourner et d’être bien aussi avec soi-même, renchérit Anetha. À un moment donné, je me suis rendu compte que je n’avais plus envie de fonctionner comme je le faisais. De facto, ça rejoint le côté écologique : comment pourrait-on donner un peu plus de sens à tout ça? » Afin de répondre à cette interrogation, Anetha et son équipe se sont directement associés à Greenly, une société qui fournit à chacun des outils pour accélérer la transition énergétique. « L’idée était de bosser avec eux pour calculer toutes nos émissions et qu’ils observent toutes nos dépenses. C’était primordial pour ensuite voir sur quoi on pouvait s’améliorer, reprend Jules. On savait évidemment qu’il y avait l’avion, mais aussi probablement d’autres leviers et des choses plus indirectes, qui paraissent plus faciles à faire dans un premier temps. C’est le cas de la partie label, qui représente 20% de nos dépenses totales. » Dans ce cas précis, qui englobe le merchandising et les vinyles, Anetha et ses collègues ont opté pour des matériaux 100% recyclables. Un choix qui a un coût et qui les oblige à faire des efforts sur les marges et les prix de vente. En ce qui concerne le reste, Mama Loves Ya a accouché d’une charte de dix commandements, portant presque chacun une dimension écologique. Une démarche écoresponsable qui complète celle de Simo Cell. L’objectif à terme est que ces derniers puissent vivre de leur passion et ainsi faire rayonner les valeurs de l’agence.


Roni et Baudelaire, même combat

Tout en respectant les mêmes engagements pratiques que ses collègues, Roni adopte une posture baudelairienne. Comme dans Le Confiteor de l’artiste, la créatrice du label Nehza Records cherche à sensibiliser ses auditeurs sur la beauté du monde qui les entoure. « La situation est déjà très anxiogène, lance la DJ. On tend vers quelque chose où tout ce qui est digital, artificiel sur scène, est extrêmement mis en valeur, car ce sont des esthétiques futuristes qui appellent à l’évolution. Mais, au-delà de cette plastique, le message derrière n’est pas forcément toujours facile.  » À l’inverse, celui que défendent les membres de Nehza Records est clair et net: « La nature n’est pas obsolète.  » Un mantra que ces artistes chérissent, soit à plusieurs, à l’image de la compilation Transnaturel (2022), soit en solo, comme Wanton Witch l’a fait lors du clip de son titre « Tanah-Tani ». Dans sa quête de diffusion du beau, Roni mise beaucoup sur ce que ses créations racontent. Selon elle, l’utilisation de ces récits est « un gros sujet dans l’écologie « . Une affirmation particulièrement brillante, qui demande de prendre du recul. Depuis l’enfance, nous grandissons au contact de personnages avec des vies et des visions du monde qui forgent nos esprits et notre culture. Ainsi, en transformant ces récits, « en leur ajoutant des valeurs qui sont différentes, de reconstructions, de préservations, de fragilité… les mentalités pourraient changer». Doit-on voir, là encore, un moyen de calmer nos ardeurs de consommation? C’est ce que Roni semble affirmer. Elle estime d’ailleurs que, lorsqu’on « consomme moins, on a un mode de vie beaucoup plus sain, serein et éveillé « . Une conclusion qui renforce cette idée que « les sujets de préservation de l’environnement et de soi-même ne sont pas si inséparables que ça ».

Écologique

©Marc Poitvin pour Tsugi

 

Les sujets de préservation de l’environnement et de soi-même ne sont pas si inséparables que ça. Roni

 

Utiliser sa notoriété

Du point de vue de Mosimann, DJ plébiscité autant par les fêtes grand format (Francofolies de Spa, Parookaville, Ultra Music Festival, Dance Valley Festival, Paléo Festival…) que les clubs, la notoriété a ce pouvoir de changer les mœurs. « Plus tu es célèbre, plus tu peux avoir une influence. C’est un gros levier, détaille le compositeur pour Grand Corps Malade et Gaël Faye. Les gens qui me suivent connaissent mes opinions et ce pour quoi je milite. «  Si en dehors de la scène les choses se déroulent sans accroc, lorsqu’il est en représentation et qu’il veut défendre ses idées, notamment son implication en faveur de l’association L214 Éthique et Animaux, ce n’est pas toujours le même son de cloche. « Parfois, j’ai le sentiment que si je demande ou exige des choses, ça peut passer comme un caprice de star. Ça va faire chier les gens : “Lui, il se la pète. Pourquoi il insiste pour faire quatre heures de caisse alors qu’il pourrait prendre l’avion!” Ou encore : “Pourquoi il ne veut pas aller dans ce resto de viandards comme tout le monde et nous bassine avec son végétarisme et ses cultures locales ?” On est quand même dans un monde, pardon, je n’ai pas envie de faire de la politique, qui subit une pression capitaliste où il faut qu’il y ait toujours du chiffre ! Fatalement, ça se ressent dans notre profession. «  Également dans la manière de vivre. Alors, à la façon de ses homologues, Mosimann voit lui aussi ce lien fort entre santé mentale et écologie. « Prendre soin de soi, c’est prendre soin de la planète « , assure-til. Pourtant, malgré l’importance capitale de ce sujet et les alertes successives que nous avons tous observées ces derniers mois, le monde semble continuer à tourner dans le même sens. Mais le point de bascule n’est pas encore franchi. Maintenant, il faut se fier aux générations actuelles et futures.

 

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