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©Crypt Records
15 février 2021

L’histoire derrière Crypt Records, les sorties les plus sauvages de la première ère punk

par rédaction Tsugi

Fondateur du label Crypt Records, Tim Warren est le responsable de l’infernale collection Back From The Grave, qui rassemble les singles les plus sauvages de la “première ère punk”, quand, au milieu des sixties, des gamins de l’Amérique profonde se sont pris pour Mick Jagger, Keith Richards, Pete Townshend ou Ray Davies. Rencontre. 

Par Olivier Richard, issu du Tsugi 86 (octobre 2015), disponible à la commande en ligne.

Nous faisons remonter cet article à l’occasion du FAME Festival 2021 (du 18 au 25 février) et la projection en ligne du film Country Teasers – This Film Should Not Exist, sur Ben Wallers et son gang qui ont fait résonner une country music bricolée et dissonante dans les pubs d’Édimbourg, avant de séduire le label de rock garage Crypt Records.

Joe Bradley, le batteur des Black Lips, confiait il y a peu que, “de toutes les séries de compilations garage sixties, Back From The Grave est celle que je préfère”. Rien d’étonnant, puisque beaucoup plus que Nuggets et encore plus que la série Pebbles, Back From The Grave compile les raretés les plus primaires et les plus jouissives enregistrées dans les garages américains entre (pour l’essentiel) 1964 et 1966. Il faut écouter le “Psycho” des Swamp Rats (Pennsylvanie) ou le “Wild Man” des Tamrons (Caroline du Nord), que leurs collègues sudistes des Black Lips ont repris pendant longtemps, pour mesurer l’étendue des dégâts. La série de dix compilations se distingue aussi par ses joyeuses pochettes réalisées dans l’esprit des EC Comics, en particulier des Contes de la crypte. Subtiles, elles mettent en scène des morts-vivants et autres émules de Vampira qui surgissent d’outre-garage pour massacrer cadres exécutifs de majors du disque et stars de la pop et du rock mainstream (Flea des Red Hot Chili Peppers et Slash, ex-Guns ’N Roses, font partie des condamnés du volume 10).

OUTSIDERS

L’idée de ces compilations naît à Amherst, Massachusetts, à la fin des années 70, dans le cerveau de Tim Warren, aujourd’hui âgé de 55 ans: “J’étais branché punk rock, les Ramones et en particulier les Cramps (qui ont repris le “Strychine” des Sonics sur leur premier album, en 1980, ndr). J’aimais leur logique ‘plus c’est obscur, mieux c’est’ ! (rire maniaque) J’avais acheté Nuggets en octobre 1978, mais  j’avais  trouvé  ça  juste  OK parce  qu’il  y  avait  trop  de  trucs  pop  dessus.  Par  contre,  en  février  1979,  j’ai mis la  main  sur  les  deux  premiers  volumes  de  Pebbles,  c’était  mon  salaire  pour six heures  de  boulot dans un magasin de disques ! Là, j’ai complètement flashé ! La pochette avec  les  épingles  qui  sortaient  de  la  tête  du  mec,  les  notes  de  pochette et  la musique,  c’était  un  monde  complètement  nouveau !  Comme il était indiqué que certains de ces disques n’existaient qu’en  un  ou  deux  exemplaires,  je  me  suis  résigné à  ne  jamais  pouvoir  mettre la main sur les originaux.” Peu de temps après pourtant, Billy Miller, le chanteur des Zantees et coéditeur du génial fanzine Kicks avec Miriam Linna, la première batteuse des Cramps, informe Tim qu’un des auteurs de Pebbles va mettre en vente un stock de bons disques garage à des prix décents. “J’ai reçu une liste et je suis devenu FOU !”, se rappelle-t-il.

Le ver est dans le fruit et il rejoint le petit monde des connaisseurs qui écument les brocantes et les bacs à soldes des disquaires à la recherche de versions inconnues de “Gloria”. Il se rend tous les mois en Pennsylvanie pour acheter des singles à Jim Atwood, l’auteur des compilations Off  The  Wall (autre série pionnière). “Il me  passait  des disques que  personne  n’avait  jamais  entendus !  J’échangeais  aussi  des  cassettes avec  Greg Prevost, le chanteur des Chesterfield  Kings (groupe de revival garage du New Jersey, ndr). J’apprenais…” De bonnes âmes habituées au rock grand public pourront légitimement s’étonner qu’on puisse éprouver une telle passion pour une musique aussi primitive, voire indigente, que le punk sixties. Warren explique: “Il ne s’agit pas de snobisme musical mais du fait  que plus les groupes sont barrés et rejetés, plus j’ai envie de  les aimer. Prenons The Keggs (du Michigan, ndlr) : ils étaient  sifflés et haïs par les autres lycéens. Et bien, ça me donne envie de les aimer encore plus ! Ils  nous parlaient parce  que,  nous  aussi, on était des outsiders qui n’aimaient pas les joueurs de foot, les pom-pom girls, le sport. On aimait juste le punk rock, et le punk sixties est son compagnon parfait !”

PASSAGE À L’ACTE

En 1983, Warren franchit le pas : de collectionneur, il devient compilateur et publie le premier Back From The Grave, en glorieux vinyle évidemment. “C’était un disque pirate. Je ne  connaissais  rien  des  groupes  et  j’avais écrit  des  notes  de  pochettes  bidon. Arrivé  au  volume 3,  je  me  suis  dit  que  j’en  avais  assez :  je  voulais trouver  des photos  des  groupes,  raconter  leur histoire,  les  rencontrer  et  les  payer !”  Un avocat lui conseille de se rendre à Washington, pour consulter la Bibliothèque du Congrès. “75 % des disques enregistrés dans les années 60 y sont inscrits. J’y suis allé avec une liste de  200  chansons  et  j’ai  fait  des  recherches. Bon,  quand  une  chanson s’appelle ‘I Love You’, c’est mission impossible parce  que  des  milliers  de morceaux portent  ce nom,  mais  quand  elle  a  un  titre  bizarre genre  ‘My  World  Is  Upside  Down’,  ça devient  plus facile.  J’ai  noté  les  noms  des  auteurs  et  leurs adresses et j’ai traversé la rue, parce que juste en face, il y a  une autre bibliothèque où sont entreposés tous les annuaires téléphoniques des sixties !”

Tel un Sherlock Holmes garage, Warren peut désormais mener l’enquête. Un à un, il appelle les membres des groupes. “Souvent, les types croyaient que j’étais un vieux pote de lycée qui leur faisait une vanne. Ils ne pouvaient pas croire que quelqu’un puisse les appeler pour leur parler de ces disques vieux de 20 ans, qui n’avaient été tirés qu’à 200 exemplaires ! Comme j’avais leur adresse, je leur envoyais un contrat et un chèque de droits d’auteur. Je laissais passer une semaine et je les rappelais. Entre-temps, ils avaient compris que je n’étais pas bidon ! Ensuite, je prenais rendez- vous avec eux et je prenais la route en espérant qu’ils aient des photos et de bonnes anecdotes à me raconter !” 

Warren entame alors un périple qui l’emmène sur les petites routes du Midwest: Michigan, Ohio, Indiana, Illinois… Plus de 30 ans après les débuts de Crypt Records, il a de nouveau effectué un road trip pour rencontrer les groupes des volumes 9 et 10 qui viennent de sortir. “Je ne possède que trois des trente disques qui y figurent. Avec d’autres collectionneurs, on a fait une sorte d’effort socialiste en mettant nos disques en commun pour les sortir de l’oubli ! Après, j’ai repris la route. Comme je n’avais pas d’argent, je dormais dans ma voiture sur des parkings de supermarché. Je me payais un motel tous les six jours pour prendre une douche ! Au final, cette histoire m’a quand même coûté 10 000 dollars.”

POSITION DU MISSIONNAIRE

En plus d’être un archéologue e?s garage, Tim Warren est aussi une sorte de missionnaire du punk: “Je voulais influencer les gamins, qu’ils aillent du punk vers le garage plutôt que vers le métal. Je cherchais peut-être à influencer le monde de la même manie?re que les Cramps m’avaient influencé. Avant de les éouter, je ne savais pas qui étaient Warren Smith et Dwight Pullen (auteurs respectifs de “Uranium Rock” et “Sunglasses After Dark” reprises par les Cramps, ndr) ! C’est aussi pour brancher les gamins keupons que j’ai fait ces pochettes roots sur lesquelles des pop stars sont guillotinées, ébouillantées, etc. C’est une manière de dire : ‘Va te faire foutre Boy George ! On ne veut pas de ta pop de merde.’”

Pour Warren, le punk américain des sixties a été tué par la guerre du Vietnam et la sortie de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles en 1967, qui met à la mode une musique plus élaborée que le r’n’b primal des garagistes. “La plupart des groupes de rock’n’roll, de garage et de soul étaient formés de prolos. Comme ils n’allaient pas à la fac, ils devaient aller au Vietnam. Environ la moitié des mecs qui jouaient dans des groupes, qu’ils soient noirs ou blancs, y ont été envoyés alors que les riches des grandes villes n’y sont pas allés, comme George W. Bush. En plus, les goûts des étudiants des classes aisées des grandes villes étaient formés pour être plus sophistiqués. C’est majoritairement chez eux qu’ont été recrutés les groupes qui ont fini par jouer avec des violons, des orchestres, toute cette merde post-Sgt. Pepper’s qui s’est incrustée dans la musique et qui lui a fait beaucoup de mal, je crois.” Même le rock psychédélique ne trouve pas grâce aux yeux du puriste punko-garage. “La psychedelia n’a jamais été trop mon truc. Je n’ai jamais pris d’acide ! Il y a trop de maladies mentales dans ma famille. Mon grand frère m’avait emmené voir Woodstock quand j’étais pré-ado. Je n’ai vraiment pas aimé. Je préfère écouter un disque de r’n’b black de 1964 plutôt qu’un disque hippie de 1968 !”

En parallèle à sa série phare, Tim Warren publie sur son label une kyrielle de compilations sixties ou fifties, le catalogue Crypt Records rassemblant désormais pas moins de 140 références. Le revival punk sixties des années 80 et la richesse de la scène néo-garage de la Côte Est et du Midwest l’incitent à signer des groupes modernes, dont les excellents Raunch Hands et les quasi-débutants (à l’époque) Jon Spencer Blues Explosion. “Je m’y suis mis en 1988 et j’en ai sorti pendant dix ans. Le premier était DMZ, devenu ensuite les Lyres. Comme presque personne ne voulait vendre les groupes modernes que j’éditais, j’ai ouvert une boutique à Hambourg, Cool And Crazy (Warren vit en Allemagne, ndlr). Je faisais tourner nos groupes en Europe pendant deux mois. J’ai organisé trente-trois tournées en dix ans, ce qui fait 1 800 concerts ! Dix ans à perdre de l’argent.” Le garage connaissant un nouvel engouement, on demande à Warren ce qu’il pense de ses lointains héritiers californiens du label Burger Records, un peu bombardé étendard de l’actuel revival garagiste. “Je sais qu’ils sont très populaires mais ils font des cassettes et ça ne me branche pas. Moi, j’aime le vinyle !”

crypt

©Crypt Records, 1981

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