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© Ricky Leong
29 décembre 2022

L’histoire folle du Folies Pigalle

par Gérôme Darmendrail

Bouillonnant, bordélique, excentrique, sulfureux, branché… Les adjectifs ne manquent pas pour décrire le Folies Pigalle, qui fut l’un des clubs les plus en vue du Paris des années 1990, berceau parfois un peu oublié de la french touch. S’il a depuis perdu de sa superbe, il est resté un club à part.

Article issu du Tsugi 152 : Être artiste en 2022 

Folie’s ou Folies ? Le ou les ? La question décontenance un peu Axel Huynh. Pas sûr qu’il se la soit déjà posée. « Je dirais le Folies Pigalle, avance celui qui fut directeur artistique du club parisien dans les années 1990. Il me semble que c’est ce qu’on mettait sur nos flyers, mais j’imagine qu’on peut écrire les deux. » Ce n’est pas la façade de l’établissement qui aidera à trancher. Ses néons rouges sur fond noir, emblématiques de la place Pigalle, affichent depuis plus de trente ans les deux orthographes, entretenant une forme de confusion qui sied finalement plutôt bien à ce club souvent décrit comme atypique, bordélique, voire trouble, chargé d’Histoire et d’histoires. Ancien cinéma en forme de théâtre à l’italienne, le Folies – appelons-le ainsi – fut d’abord un cabaret proposant des spectacles de nu intégral, typique du quartier. L’un des nombreux établissements de nuit appartenant à Hélène Martini, marraine de Pigalle, décédée en 2017, dont les tables accueillaient aussi bien les flics que les figures du grand banditisme.

Celles du Folies disparurent au tournant des années 1980-1990, pour laisser place à une piste de danse. Paris commence alors à s’ouvrir timidement à la house et « l’impératrice de la nuit » a le nez creux en laissant les clés de son établissement à un jeune DJ, David Guetta, qui y organise des soirées au nom décalé – Jean-Pierre et Samantha – mais en phase avec le son de leur époque. « Une house très dansante, assez vocale, genre CeCe Peniston, le son de New York », détaille Axel Huynh, alors âgé de 17 ans, qui découvre le club à la faveur d’un article paru dans Glamour, signé Frédéric Beigbeder.

 

L’esprit du Pigalle seventies

À la même période, on peut également y entendre Patrick Vidal aux platines. L’ancien chanteur du groupe Marie et les garçons, pionnier de la house en France, en a gardé un souvenir attendri. « C’était l’un des seuls clubs à Paris où on jouait de la house, raconte‑t-il. On pouvait en entendre un peu aux Bains, au Rex Club ou au Palace, mais rarement sur des soirées entières. Les patrons de clubs étaient encore réticents. C’était vu comme une musique de drogués, ils avaient peur que ça attire une clientèle de raves, pas habillée. » C’est au contraire un public de jeunes gens très intéressés par la mode qui se presse au Folies, attiré par la musique, mais aussi par le lieu, « dans son jus », dans un Pigalle pas encore gentrifié, à l’ambiance sulfureuse. « Un mini-théâtre de moins de 500 places, décrit le DJ, aux murs rouges matelassés avec des faux diamants, une mezzanine… C’était un petit bijou. Écouter de la house dans cet endroit, c’était incongru, finalement. Il y avait aussi un côté Pigalle seventies qui subsistait. On arrêtait la musique trois ou quatre fois par nuit pour laisser place à des numéros un peu ringards qui tournaient dans les clubs de Madame Martini, du striptease, un lanceur de couteaux… Le lanceur de couteaux était un vieux monsieur au costume élimé. On avait toujours peur qu’il rate sa cible et tue sa femme ! »

Bientôt, le spectacle se déplace de la scène à la piste, où l’on peut observer des clubbeurs rivalisant d’imagination et d’audace dans leurs tenues vestimentaires. Devenu entretemps mannequin pour Jean-Paul Gaultier, Axel Huynh commence à y organiser des soirées (Bitch!, Ultra, Crazy Baby) drainant « une faune overlookée, bigarrée et non genrée« , pour reprendre ses termes. « Les gens n’hésitaient pas à se déguiser pour sortir. C’était l’époque des club kids. Il y avait un vrai style clubwear, avec des bottes années 1960, des gros manteaux en fourrure rose flashy, des tops en latex ou des t-shirts taille enfant. On avait une équipe de gogo-danseuses qui donnait le ton, qu’on habillait en manga ou en moon boots. À la porte, la sélection ne se faisait pas par l’argent. On pouvait accepter quelqu’un d’overlooké qui n’avait pas un radis. »

 

Des flyers bruyants

Les files d’attente devant le club s’étirent, on y croise des personnalités comme John Galliano, Jeremy Scott ou Ora‑ïto. Rapidement, Axel Huynh se voit confier la direction artistique du lieu aux côtés de Michel Poulain, un jeune graphiste qui se fait appeler La Shampouineuse. « Le gérant s’appelait Jean-Pierre, c’était le bras droit d’Hélène Martini, se souvient ce dernier. Tous les soirs, vers une ou deux heures du matin, il lui rendait compte de ce qui se passait. Elle restait dans sa Rolls, garée devant le club. On n’a jamais signé de contrat, on était payé en liquide et on avait carte blanche. » Michel Poulain en profite et transpose l’esprit libéré et créatif du club sur des flyers restés mythiques, détournant publicités et photos des années 1960-1970, piquées dans des magazines. « J’allais aux archives de la presse, où il y avait plein de vieux magazines que j’achetais pour pas cher. Je numérisais les publicités et les photos, et je me faisais ma banque d’images. On passait la nuit dans ma chambre à trouver des idées, des concepts. On n’avait pas de limites. Une fois, Axel a été convoqué au commissariat parce que sur un flyer on avait mis un paquet de Corn Flakes avec un bol de pilules. Une autre fois, Evian nous a envoyé un recommandé parce qu’on avait détourné l’étiquette de ses bouteilles avec des filles nues. On était un petit club, on ne pouvait pas pousser les murs, alors on faisait du bruit avec nos flyers.« 

Disposant d’un budget confortable pour leur impression, l’équipe du Folies arrose les disquaires et les bars de la capitale et en envoie chaque semaine par la poste à une liste d’abonnés. « Ce qui me rendait fier, c’est que les gens demandaient à être inscrits pour recevoir les flyers. Et je l’ai été encore plus lorsque j’ai appris que la femme de Jean-Baptiste Mondino l’avait demandé ! » Musicalement, la scène french touch encore balbutiante y fourbit ses premières armes, dans une ambiance dépeinte comme bouillonnante, mais familiale. Dimitri From Paris, DJ Grégory, les Daft Punk, encore non masqués, Bob Sinclar, alors dénommé Chris The French Kiss, ou Philippe Zdar défilent derrière les platines du club. « Toute la french touch est passée à un moment donné par le Folies, soit pour mixer, soit pour danser », assure Axel Huynh. C’est aussi au Folies que le jeune Pedro Winter, fraîchement sorti du lycée, découvre le monde de la nuit et devient un habitué à qui on ne tarde pas à donner les jeudis soir, durant lesquels il lance ses soirées Hype. « Un jour, Pedro m’a dit : “Michel, je crois que je vais arrêter mes études, je vais travailler avec des potes dans la musique.” Je lui ai répondu : “Mais Pedro, faut quand même avoir un bagage, ça ne va pas durer éternellement la musique !” C’était pour devenir le manager des Daft. Il a bien fait de ne pas écouter mes conseils ! »

 

Un clubbing à l’ancienne

En 1996, forts de leurs succès, Axel Huynh, Michel Poulain et Pedro Winter sont débauchés par David Guetta, qui s’occupe alors du Palace. Progressivement le club de Pigalle perd de sa superbe, même si l’arrivée de Fouad Zeraoui entretient encore l’esprit festif et excentrique du lieu. Tous les dimanches, il y organise les Black Blanc Beur, un thé dansant gay raï et R&B qui se tient de 18 h à minuit, suivi par les soirées Escualita, dédiées aux trans et à la musique latino, mais ouvertes à tous. « Il n’y avait pas de politique à la porte, c’était un clubbing d’inclusion, précise-t-il. J’ai fait les BBB parce que les blacks et les beurs étaient exclus de partout, et les Escualitas parce que les trans n’étaient bienvenues nulle part. » Le Folies deviendra leur maison, jusqu’à ce que Fouad Zeraoui migre au milieu des années 2000 vers la Loco, deux fois plus grande, et constate le déclin du club. « La musique est devenue plus sombre, le club aussi, qui a perdu son identité. » Un avis partagé par Patrick Vidal. « À la fin des années 1990, l’équipe qui s’occupait de la sécu a récupéré l’endroit. Ça s’est transformé en truc d’after un peu glauque. La dernière soirée que j’ai faite c’était en 2000, avec Didier Lestrade et Patrick Thévenin. On s’est fait virer des platines. L’un des gérants nous a dit que nos clients étaient partis, que les bouteilles avaient été vendues, qu’on pouvait se casser. Je n’y ai plus remis les pieds. »

Videurs agressifs, voire malhonnêtes, prix abusifs, rixes, consommation excessive de drogues, toilettes insalubres, fermetures administratives, le club se traîne vite une mauvaise réputation que l’émergence des réseaux sociaux ne fait qu’amplifier. Au début des années 2010, il est brièvement rebaptisé Pigallion, sans succès. Aujourd’hui, le Folies est « une belle endormie qui a besoin d’un nouveau départ », estime Foaud Zeraoui, qui y est revenu au sortir du confinement avec ses BBB. Pour sa part, Joseph Bendavid, DJ et patron du label house Skylax, connu sous le nom de Hardrock Striker, devenu l’un des principaux organisateurs de soirées du club, veut y voir le dernier bastion d’un clubbing « à l’ancienne ». « J’ai fait des soirées dans beaucoup de clubs, mais c’est celui qui me plaît le plus. C’est resté dans son jus, c’est trash, ce n’est pas du clubbing d’école de commerce. On ne va courir derrière des têtes d’affiche à 10 000 euros. On s’en fout complètement. » Il reconnaît cependant que les DJs ne sont pas toujours « chauds » pour jouer au Folies. « Parce que tout le monde connaît la réputation du lieu… Mais ensuite, ils disent “ah la la, c’était extraordinaire”, parce qu’il y a cette vibe particulière, presque un peu amateur, parce que c’est complètement mélangé, avec des jeunes, des anciens, des mecs un peu wesh wesh, des trans, des gays… Aujourd’hui, beaucoup de soirées se disent LGBT friendly. Bon, c’est bien, mais ça fait un peu argument marketing. Ici, ça existe de façon naturelle. Et ça a toujours été le cas. » 

 

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