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© Laurine Payet / Clara de Latour / Laurine Payet
13 novembre 2023

Live report : Pitchfork Paris, marathon en quête des têtes d’affiche de demain

par Juliette Soudarin

Le festival défricheur de talents concocté par le magazine Pitchfork était de retour à Paris du 6 au 12 novembre. Au total près de 70 concerts dont de très belles surprises : Dream Wife, Hyd, hemlocke springs, The Dare… Retour.

Le 6 novembre dernier débutait la 12e édition du Pitchfork Music Festival pour une semaine de concerts dans tout Paris. Depuis l’inauguration en 2021 de sa nouvelle formule multi-sites, Pitchfork joue le défricheur des talents de demain. Fini alors les gros noms, place au jeu annuel du « qui connaît le plus d’artistes du line-up », plus connu sous le sobriquet de « qui est le plus hipster de tes ami·es ». Cette année près de 70 artistes étaient programmé·es, et parmi elles et eux de très belles découvertes. Petit récapitulatif des concerts qui nous ont marqué au cours de cette semaine riche et intense.
Dream Wife, exaltation punk

Alors que la voix de Youth Lagoon résonnait entre les murs de l’Église Saint-Eustache, dans la salle du Trabendo, c’est un plateau 100 % rock qui ouvrait lundi soir les festivités.

Au programme les New-Yorkais de Been Stellar, les Irlandaises de Pillow Queen et le trio originaire de Brighton, Dream Wife, qui – on ne le savait pas encore – allait clôturer cette première soirée du Pitchfork Music Festival de manière magistrale. Magistrale, car si nos corps étaient encore légèrement engourdis par le froid, et peu enclins à se laisser totalement aller dans une foule grossissante au fil des concerts, les Anglais·es par leur énergie scénique folle sont parvenu·es à réaliser le tour de passe-passe de rassembler fans et badauds dans la danse. Des titres punk rock parsemés de pop à la Le Tigre, le tout rythmé par des lignes de basses hyper dansantes, voilà le cocktail gagnant.

Mais outre la force de leurs morceaux c’est leur prestance qui impressionne dès les premières secondes du show. Ce sont trois personnages à l’identité bien distincte qui pourtant parviennent à fonctionner en harmonie. La chanteuse Rakel Mjöll, nous captive par une attitude presque cartoonesques qui nous rappelle l’aura mystérieuse du groupe spooky The Hex Girls issu du dessin animé Scooby-Doo.

Bella Podpadec, bassiste, transforme la scène en salle de sport. Iel court, donne des coups de jambes, bouge son corps au rythme de mouvements vifs et secs ou encore joue de son instrument allongé·e sur le sol. La guitariste Alice Go est quant à elle perchée sur de hautes plateformes rouges – qui ne l’empêcheront pas de grimper sur l’ampli surélevé du Trabendo -, sa guitare au manche fluorescent tranche avec son ensemble de cuir glacé. Rapidement, elle fait tomber sa veste imposante pour dévoiler deux croix en scotch sur sa poitrine et est suivie par quelques femmes du public, transformant alors le concert en un lieu de partage d’énergie ou chacun·e se sent en sécurité.

Dans le pogo, les filles slamment, se soutiennent, chantent en cœur les paroles, et même un hymne militant « Tout le monde déteste la police », drapeau palestinien à la main. Car oui l’espace de fête reste un enjeu de lutte. « Bad bitches to the front ! » (mauvaises filles devant) scande au milieu du concert Rakel Mjöll, précisant que le genre est une construction sociale et qu’ainsi chacun•e peut se revendiquer « bad bitches ». Le zénith de la soirée est atteint lorsque juste avant le rappel Dream Wife interprète « All the things she said » du duo russe à l’ambiguïté saphique t.A.T.u. La foule est devenue floue.

 

Hyd, créature fascinante
Le deuxième soir, Pitchfork Music Festival mettait en avant l’univers de l’hyperpop, le mouvement musical ultra en vogue – peut-être trop ? – avec blackwinterwells l’autrice et productrice basée au Canada, Namasenda la suédoise aux mille collaborations (Hannah Diamond, Oklou, Dylan Brady de 100 Gecs, A. G. Cook producteur du label PC Music…) et Hyd, l’américaine notamment connue pour le projet QT formé avec A. G. Cook – encore lui! – et la productrice Sophie. C’est d’ailleurs ce dernier show qui a retenu notre attention. Sur scène Hyd apparaît comme une créature extraterrestre bizarre et fascinante. Une espèce venue d’un monde où les sonorités sont faites de métal et de coton. Chez Hyd, la voix est distordue pour flotter dans les airs telle une présence angélique et les basses sont lourdes afin de contre-balancer avec ces cieux si éblouissants.

Rien de cette attitude d’être mutant ne transparaît dans son apparence – pantalon et veston de cuir noir. Tout demeure dans ses expressions et mouvements. Entre les morceaux, elle nous remercie à la manière d’une bête chétive, qui cherche du réconfort auprès des humains. De temps à autre, elle nous envoie un baiser de la main comme si elle venait juste d’apprendre ce geste. Et puis surtout elle nous observe d’un regard perçant. Le tout est accompagné de danses simples mais envoûtantes.
De titres en titres, elle nous transporte de planète en planète, ou plutôt d’atmosphère en atmosphère selon l’écran qui la surplombe. Sur « So Clear« , une vive source lumineuse bat au rythme de la mélodie, de dos Hyd s’enlace, laissant apparaître ses mains sur le contours de sa silhouette. Sur « Trust« , alors qu’elle se joint au public dans la fosse du Petit Bain, une ligne verte semblable à un éclair ou un électrocardiogramme se dessine sur l’écran.
Enfin, sur la reprise du titre de Nick Cave, « Into My Arms » l’aura se tinte de rose. La surprise de ce show hypnotisant – et finalement le moment où le personnage créé par Hyd s’évapore – est lorsque l’artiste interprète « Make Me Believe In Love », un titre co-écrit avec Sophie jamais officiellement sorti. On devine sur le visage de l’américaine, émue par la disparition de son ex petite-amie, des larmes avant que le refrain ultra positif ne résonne et illumine sa figure et le public. Autant dire qu’autour de nous, on pleure comme on danse fort.
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© Clara de Latour

Weyes blood, l’opéra indie-folk

Mercredi, nous avons porté notre dévolu sur la soirée tout en douceur de la Salle Pleyel : la pop légère de l’américano-camerounaise Vagabon, la folk japonaise acoustique quasi-cinématographie d’Ichiko Aoba, et la tête d’affiche du Pitchfork Paris, Weyes Blood ou l’opéra indie folk. Car l’Américaine maîtrise parfaitement la théâtralité de sa performance dont la beauté ne cesse de nous émerveiller. En début d’année, nous faisions partie des chanceux•ses qui ont pu assister à sa date parisienne au Trianon, et l’on peut dire que dans l’enceinte et l’acoustique de la salle Pleyel, son spectacle entre dans une toute autre dimension.

Son set démarre par « It’s Not Just Me, it’s Everybody« , le titre d’introduction de son dernier album And In the Darkness, Hears Aglow. Et soudain de l’obscurité à la lumière, voilà qu’elle apparaît. La couleur dorée projetée sur sa robe drapée scintillante inonde la salle. Elle se tient sur scène telle une figure divine. À ses côtés, entre ces musiciens, sont disposés deux sets de chandeliers sur lesquels trônent des bougies. Nous sommes bouche bées.

La dimension dans laquelle nous invite Weyes Blood est celle des divas au sens premier du terme. Ces cantatrices qui reprennent des tragédies grecques et tutoient l’Olympe. L’Olympe ou le monde des dieux de Weyes Blood est, ici, mystique et fantastique. Il est fait de créatures féeriques. Nous sommes invités dans un château issu de l’univers de La Belle et la Bête de Cocteau dans lequel sont projetées des images et des couleurs sur les murs. Nous sommes tantôt immergé dans une course psychédélique de chevaux sur « Diary« , tantôt dans les archives d’une époque perdue sur « God Turn Me Into a Flower« , tantôt dans une forêt sanglante sur « Grapevine » ou encore sous la neige ou dans l’espace-temps sur « Andromeda« . Et la robe que porte Weyes Blood s’avère être elle aussi magique. C’est la robe couleur du temps de Peau d’Âne. Sur « Movies« , elle prend l’aspect des reflets scintillants de l’eau traversée par la lumière. On nage alors avec Weyes Blood dans l’océan.

Puis vient alors l’apothéose du concert, le moment de grâce. Sous sa tenue, un cœur rouge vif – symbole de son dernier album – s’éclaire de nouveau, en fond des images de films défilent (L’histoire sans fin, le voyage de Chihiro, Titanic…). Et voilà que Weyes court sur la scène, roses blanches à la main pour les lancer dans le public. Le sens de la dramaturgie.

 

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© Laurine Payet

The Dare, Jarvis Cocker new-yorkais
Vendredi et samedi soir se déroulait l’avant-garde du Pitchfork. Si la programmation générale du Pitchfork n’était pas assez défricheuse – relevez l’ironie -, ces deux soirées se veulent l’être à 100 %. Au total ce sont 40 concerts qui sont répartis dans 7 différents lieux dans le quartier de Bastille à Paris. Parmi eux, la prestation de The Dare nous a captivé. Harrison Patrick Smith, artiste basé à New-York, a sorti en mai dernier son premier EP – intitulé sobrement The Sex EP – dans lequel il redonne vie à l’esthétique indie sleaze des années 2000 mêlant le dancepunk et l’electroclash.

Sur la scène carrée du Café de la danse, The Dare se produit dans une mise en scène minimaliste – entouré seulement d’un clavier, d’une cymbale et autres machines disposés aux quatre coins de l’espace – toujours dans le costard noir cintré qu’on lui connaît rappelant la figure de Jarvis Cocker. D’ailleurs, le look de Smith n’est pas le seul élément à rappeler le chanteur de Pulp. Les contorsions de son corps longiligne accentuent la comparaison entre les deux hommes.
Dans les flashes de lumière blanche – une pensée pour les photographes couvrant le concert – The Dare, enchaînent les titres à la pop agressive et souvent délicieusement kitsche. Évidement lorsque son set se conclut par son hit « Girls« , The Dare a déjà rallié le public parisien à son univers de soirées new-yorkaises dévergondées et politiquement incorrectes. Depuis la pandémie, on observe sur les réseaux sociaux une effervescence autour des années 2000-2010 de la part d’une génération Z en quête de réconfort et sûrement d’insouciance. The Dare pourrait devenir l’une des prochaines figures à répondre à ce besoin de douce nostalgie, mais aussi de fête.  On regrette alors que la foule n’ait pas été plus dense pour assister à cette éclosion.
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© Laurine Payet

hemlocke springs, star alternative
Notre semaine Pitchfork se conclut avec une surprise : Isimeme Udu alias hemlocke springs. Pour être honnête, on ne savait pas trop quoi attendre de l’artiste américaine de 24 ans révélée sur tiktok avec le titre devenu viral « girlfriend« . On craignait qu’elle ne soit que l’élue d’un algorithme farfelu qui bénéficie d’un quart d’heure de célébrité. Pour ne pas nous rassurer, cette date parisienne concluait sa première tournée. Allions-nous alors assister aux débuts balbutiants d’une artiste trop vite propulsée dans le grand bain ?

Dès les premières secondes de son set, hemlocke springs balaie nos préjugés mal placés. Accompagnée de deux musiciennes, elle entre sur la scène du Café de la danse sur un solo de batterie dans un look sorti tout droit de Charmed ou d’un film de sorcières 90’s. Elle lance un galvanisant « how are you doing ? » en introduction du titre « heavun » et puis son persona scénique prend le dessus. Elle effectue des chorégraphies expérimentales – que l’on pourrait reproduire en face du miroir de notre chambre – s’amuse et interagit autant avec ses musiciennes qu’avec le public et les caméras.
La pop alternative que propose hemlocke springs est faite de bric et de broc, elle est expérimentale, home made – c’est ce qui fait son charme – et surtout elle est fun. Sur scène, Isimeme Udu incarne cette allégresse. Elle profite de son moment, lâche prise. Et nous aussi. Il faut dire qu’en raison du peu de représentation de femmes noires dans le milieu indie, son énergie est d’autant plus rafraîchissante. On prend plaisir à la voir gagner en confiance lors de ses prises de paroles entre les titres, extrêmement timides au début. Après avoir interprété les titres de son court premier album going…going…GONE!, elle conclue son concert avec le très attendu « girlfriend », appréciant l’exaltation du public du Pitchfork. « OMG I love you !« , crie alors un fan. Nous aussi.
La foule compacte de Bar Italia, groupe précédant hemlocke springs, ne peut que se mordre les doigts d’avoir loupé une performance aussi vivifiante.
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© Clara de Latour


On a aussi aimé au Pitchfork Paris :
le garage rock mélancolique et 2000’ des New-yorkais de Been Stellar; le folk envoûtant sorti d’une BO de films Ghibli de la Japonaise Achiko Aoba; le post-punk énergique des Irlandais de Gurriers, le rap post-genre de la Zimbabwéenne Tkay Maidza qui convoque autant la house, la trap que le R&B; le rock industriel aux ambiances de fête influencé par le soundtrack du jeu vidéo Serious Sam 2 des Londoniens de Fat Dog, et enfin le rock sombre des Anglais de Bar Italia, qui pourrait aussi bien être la BO du documentaire Meet Me In the Bathroom sur le New-York des années 2000 que celle du prochain défilé Céline.
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