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Poison Ruïn © Marina Cruz
27 mars 2024

Live report : Tremor, un festival vraiment au bout du monde

par Patrice BARDOT

Depuis une décennie le Tremor Festival aux Açores propose de découvrir des musiques pas comme les autres dans un paysage lui aussi vraiment pas comme les autres. On a eu la chance d’assister à la dernière édition. On vous raconte.

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Dans la montagne © Vera Marmelo

Expériences. Au pluriel. Un mot souvent lu dans les argumentaires des festivals quand il s’agit pour eux de se démarquer de la concurrence. Mais soyons honnêtes, la plus part du temps le qualificatif sonne creux. Si « expérience » il y a pour le spectateur, elle se réduit simplement à une offre culinaire différente ou à quelques workshops où l’on pourra démarrer la pratique du didgeridoo.

Pourtant en embarquant à Orly pour un long périple qui allait nous conduire après une escale à Lisbonne au milieu de l’océan Atlantique, dans l’archipel des Açores, on se doutait que l’“expérience” vantée par le Tremor Festival n’allait vraiment pas être comme les autres.

Lancé en 2014, Tremor qui signifie “tremblement” en portugais, a comme vocation de justement secouer Ponta Delgada, la capitale régionale située sur l’île principale de Sao Miguel. Une appellation logique pour un archipel marqué par les éruptions volcaniques. Marcio Laranjeira, l’un des trois fondateurs de l’évènement, et également co-directeur artistique raconte “il y a dix ans il ne passait rien culturellement à Ponte Delgada et notre motivation était d’aider à découvrir à la fois des artistes, mais également la ville.”

Au départ destiné principalement à un public local (qui ne constitue plus aujourd’hui que 35 % de la fréquentation, sold-out des mois à l’avance, le festival prend une autre dimension à partir de 2016 : “De nouvelles compagnies aériennes ont desservi Les Açores, les vols ont commencé à devenir plus abordables et on a vu arriver des gens venus du Portugal continental, mais aussi de toute l’Europe.” explique Marcio.

C’est bien le cas de l’édition 2024 qui s’est déroulée du 19 au 23 mars. Au fil des shows, on a entendu parler portugais, anglais et même (un peu) français. Une audience mélangeant avec bonheur toutes les générations qui se retrouvent ensemble non pas sur la foi de noms ronflants au line up (si on en connaissait quatre sur la cinquantaine c’était le bout du monde), mais portée par une curiosité dépourvue de chapelles musicales.

Festival nomade où les espaces de concerts sont éparpillés un peu partout dans Ponte Delgada, Tremor offre aussi des escapades remarquables dispersées ailleurs sur la verdoyante Sao Miguel. Un territoire agricole où l’on compte plus de bovins que d’habitants (250 000 environ répartis sur neuf îles), où on découvre des paysages grandioses rappelant un mix surprenant entre certains rivages bretons battus par les vents et les pâturages escarpés du Pays basque, mais peuplés par de gigantesques arbres quasi-tropicaux. Dingue.

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Soundwalk dans la montagne © Vera Marmelo

Paradis reconnu pour les randonneurs, c’est d’ailleurs tout au long d’un sentier que l’on vit notre premier moment fort du festival, à l’occasion de la ballade Todo O Terreno, exploration sonore au milieu des mille nuances de verts typiques des Açores. Marchant le casque sur les oreilles, on est propulsé le matin du jeudi, deuxième jour du festival, dans une autre dimension par le soundtrack ethno-ambient proposé par le duo portugais Lavoisier. Positivement déroutant et fascinant. Tout à fait conforme à la motivation de Marcio pour qui Tremor doit permettre de se connecter à la nature par l’intermédiaire de la musique. Cette volonté de mettre sur pied des expériences spéciales (pour le coup c’est vrai) dans des lieux pas extensibles à volonté interdit toute croissance testéronisée. La capacité de huit cents personnes ne devrait pas bouger. Nous étions même beaucoup moins la vieille pour le premier jour; où dans un hangar d’une zone industrielle réaménagée en salle de concert on assistait à la performance enfumée noisy-drone audio-vidéo, mais pas du disco, des locaux l’Orquestra Modular Açoriana associé au duo américain Marshstepper. Des synthés, du bruit, des riffs de guitares en boucle de 16h00 de l’après-midi jusqu’à minuit. Téléportation assurée. On redescend (quoique…) légèrement avec la Française Cécile Schott alias Colleen, porté par son ambient romantique et fragile dans le cadre baroque du Théâtre Micaelense. Pour bouger, cap sur Portas do Mar, deux salles dont un club improvisé le long du port de plaisance. Ce soir-là on y danse au son de l’afro-uk bass du masqué Faizal Motrixxx.

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Orquestra Modular Açoriana & Marshstepper© Vera Marmelo

Le jeudi en fin d’après-midi, la joyeuse petite colonie des journalistes “embedded” pour l’occasion prend un bus, direction le marché municipal de Ribeira Grande où non seulement la bière coule à flots (1 euros 70 le demi !), mais on est secoué par la performance exaltée et exaltante du duo Belge, La Jungle, où comment avec une guitare, une batterie et un rack d’effets, on peut provoquer une bande son stupéfiante entre post-punk et transe électronique. Certainement l’une des découvertes du programmel. Et on remonte dans le car, ce coup-ci vers le village de pécheurs tout proche de Rabo de Peixe. Le moment de déguster un savoureux menu 100% poisson (logique), préparé par les habitants mais surtout d’assister à une réunion hip-hop émouvante entre le vétéran portugais du micro Sam The Kid, l’école musique du village plus tout une série de DJ et de MC locaux. “Un moment vraiment très spécial comme le raconte Marcio. Ces kids n’avaient pas d’endroit à eux où jouer, 80% certains d’entre eux n’avaient jamais joué sur une scène, faute de lieu où se produire. J’espère que cela va amener des bars à vouloir les programmer.” On leur souhaite. La nuit est tombée depuis longtemps lorsque l’on remonte dans le bus pour retourner à Ponta Delgada.  Le cadre grandiose et historique de l’auditorium Luis de Camões accueille la Russe Kate NV dont la pop minimalisto-surréaliste, apparait à l’opposé de l’hyper-pop. Quelques heures plus tard, démonstration époustouflante beaucoup plus bruyante avec les terribles Brésiliens de DEAFKIDS, urgents propagateurs d’une transe rock, mais à la dramaturgie tout électro.  L’heure d’aller se coucher ? Oui d’autant plus que le vendredi nous entraîne dès 18 heures dans une carrière de pierre volcaniques en pleine campagne.

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Lambrini Girls au plafond © Marina Cruz

Un lieu surprise pour un concert également surprise où plusieurs centaines de personnes seront prises de tremblements en écoutant le hardcore de Poison Ruïn, trio de Philadelphie, honnêtes zélateurs de Bad Religion. Le cadre majestueux aurait sans doute mérité une proposition plus audacieuse. Retour en ville et au Théâtre Micaelense où l’audace, cette fois est bien au rendez-vous avec le californien Cole Pulice. Avec son sax et ses machines, il improvise un “post” à peu tout (jazz, rock, pop). Beaucoup plus énervées, un peu plus tard, à Portas do Mar, les queers Lambrini Girls et leur “Fuck our country, fuck the Brexit”. La chanteuse-guitariste passe la plus grande partie d’un concert raw punk dans le public. Ébouriffant. Clap de fin sur l’afro-brasiliero-reggaeton set de La Flama. Caliente.

Samedi, dernier jour. Un décollage le lendemain à 6h30 du matin à tendance à refréner notre enthousiasme pour aller jusqu’au bout de la nuit. On salue l’initiative du Mini Tremor, programme spécial pour les enfants de l’île, avant de filer avaler un excellent riz au coquillages (haut lieu gastronomique les Açores, une belle découverte). Pour la digestion, le post-dub électrique de Holy Tongue tout aussi intéressant soit-il nous pousse vers notre lit. Avant cela, détour quand même vers le splendide Coliseu Micaelense. Les Brésiliens montés sur ressort de Rastafogo redonnent des couleurs modernes à la musique du Nord Est en transformant le vieux théâtre en salle de bal éruptive. Conclusion parfaite d’un évènement aussi intrigant que les lieux dans lesquels il se déroule. Plus qu’une expérience, une révélation.

Y retournerais-je ? Oui du 8 au 12 avril 2025. Les tickets sont déjà en vente. Une certitude : il n’y en aura hélas pas pour tout le monde.

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