Metal mongol, la horde sauvage
Désormais célèbre, le groupe de folk metal mongol The Hu n’est que la partie émergée de l’iceberg d’un mouvement qui attend son heure, en particulier à Pékin. Les héritiers de Gengis Khan jouent fort et sont prêts à envahir les scènes du monde entier.
Par Olivier Richard
Cet article est issu du Tsugi 168 : Anetha, combats féministe, écologique et électronique
« On dit souvent que la musique est le sang des Mongols », nous explique Yang Yu, le cofondateur de Painkiller, le légendaire magazine metal de Pékin (2000-2015) alors que Gangzi, le chanteur et leader du groupe Tulegur, né dans la province chinoise de Mongolie-Intérieure, monte sur la scène exiguë du Modernista, un club branché de la capitale. Avec son groupe Tulegur, Gangzi joue un mix réjouissant de rock énergique et de musique traditionnelle mongole : chant de gorge (khöömii) et vièle à tête de cheval (morin khuur) sont donc au programme des réjouissances.
Excellent, le set est accueilli avec enthousiasme par le public dans lequel on remarque un bon quart d’expatriés. En plus d’être une des grandes figures de la scène metal chinoise, Yang Yu programme les artistes étrangers qui participent au Midi Music Festival, un des plus grands raouts musicaux de l’empire du Milieu. Observateur avisé de la scène chinoise, il poursuit : « Il me semble qu’au contraire des Mongols, les Hans (l’ethnie majoritaire en Chine, ndr) n’ont pas de tradition musicale forte. Les opéras comme celui de Pékin ont seulement quelques siècles d’existence. La Chine a une culture multimillénaire extrêmement riche en termes de peinture, de poésie, de littérature, d’architecture, sans oublier sa calligraphie, mais elle a très peu de musiciens célèbres. »
Les Mongols, en revanche, sont réputés pour leur musique folklorique et, depuis une vingtaine d’années, leur rap (cf. le fascinant documentaire Mongolian Bling de Benj Binks). Mais c’est avec un autre genre musical que les héritiers de Gengis Khan montent maintenant à l’assaut du public international: le metal.
Difficile indépendance
The Hu (Les Huns en VF), un spectaculaire combo d’Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie indépendante, a en effet largement séduit au-delà des cercles métalliques, pour preuve son concert triomphal aux Eurockéennes de 2019. Un succès planétaire : le mix de folklore et de metal de The Hu a même conquis l’Unesco. L’année dernière, l’organisme a en effet décerné à ces musiciens à l’allure barbare le titre de « Artistes pour la Paix », un choix quelque peu savoureux quand on lit certaines de leurs paroles qui évoquent avec nostalgie l’époque glorieuse de Gengis Khan, le grand conquérant adulé comme un demi-dieu en Mongolie.
Mais trêve de mauvais esprit, les textes de The Hu abordent désormais dans leur grande majorité la relation organique qui lie les Mongols à leur nature magnifique. Et son succès permet aussi et surtout aux nombreuses formations similaires existant en Chine d’avoir un jour la chance de percer massivement en dehors de leurs frontières, en surfant sur l’intérêt qu’ils ont suscité pour la culture mongole. La Mongolie-Intérieure et Pékin ont en effet vu naître plusieurs groupes percutants, et ce bien avant les débuts de The Hu en 2016. Ils se distinguent tous par leur qualité et la foi qui les anime, car il est plus que jamais difficile pour les artistes indépendants d’exister en Chine.
Yang Yu explique : « Comme tout coûte plus cher, les organisateurs privilégient les gros artistes, plus susceptibles d’attirer du public. Le DIY impose plus que jamais d’avoir les reins solides financièrement. De plus, la musique est aujourd’hui davantage une affaire de marketing et de popularité en ligne que de talent. Les musiciens sont moins à la mode que les influenceurs et assimilés. Pour finir, la législation est plus précise et stricte. Il n’y a donc plus vraiment ce flou réglementaire qui facilitait autrefois la vie des artistes indés. » Sans oublier la censure, plus rigide que jamais depuis la mort de Mao, qui valide les paroles de tous les artistes avant les concerts et la mise sur le marché de leurs morceaux.
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L’appel de la prairie
Ce contexte pour le moins épineux n’empêche pas la scène chinoise de bouillonner. Capitale du live en Chine, Pékin abrite de nombreux habitants originaires de Mongolie-Intérieure et du nord-est du pays, le Dongbei, d’où vient un autre peuple autrefois nomade, les Mandchous. La proximité de la mégapole avec les steppes et les étendues glacées de ces régions explique donc que la culture nomade fasse partie des fondamentaux artistiques de la ville. Au-delà de Tulegur, des formations réputées comme Ego Fall ou Nine Treasures, elles aussi originaires de Mongolie-Intérieure, y pratiquent un hybride de metal et de folk de classe internationale. Ces deux groupes sont nés dans la région d’Hulunbuir, « la perle des prairies », à quelques encablures des frontières russe et mongole.
Askhan, le chanteur par ailleurs préposé au tovshuur (luth mongol) de Nine Treasures, la formation de folk metal mongole la plus populaire en Chine, se souvient : « C’est un endroit où il peut faire jusqu’à – 30 degrés en hiver, mais il fait bon y vivre. Il y a beaucoup de statues de Bouddha et de démons. Elles m’effrayaient quand j’étais petit! J’avais aussi peur de croiser le regard des lamas. Mes parents m’ont appris à joindre les mains pour prier et à mettre de l’argent dans les troncs des temples. »
Mais c’est en arrivant à Pékin, où les deux groupes s’installent pour profiter des opportunités artistiques et logistiques de la ville, que les musiciens prennent encore plus conscience de la richesse de leur culture. Aheicha, le chanteur des impressionnants Ego Fall (looks de Huns madmaxiens, concerts musclés) explique : « C’est en quittant la prairie que nous avons vraiment compris qu’elle tenait une place sacrée dans nos cœurs. » Le groupe se forme en 2000, à une époque où la scène metal et rock pékinoise explose (grunge, punk, post‑punk).
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« En Chine, beaucoup de gens ne dépassent pas les stéréotypes. Ils pensent que tous les Mongols font du cheval et de la lutte et que notre musique se limite au folk. » Taiga
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Avec Tengger Cavalry (également formé en 2010), Ego Fall s’impose comme les pionniers de la scène folk metal mongole. Lu Ming, un dessinateur culte de manhua (bande dessinée) lui aussi d’origine mongole, se rappelle : « Tengger Cavalry était peut-être le plus brillant de tous ces groupes. Il a réussi à séduire le public américain du metal et son leader, Nature Ganganbaigal, s’est installé à New York. Hélas, il s’est suicidé en 2019. » Passionné par la culture de son peuple, comme le prouve son magnifique recueil Vent mongol (éd. Mosquito), Lu Ming est aussi guitariste dans une formation metal, Nubeer : « Nous ne faisons pas de folk metal, plutôt de l’indus/nu metal, mais nous utilisons quand même des chants de gorge. »
L’esprit mongol
Pour tous ces musiciens, l’utilisation d’instruments traditionnels a été une évidence. Aheicha (Ego Fall) continue : « Les adultes autour de nous jouaient de ces instruments. Ils symbolisent l’esprit de notre peuple et ses pensées humanistes, ainsi que le mode de vie de la prairie. » Ses espaces infinis, la glorieuse culture mongole et sa symbiose avec la nature sont les thèmes principaux de leurs paroles, écrites en langue mongole. Aheicha poursuit : « La Nature est notre mère à tous et, en l’observant, nous apprenons à vivre en harmonie avec elle et à être braves. »
Gangzi de Tulegur, quant à lui, n’hésite pas à aborder frontalement les problèmes environnementaux de sa région : « Je veux sensibiliser les gens qui m’écoutent aux problèmes causés par l’urbanisation galopante qui menace nos rivières et notre prairie », explique le chanteur. Mais, censure oblige, des sujets difficiles comme la sinisation de la province (remise en cause de l’enseignement en mongol, par exemple) s’avèrent impossibles à aborder directement.
De même, le fait que les Mongols soient désormais largement minoritaires (environ 15% de la population) dans leur « région autonome» chinoise, la Mongolie-Intérieure, ou les relations parfois compliquées entre les Mongols indépendants et leurs frères aux passeports chinois, paraissent tabous. Lu Ming précise: « Certains Mongols nous méprisent parce qu’ils considèrent que nous nous sommes rendus aux Chinois. Il est vrai que l’influence chinoise est très perceptible dans notre province depuis la dynastie Ming, mais, chez eux, c’est l’influence russe ! »
Au-delà du metal, la culture mongole inspire désormais le courant électro, comme l’enthousiasmant duo de psy/dub/trance ethnique Taiga qui est basé à Chengdu, dans le Sichuan (au sud-ouest du pays). Xi Leilei et Husile, ses fondateurs, sont tous deux mongols. « Chengdu est une ville très tolérante qui a un rythme assez cool et une scène artistique très forte », nous apprennent-ils. Comme leurs confrères du metal, ils espèrent que leur musique aidera la culture mongole à être mieux comprise. « En Chine, beaucoup de gens ne dépassent pas les stéréotypes. Ils pensent que tous les Mongols font du cheval et de la lutte et que notre musique se limite au folk, alors qu’en fait elle a évolué avec le temps » affirment les deux démiurges.
Pour Aheicha, la voix d’Ego Fall : « En Occident, le Mongol est toujours associé au conquérant et à la guerre alors que notre culture est extrêmement riche et positive. » Même son de tambour chez Uuhai, prometteuse formation de folk metal venue cette fois de Mongolie indépendante, apparue en 2020. Pour Otgonbaatar, son batteur et compositeur, il est clair que « le public international a envie d’en savoir plus sur notre histoire et notre culture. C’est peut-être à cause de l’aura de notre bien-aimé Gengis Khan. Nos chansons parlent d’empathie, d’amour et de respect de la Nature, toutes ces choses que nous chérissons ». Peace, alors.