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21 juillet 2017

Mura Masa, la révélation

par Francois Blanc

Le jeune prodige anglais Mura Masa sort un premier album surprenant où il dépasse largement le cadre étroit de la future bass des Flume et compagnie.

L’HOMME DE GUERNESEY

Alex Crossan est né (en 1996) et a grandi à Guernesey, cette petite île britannique plus proche de la Normandie que des côtes anglaises, qui a tant inspiré Victor Hugo et fut chantée par William Sheller. Autour de lui, une famille particulièrement passionnée de musique. « Mon père adorait ça, d’ailleurs il jouait de la basse. Il m’a appris la guitare dès mes sept ans, mais j’ai aussi fait de la basse comme lui, de la batterie, etc. Mes deux frères aussi font de la musique et j’ai intégré des groupes très jeune, dont certains avec l’un de mes frères, au lycée. Essentiellement des formations de punk et de métal un peu foireuses. Le problème c’est que Guernesey me mettait dans une forme d’isolement, c’était quasiment impossible d’y voir des concerts. »

LA SCÈNE SOUNDCLOUD

Sans live à aller le voir près de chez lui, le jeune homme vit la musique essentiellement par les canaux puissants d’Internet. « J’ai découvert la musique électronique quand je devais avoir 16 ans, par YouTube ou même grâce à Boiler Room. J’étais fan de toute la scène émergente du Royaume-Uni, comme James Blake, SBTRKT, Hudson Mohawke, etc. Je me suis intéressé à la manière dont ils produisaient leurs morceaux alors j’ai chopé quelques logiciels pirates pour m’y essayer. Ma première production, c’était une horreur dubstep. » Une décennie après la fameuse « ère MySpace », les jeunes producteurs se serrent les coudes sur SoundCloud. « Il y avait un genre de ‘scène SoundCloud’ avec des gens comme Kaytranada. On se parlait, s’échangeait des morceaux, s’envoyait des samples, c’était très stimulant. »

SUCCÈS PRÉCOCE

À 18 ans, son morceau « Lotus Eater », quelque part entre James Blake et Flume, attire la BBC Radio 1 et le fait décoller avec quelque cinq millions d’écoutes sur SoundCloud. De morceau en morceau, son profil s’étoffe. « J’étais à la fac de lettres à Brighton, on peut dire que cette attention soudaine m’a carrément déconcentré. Mais je suis un garçon plutôt sérieux et si j’ai choisi la musique, je l’ai fait de manière très consciencieuse, je ne sors pas trop, ce que j’aime c’est être chez moi (aujourd’hui à Peckham, dans le sud de Londres, ndr) à faire de la musique ou à traîner avec des potes. Et puis à Londres les clubs ferment, l’ambiance n’est pas folle. » D’ailleurs ce premier album il aura tout de même mis deux années à le boucler. « C’était super dur, avoue-t-il, mais je suis fier du résultat. »

DREAM TEAM

Ce qui impressionne d’abord sur ce premier album, qui porte simplement son nom, c’est la galerie d’invités vocaux phénoménale, onze sur treize morceaux, lui-même se chargeant du chant sur les deux restants. « Je ne me sens pas encore très confiant quant à ma voix, je ne suis pas le meilleur chanteur. D’ailleurs, sur scène, parfois je vire les morceaux où je dois chanter de la setlist en plein pendant le concert, parce que je ne le sens pas, ce qui énerve pas mal mon ingénieur du son. » (rires) On trouve au tracklisting les grosses stars Charli XCX et A$AP Rocky, des choix plus étonnants mais judicieux, comme Jamie Lidell ou Christine & The Queens… et même Damon Albarn, rien que ça. « Il m’avait invité en studio pour que je travaille sur le nouvel album de Gorillaz. On a parlé, échangé des sons. Finalement, il a posé sa voix sur un morceau de mon album. Le jour où il m’a envoyé la piste vocale, je crois que je n’avais jamais été autant excité de ma vie. Je me suis précipité pour terminer le titre le jour même. »

ET ALORS ?

On aurait pu s’attendre à une compilation de morceaux future bass dans l’air du temps, mais si le style est présent (et ne représente pas les meilleurs moments du disque), Mura Masa impressionne par ses prises de risque et sa liberté de ton dans un disque assez varié et franchement convaincant. Sa grande copine, la très talentueuse Bonzai, dont il publie la musique sur son propre label Anchor Point, hérite notamment du gros tube « Nuggets ». Jamie Lidell fait lui des merveilles sur le forcément funky « Nothing Else », pas si loin de ce que Lidell a pu sortir sur Warp. Christine & The Queens s’en sort admirablement bien sur le R&B synthétique et minimaliste de « Second 2 None ». Le morceau avec A$AP Rocky, le déjà connu « Lovesick », ne fait pas dans l’originalité avec ses steel drums, mais est des plus efficaces. Damon Albarn clôt le disque sur une très jolie ballade électronique inondée d’une douce lumière estivale. Là où Flume avait tenté le passage en force sur son deuxième album indigeste, Mura Masa la joue en finesse, malin et se révèle plutôt de la trempe des Kaytranada ou SBTRKT.

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