©Emmanuelle Descraques

Non mais cette reprise de Mylène Farmer au piano façon Satie par Joseph Schiano Di Lombo…

On l’in­vi­tait fin mars au Mai­son Tsu­gi Fes­ti­val, où il nous offrait 40 min­utes de con­tem­pla­tion audi­tive seul avec son syn­thé Clavia Nord Stage : l’artiste aux mul­ti­ples tal­ents Joseph Schi­ano di Lom­bo dévoile un pre­mier EP qui sor­ti­ra demain, Sans Con­tre­façon, com­posé de deux repris­es de Mylène Farmer au piano, l’une façon Satie (qu’il nous offre en avant-première), l’autre façon Debussy.

Joseph Schi­ano Di Lom­bo n’est pas qu’un pianiste, c’est un artiste au sens large : il des­sine, il écrit, il com­pose. Orig­i­naire de Savoie et désor­mais basé à Paris, le jeune artiste de 29 ans a déjà un prodigieux par­cours de touche-à-tout. Essayons de résumer briève­ment : il a écrit pour l’Opéra nation­al de Paris, a dess­iné pour France Cul­ture (et pour Tsu­gi, aus­si), a présen­té des expo­si­tions per­son­nelles et col­laboré à des expos col­lec­tives, a joué seul ou accom­pa­g­né lors de nom­breuses représen­ta­tions, et il pub­liera son pre­mier roman en 2021. En févri­er, il sor­tait le morceau « If You Had My Love », reprenant d’une manière sin­gulière­ment per­son­nelle Jen­nifer Lopez. Il réitère demain avec l’EP Sans Con­tre­façon, tou­jours dans l’idée de s’ap­pro­prier des tubes de musique pop pour les présen­ter sous un tout nou­veau jour.

 

Joseph Schiano Di Lombo

©Mar­i­on Berrin

Qui es-tu et d’où viens-tu, Joseph Schi­ano Di Lombo ?

« Je suis un garçon », comme dit la chan­son ! C’est telle­ment tout et rien, de dire ça, que je serais ten­té d’en rester là ! Je me sou­viens pré­cisé­ment de la fois où, enfant, au milieu de nulle part, sur un sen­tier rem­pli de sen­sa­tions et de pen­sées que j’ai oubliées (parce qu’il leur man­quait peut-être cette fraîcheur qu’ont les gouf­fres) m’est venue l’idée que je serai désor­mais un garçon pour de bon. Avant ça, je flot­tais un peu. Mais quand je croy­ais avoir enjam­bé la ques­tion, quand je croy­ais être fixé, le gouf­fre est resté pas loin. Comme dit Vir­ginia Woolf dans son roman Orlan­do : « Rien n’ex­iste ». J’aime cette phrase, elle trou­ble comme il faut. Entre les bor­ds du gouf­fre chéri, der­rière le “garçon”, miroitent toutes les vari­a­tions de la forme, tous les échos de l’éthos, les failles et les feintes de la vie sous la carte d’i­den­tité, les impro­vi­sa­tions de l’être, ce qui le façonne, ce qui le con­tre­façonne. Si je suis un garçon, rien ne m’empêche d’être autre chose qui rime en ‑on. Un héron ? Du phy­to­planc­ton ? Non, c’est ça, c’est dans la chan­son : «Je suis caméléon».

 

Qu’as-tu voulu créer avec cet EP ?

Je chéris toutes les approches qui peu­vent venir per­turber le cliché du démi­urge, c’est-à-dire celui qui crée ex nihi­lo (à par­tir de rien). Ce qui me touche, c’est de com­pren­dre que nous nous influ­ençons tou·te·s, que nous tra­vail­lons un même matéri­au, que ce qu’on croit être soi est tis­sé de ce qu’on appelle les autres, qu’il est doux de s’avoir l’ac­cueil­lir — quelle que soit la dis­ci­pline dont on par­le — et que styles et épo­ques sont per­méables. Un joyeux com­post, où les morts et les vivants cohab­itent et dia­loguent ! C’est pour cela que j’ai pen­sé le terme “compost-itions” pour nom­mer ces repris­es. Je l’ai trafiqué près avoir lu la penseuse fémin­iste Don­na J. Har­away, qui utilise la métaphore du com­post et de l’hu­mus pour re-penser la place de l’Hu­man­ité au sein d’une planète endom­magée. On ne devrait pas par­ler de “post-humanité, dit-elle, mais de “com­post” ; pas d’Hu­man­ités, mais d’Hu­musités. L’hu­mus, dans la nature (comme le com­post), c’est un proces­sus con­tinu et fab­uleux de mort et de vie : la pour­ri­t­ure aide les graines neuves à ger­mer. J’ai envie que la musique qui me tra­verse soit une “humusique”. Je ne veux pas être com­pos­i­teur, mais compost-iteur.

 

Je chéris toutes les approches qui peu­vent venir per­turber le cliché du démi­urge, c’est-à-dire celui qui crée ex nihi­lo (à par­tir de rien).”

 

Joseph Schiano di lombo

©Alfre­do Piola

Quelles sont tes inspirations ?

Mes influ­ences transparais­sent claire­ment dans ces deux petites pièces pour piano : ce qu’on appelle la « musique française », c’est mon péché mignon (Debussy, Fau­ré, Séver­ac et mon héros Rav­el). Mais par chance je n’ai pas gran­di dans un univers de clas­siqueux, je puise aus­si à d’autres sources ! Si ma mère écoutait le Requiem de Mozart en boucle pen­dant qu’elle était enceinte (j’adore d’ailleurs l’idée d’avoir ger­mé au milieu de la messe des morts), c’est surtout la var­iété française qui pas­sait à la mai­son : Jean-Jacques Gold­man, Véronique San­son, Le Foresti­er, Mau­rane, Alain Sou­chon, France Gall, Éti­enne Daho… Et — bien enten­du — Mylène Farmer !

 

Avec qui as-tu tra­vail­lé sur cet EP ?

Ça peut son­ner weirdo, mais j’ai vrai­ment l’im­pres­sion d’avoir tra­vail­lé avec ces per­son­nes qui, vivantes ou mortes, sem­blent à pri­ori trop loin de moi pour être appelées des collaborateur·rice·s. Mylène Farmer, déjà, mais aus­si le com­pos­i­teur de ladite chan­son, Lau­rent Bou­ton­nat. Quant à Debussy et son ami Satie, tout morts qu’ils sont, ils y ont mis tous les deux leur grain de sel et de sépul­ture ! Debussy, surtout, a forgé ce que j’ap­pellerai prudem­ment « mon style » — qui, pour rester vivant, peut être gravé sur vinyle mais pas dans le mar­bre… Dans les gens qui sont plus proches de moi, je suis entouré de belles per­son­nes, qui me prê­tent une oreille et par­fois une main, je pense plus par­ti­c­ulière­ment à mon ami musi­cien Clé­ment Var­iéras (son nom d’artiste : Var­iéras) et à Sam Tiba, qui m’a invité à faire cette série sur son label (Land Arts).

 

C’est quoi la suite pour toi ?

La suite pren­dra des formes et explor­era des ter­ri­toires un peu dif­férents, notam­ment via des col­lab­o­ra­tions. Avec Saint DX et Clara Cap­pagli (la chanteuse d’A­gar Agar) très bien­tôt, mais aus­si deux musi­ciens de la scène elec­tro : Mari­no ain­si que Tocor. Avec l’un, on développe un pro­jet hydride joyeux et bizarroïde, avec l’autre on explore une dub très planante et syn­thé­tique ! D’autres pro­jets aus­si arrivent, mais je ne peux pas encore en parler…

Joseph Schiano di lombo

©Rebek­ka Deubner

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