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Clément Vaché (premier rang au milieu), avec l'équipe des Pingouins et Laurent Garnier, 1994
27 août 2019

« On pensait qu’on pouvait changer la société grâce à nos soirées » : rencontre avec Clément Vaché, pionnier des raves françaises

par Alexis Bernier

Il a été disquaire chez Daphonics à Paris, s’est longtemps occupé du département musique du défunt magasin Colette et fait aujourd’hui du consulting musical dans l’univers de la mode. Mais Clément Vaché est aussi un des deux membres d’Aswefall, dont le morceau aux accents velvetien « Between Us » a été un tube dans les années 2000 et fut la musique d’une célèbre publicité pour Air France. Il sort en solo le morceau « L’invisible » dont nous dévoilons le clip nostalgique réalisé à partir d’images de la Tribu des Pingouins, organisateurs des raves Boréalis dans les années 90. Pour Tsugi, Clément Vaché raconte cette époque.

Clément Vaché : Aswefall est un projet que je partage avec Léo Hellden, qui est dorénavant très occupé avec Camp Claude et Tristesse Contemporaine. D’autant que j’ai moi-même moins le temps pour faire de la musique à cause de mon travail. Depuis Bleed en 2005 sur Kill The Dj et Fun Is Dead en 2010 nous n’avons pas sorti d’album. Mais je continue à faire de petites choses de temps en temps en solo, sous le nom de Clément ASWF, comme ce morceau « L’invisible », qui a été remixé par Pierre Rousseau (ex-Paradis). Le climat de la version de Pierre m’a ramené dans les années 90, à l’époque des raves, d’où l’idée de l’illustrer avec les archives visuelles de la Tribu des Pingouins.

Au début des années 90, à Montpellier, tu faisais partie de la Tribu des Pingouins, un collectif comme on dirait aujourd’hui, pionnier de la scène électronique du sud de la France.

Clément Vaché : Les Pingouins sont une bande d’amis qui s’est constituée à partir de 1991 à Montpelier et qui a vécu intensément l’arrivée de la techno. Cette musique a été comme un ouragan dans nos vies. Nous vivions ensemble, hyper soudés, et on en a eu rapidement marre de devoir faire des centaines de kilomètres pour aller à une rave tous les week-ends, alors on a fait les nôtres en s’inspirant de précurseurs comme Manu Casana ou le collectif Fantom qui organisa la célèbre Nostromo à Issy-les-Moulineaux en 1993. On bricolait avec des bouts de ficelles au début, mais une fête est sortie du lot, Boréalis. La première a eu lieu en 1993 à Pezenas, sur le parking d’une discothèque locale, et a réuni 2000 personnes avec Liza N’Eliaz et Jack de Marseille notamment. Très vite Boréalis a grossi, devenant plus professionnel. En 1994 puis en 1995, nous avons fait deux éditions aux arènes de Nîmes avec les plus gros artistes de l’époque Orbital, The Orb, Underworld, Jeff Mills… Ces deux soirées nous ont fait exploser, nous sommes devenus une sorte de référence dans le milieu des raves en France.

Et c’est comme ça que vous initiez la rave Polaris à la Halle Tony Garnier de Lyon en février 1996. Une soirée qui est entrée dans l’histoire…

Clément Vaché : Polaris a marqué les esprits, car la soirée a été annulée 24 heures avant son ouverture par la préfecture de police. Cette annulation – sous la pression du milieu des boîtes de nuit locales qui avait peur de voir disparaître son public et faisait un intense lobbying anti-techno – d’une rave qui au départ était tout à fait légale et organisée de manière parfaitement professionnelle, marque le pic de la répression anti-techno en France. C’est à cette occasion qu’a été créée l’association Technopol, qui défend aujourd’hui encore la scène électronique auprès des pouvoirs publics.

Ensuite de 1997 et 1998, retour à Montpellier pour deux Boréalis qui ont aussi marqué l’époque.

Clément Vaché : A Montpellier, nous avions le soutien de la mairie ; Boréalis a pu grossir sereinement avec des artistes comme les Daft Punk, Laurent Garnier, Autechre… En 1998, on a même eu un des rares live de Stardust. Boréalis accueillait 30 000 personnes cette année-là.

Le festival a grossi continuellement jusqu’à la catastrophe de 1999.

Clément Vaché : Cette édition devait être l’apothéose d’une décennie de fête, mais la veille de la soirée, il y a eu un immense orage qui a ravagé tout le site. Le lendemain, il a fallu annuler Boréalis car la météo était trop instable. Cette annulation a marqué la fin d’une époque, la fin des Pingouins et métaphoriquement la fin d’une certaine idée de la fête. Il avait fallu se professionnaliser pour organiser des soirées de plus en plus importantes et s’éloigner de l’utopie des débuts. Nous nous sentions parfois « déracinés ».

La fin des Pingouins, c’est un peu la fin de l’utopie techno ?

Clément Vaché : Nous étions une dizaine de Pingouins au départ puis une trentaine, avec toujours plus de filles que de garçons dans l’organisation et un fonctionnement totalement démocratique. Il n’y avait pas de chef chez les Pingouins et c’était souvent le bordel. Nous étions les derniers Mohicans des utopistes techno. On pensait sincèrement qu’on pouvait changer la société grâce à nos soirées. Avec le recul, cela semble dingue. C’était naïf, mais cette conviction nous a fait réaliser des choses qui paraissaient impossibles. On pouvait abattre des montagnes pour faire une soirée. C’est difficile à comprendre aujourd’hui. Tout était à inventer, il n’y avait pas de sponsoring, ni de subvention, et surtout on n’en voulait pas. Quand je vois ce qu’est devenue la scène aujourd’hui avec ces DJs stars, ces cachets qui flambent (pour Boréalis en 1997, on a payé les Daft Punk 50 000 francs, soit 7500 euros) et les marques un peu partout, je me dis qu’on a créé un monstre qui nous a échappé. Il faut vivre avec, mais si j’étais jeune aujourd’hui, j’aurais envie de fuir ce mouvement. La scène a quelque chose qui n’est plus du tout humain.

Que sont devenus les Pingouins ? Sont-ils nombreux à travailler dans le monde de la musique ?

Clément Vaché : Peu, malheureusement. Forts de leur expérience, certains travaillent dans la sonorisation et la production d’événements, d’autres pour les Nations Unies ou d’importantes sociétés, mais certains sont malheureusement simplement au chômage. Nous nous sommes un peu tous dispersés. On avait envisagé de refaire une soirée il y a quelque temps, mais entre les normes de sécurité qui sont devenues très sévères, les cachets des DJs qui ont explosé, la seule chose qu’on pourrait encore organiser « à l’ancienne » serait une soirée dans le coffre d’une voiture. On a laissé tomber.

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