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© V Maitre
21 juin 2018

Photographie : la nuit au révélateur

par Tsugi

Art singulier, la photographie des soirées a bien d’autres buts que la seule captation des visages et des corps de danseurs ébahis. Immersion dans la chambre noire de ces photographes spécialisés, en reportage permanent dans l’univers de la nuit.

Exception faite des clubs qui jouent la carte Berghain en rendant aveugles nos smartphones, il est peu de soirées qui restent à la nuit. De chacune d’entre elles naît une foule d’images et d’enregistrements qui se retrouvent pour la plupart sur la toile le lendemain, là pour capter la puissance d’un drop, ici pour donner à voir au plus profond de la fête. Parmi ces faiseurs d’images noctambules, ils sont plusieurs à avoir choisi les nuits parisiennes comme terrain de jeu intarissable, déroulant chaque week-end l’énergie de grandes messes collectives que vient capter l’œil du photographe.
Avant d’être un métier – qui paye d’ailleurs assez mal –, la photographie de soirée est un genre photographique à part entière, avec ses pionniers, ses références, ses codes et ses courants. “La photographie de soirée est un sous-genre du reportage social. Des photographes n’ont presque fait que ça d’ailleurs”, nous apprend Hervé Coutin, fondateur et directeur de la publication du magazine Bad To The Bone, qui accueille dans ses pages la crème de la photographie contemporaine. Mais si l’on a tous en tête des images de foules noyées dans des jeux de lumières enfumés ou des corps en transe irradiés au ash, qu’est-ce qui fait une bonne photo de soirée ? Selon Hervé, seuls importent “les gens, l’histoire que l’on peut imaginer en regardant la photo ou la signification de tel ou tel détail”. Et lorsqu’on le provoque en lui demandant si la photographie de soirée, entre baisers volés, collants troués et torses tatoués, ne risque pas de tourner en rond, il nous rassure: la scène est particulièrement dynamique et regroupe des artistes aux écritures singulières. L’impression se confirme en scrollant sur les pro ls Instagram de Rebecca Topakian, Victor Maître et Charlotte Gonzalez, les trois photographes que nous avons décidé de suivre dans leur exploration de la nuit.

L’esthétique de l’apparition

Rebecca Topakian donne à voir l’espace-temps du club comme jamais auparavant en s’immergeant dans la nuit des raves parisiennes et des soirées gabbers. À l’ultra-violence des BPM et l’abandon des corps, elle répond par une esthétique de l’apparition – ou de l’extraction. Tra quant son appareil et son ash pour ne retenir que les infrarouges, elle découpe des corps en mouvement, surpris dans une nuit homogène, et les donne à voir, fantômes extatiques, dans une transe semi-mythique. Dans le club, la musique crie, les danseurs s’agitent et leurs foules de questions disparaissent, mais l’artiste ne retient de cette scène frénétique qu’un geste, qu’un regard, qu’une vision d’abandon. C’est à une esthétique du snapshot que répond Victor Maître lorsque, danseur virevoltant dans les afters de la capitale, il découpe la nuit à grands coups de ash, tantôt surprenant le sujet dans son oubli de soi, tantôt esquissant avec lui les premiers pas d’une danse en duo que les éclats de lumière n’interrompent pas. En écho aux travaux de Jacob Aue Sobol & Anders Petersen (photographes scandinaves réputés, ndr), le fil Insta de Victor se fait la galerie de portraits et de moments d’une nuit infinie auquel il donne corps et visage. “J’aime bien les corps nus, les atmosphères un peu dark ou sales, j’aime bien rendre crade mes négatifs, pousser le grain, travailler mes images au corps.

La suite à retrouver en kiosque ou sur notre boutique en ligne

Arnaud Idelon

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