đ€ Pourquoi aucune rappeuse nâa encore pris la place de Diamâs, selon son ex-manageuse
Nicole Schluss cumule les casÂquettes. FonÂdaÂtrice de la maiÂson dâartistes DerÂriĂšre Les PlanchÂes, elle manÂage Oxmo PucÂciÂno et a Ă©tĂ© lâune des preÂmiĂšres manÂageuses de Diamâs. MemÂbre du jury du tremÂplin fĂ©minin musiÂcal Rappeuses en libÂertĂ©, qui veut âfavorisÂer lâĂ©merÂgence dâune nouÂvelle gĂ©nĂ©raÂtion de rappeuses en Franceâ, elle nous en dit plus sur la place des femmes dans le rap game et lâĂ©voÂluÂtion du statut du hip-hop hexagÂoÂnal⊠Sans oubliÂer de revenir sur son expĂ©riÂence avec Diamâs. Rencontre.
Si on savait prĂ©dire les tubes, alors on serait tous trĂšs richÂes, mais avec âLa Bouletteâ on sâest dit : « Si ça, ça ne parÂle pas Ă tout le monde, quâest-ce qui parÂlera aux gens ? »

Nicole Schluss, ex-manageuse de Diamâs
Pouvez-vous nous parÂler un peu de Rappeuses en LibÂertĂ©. Quâest-ce qui vous a donÂnĂ© envie de rejoinÂdre le jury ?
Il sâagÂit dâune iniÂtiaÂtive imagÂinĂ©e pour poussÂer les rappeuses françaisÂes Ă se lancer avec un ensemÂble dâacÂcomÂpaÂgÂneÂments, comme des heures de forÂmaÂtion au StuÂdio des VarÂiĂ©tĂ©s. LâidĂ©e est dâaller dĂ©nichÂer celles qui Ă©crivent dans leur coin, qui chantent et qui rapÂpent dans leur chamÂbre, pour les metÂtre en lumiĂšre et les encourÂager. Jâai Ă©tĂ© sĂ©duite par le proÂjet car sâil existe plusieurs rappeuses en France [le site Madame Rap recense un peu plus de 300 rappeuses pro, ndr], mais on peut se demanÂder oĂč elles sont dans les charts⊠ComÂment ça se fait, que depuis lâarÂrĂȘt de la carÂriĂšre de Diamâs en 2012, aucune rappeuse nâa eu son retenÂtisseÂment ? Ăa reste un mysÂtĂšre pour moi.
ComÂment cela se fait quâune Shay ou une Le JuiÂice nâatÂteigne pas le nomÂbre dâĂ©Âcoutes de leurs homoÂlogues masÂculins ? Le rap est-il macho ?
Je ne pense pas quâon puisse dire quâil nâaime pas les femmes car si on regarde bien, ce sont souÂvent des femmes qui sont derÂriĂšre les carÂriĂšres des rappeurs les plus puisÂsants du rap. Mais câest vrai que pour eux, il existe une difÂfĂ©rence entre le fait dâĂȘtre materÂnĂ© (par des attachĂ©s de presse, des manÂageuses, des DA de labels, etc), lâimÂage de la mĂšre Ă©tant intouchÂable pour les rappeurs, et le fait de se batÂtre dans un cypher [batÂtle de rap entre plusieurs rappeurs, ndr] avec une femme sur un freestyle. Le rap, câest un vrai matriÂarÂcat. Mais perÂsiste cette dichotomie entre la femme qui lutte sur le ring et celle qui se bat pour lui. Et MĂ©lanie, elle, nâhĂ©siÂtait pas, elle fonçait. Elle affichait pourÂtant une image trĂšs fĂ©miÂnine, Ă ses dĂ©buts, avec ses cheveux longs. Mais elle entrait dans lâarĂšne comme une boxeuse, sâen foutant des jugeÂments. Et elle traĂźÂnait en bas de chez elle avec les mecs des quartiers. Peut-ĂȘtre quâaujourdâhui, les femmes ont un peu plus de retenue⊠quâelles nâosent pas touÂjours, par peur du regard des autres.
Il y a peut-ĂȘtre plus de pudeur en Europe quâaux Ătats-Unis, ce qui explique quâil y ait peu de Lil Kim ou de NicÂki Minaj françaisÂes. Si aux Ătats-Unis, des rappeuses comme CarÂdi B ou Megan The StalÂlion sont mĂ©diÂatisĂ©es, câest peut-ĂȘtre justeÂment parce quâelles y vont franÂco. Elles sont comÂplĂšteÂment dĂ©comÂplexĂ©es, nâhĂ©siÂtant pas Ă monÂtrÂer leurs boules, Ă ĂȘtre ultra fĂ©minines et sâen foutre de ce que lâon dira. Elles se serÂvent de leur corps comme dâune arme face aux hommes. Cette attiÂtude nord-amĂ©ricaine rentre-dedans Ă la CarÂdi B fait dâailleurs peur aux rappeurs français. Ils me disÂent souÂvent que ça leur met la pression.
âComÂment ça se fait, que depuis lâarÂrĂȘt de la carÂriĂšre de Diamâs, en 2012, aucune rappeuse nâa eu son retenÂtisseÂment ? Ăa reste un mysÂtĂšre pour moi.â
On a vu Ă©clater des affaires dâaÂgresÂsions chez les rappeurs rĂ©cemÂment. ComÂment ça se pasÂsait il y a une ou deux dĂ©cennies ?
On nâen parÂlait pas du tout. Ăa arrivait mais les hommes comme les femmes se muraient dans le silence. Il semÂblait sous-entendu que les hommes dĂ©teÂnaient le pouÂvoir et donc, une sorte dâacÂcepÂtaÂtion des mains aux fessÂes et des remarÂques sexÂistes rĂ©gÂnait, accomÂpaÂgÂnĂ©e dâune forme de honte. En maiÂson de disÂques, ça nous faiÂsait chiÂer, mais on se disÂait : âQuoi quâil arrive, on va vous prouÂver quâon est les meilleuresâ. On a vraiÂment assistĂ© Ă une prise de conÂscience ces derniers mois par rapÂport à ça, ce qui est une bonne chose.
Quels souÂvenirs gardez-vous des cinq annĂ©es oĂč vous avez manÂagĂ© Diamâs ?
Elle venait de sorÂtir « DJ » (2003) et son directeur de label chez EMI mâa appelĂ© en me disÂant quâelle voulait changÂer de manÂagÂer, alors quâelle Ă©tait en maqueÂtte pour son prochain album, Dans Ma Bulle [qui sorÂtiÂra en 2006, ndr]. Elle ne traÂvailÂlait quâavec des hommes et tenait Ă bossÂer avec une fille. Je lâavais dĂ©couÂverte Ă lâĂ©poque de la sorÂtie de lâalÂbum de DJ MehÂdi, (The StoÂry Of) EspiÂon (2002) sur lequel elle appaÂraisÂsait en feaÂturÂing. Quand elle a dĂ©barÂquĂ© au showÂcase de prĂ©senÂtaÂtion du disque de MehÂdi, câĂ©Âtait la rĂ©vĂ©laÂtion. Une bombe lumineuse incroyÂable Ă lâĂ©nÂergie dĂ©voÂrante et au talÂent dĂ©ment. Mais je nâavais pas aimĂ© lâimÂagerie autour de son preÂmier album, Brut de Femme, et de ce tube, « DJ ». Je trouÂvais ça un peu vulÂgaire, appuyĂ©, trop popÂuÂlaire et clichĂ© alors que, justeÂment, MĂ©lanie est quelquâun de trĂšs subÂtil. Quand je lâai renÂconÂtrĂ©e pour la preÂmiĂšre fois, on avait rendez-vous Ă 13h et on est sorÂties de table Ă 17h. On sâest trouÂvĂ© plein de points comÂmuns, ce qui reste essenÂtiel pour un parteÂnarÂiÂat artiste-manager qui ressemÂble Ă un mariage. Le lendeÂmain, elle mâa envoyĂ© un CD avec les titres les plus somÂbres de Dans Ma Bulle comme « Feuille Blanche » et « T.S. ». Et lĂ , jâai craquĂ©. LâĂ©criÂtÂure, le flow, son timÂbre si perÂsonÂnel transÂmetÂtant plein dâĂ©ÂmoÂtions, tout Ă©tait lĂ .
Je me souÂviens du moment oĂč elle a Ă©crit « La Boulette » quâon a ensuite retitrĂ© « La Boulette (GĂ©nĂ©raÂtion nan nan) » quand câest devenu lâhymne des manÂiÂfesÂtaÂtions Ă©tuÂdiÂantes qui scanÂdaient « GĂ©nĂ©raÂtion nan nan ». LâalÂbum Ă©tait terÂminĂ© et pourÂtant, elle nâen dĂ©morÂdait pas : elle trouÂvait quâil manÂquait un morceau fort et Ă©viÂdent. Elle a demandĂ© Ă ses proÂducÂteurs de bossÂer toute la nuit et le lendeÂmain, elle a Ă©crit, en trĂšs trĂšs peu de temps, le texte. Quand elle mâa appelĂ©, surexÂcitĂ©e, pour venir lâĂ©Âcouter en stuÂdio, jâai senÂti quâil se pasÂsait un truc. Si on savait prĂ©dire les tubes, alors on serait tous trĂšs richÂes, mais lĂ on sâest dit : « Si ça, ça ne parÂle pas Ă tout le monde, quâest-ce qui parÂlera aux gens ? »
Alors quâelle a pris sa retraite il y a presque dix ans, elle reste une influÂence majeure pour la nouÂvelle gĂ©nĂ©raÂtion (Hatik comme CamĂ©lia JorÂdana qui lâa reprise avec Vitaa et Amel Bent). Presque un milÂlion de perÂsonÂnes la streaÂment chaque mois sur SpoÂtiÂfy. ComÂment lâexpliquer ?
Elle est restĂ©e prĂ©sente dans le cĆur des gens, je pense, grĂące Ă sa gĂ©nĂ©rositĂ©, son entÂhouÂsiÂasme. Quand on fait parÂtie de son entourage, on entre dans une bulle de bonÂheur. Mais surtout, grĂące Ă sa sincĂ©ritĂ©. Elle nâuÂsait dâauÂcun artiÂfice, que ce soit sur scĂšne ou dans ses morceaux. Elle aimait les gens, son pubÂlic, rĂ©pondait Ă ses fans. Elle a parÂlĂ© de sa bipoÂlarÂitĂ© sur son album S.O.S. (2009), car elle avait besoin de dire au monde entier quâelle soufÂfrait. Il falÂlait que tout le monde la comÂprenne pour mieux se retrouÂver. CâĂ©Âtait avant que plusieurs artistes nâĂ©voÂquent leurs probÂlĂšmes de sanÂtĂ© menÂtale. Aujourdâhui, câest ce quâon cherche, les proÂjets « vrais », car tout le monde se planque derÂriĂšre les rĂ©seaux sociÂaux, les phoÂtos, le marÂketÂing. Et puis, câest une femme qui a venÂdu Ă©norÂmĂ©Âment dâalÂbums, alors, forÂcĂ©Âment, ça inspire.
âCette attiÂtude nord-amĂ©ricaine rentre-dedans Ă la CarÂdi B fait dâailleurs peur aux rappeurs français. Ils me disÂent souÂvent que ça leur met la pression.â
Vous avez ausÂsi traÂvailÂlĂ© comme direcÂtrice marÂketÂing chez DelaÂbel, avec IAM. Puis avec votre maiÂson de proÂducÂtion, DerÂriĂšre les PlanchÂes, pour les Sages PoĂštes de la Rue. Vous manÂagez actuelleÂment Oxmo PucÂciÂno. ComÂment percevez-vous lâĂ©voÂluÂtion du rap vers le mainstream ?
Je me rĂ©jouis de ce qui est arrivĂ© Ă cette musique qui mĂ©rite vraiÂment sa place. Quand jâai dĂ©butĂ© en maisons de disÂques, dans les annĂ©es 90, le rap, câĂ©Âtait surtout des batÂtles de punchÂlines dures sur de gros beats. Quand Oxmo a sorÂti OpĂ©ra PucÂciÂno, en 1998, jâĂ©Âtais chez DelaÂbel. Il y avait alors dâun cĂŽtĂ© le rap vioÂlent qui parÂlait de la vie dans les quartiers, et de lâautre, des tubes popÂuÂlaires comme « Je Danse le Mia » dâIÂAM et ceux de MC Solaar. Est arrivĂ© Oxmo, ce type Ă©trange de presque deux mĂštres qui nous raconÂtait, pas seuleÂment des faits rĂ©els, mais des hisÂtoires en endosÂsant dâautres cosÂtumes comme ceux de mafieux. OpĂ©ra PucÂciÂno est devenu un piliÂer du rap mais il a Ă©tĂ© dur Ă proÂmouÂvoir Ă lâĂ©poque. Il nâa Ă©tĂ© disque dâor que quelques annĂ©es aprĂšs sa sorÂtie. AujourÂdâhui, le rap est devenu beauÂcoup plus riche. Il existe plusieurs raps. Et lâauÂtoÂtune a perÂmis Ă plus de monde de chanter. Le rap sâinÂscrit dĂ©sorÂmais dans la chanÂson. Ce nâest pas pour rien que les rappeurs pubÂlient des livres. Oxmo, Kery James, AkhenÂaton, GaĂ«l Faye. Le rap, câest avant tout de lâĂ©criÂtÂure, que ce soit de choses vĂ©cues ou invenÂtĂ©es. Ce sont vraiÂment des maĂźtres de plume.
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