L'incendie de l'usine Apollo Transco le 6 février 2020

Pourquoi l’incendie de l’usine de laque à vinyle n’a pas été une “catastrophe” pour l’industrie ?

Un an après l’in­cendie en févri­er 2020 d’Apol­lo Transco en Cal­i­fornie, la plus grosse usine de laque à vinyle du monde, nous avons voulu pren­dre des nou­velles de toute la fil­ière en France et faire le point sur ce qui s’an­nonçait comme une cat­a­stro­phe glob­ale pour l’in­dus­trie du disque vinyle.

Cela aurait pu être un effon­drement, une cat­a­stro­phe, faire des rav­ages, et au bas mot met­tre une indus­trie toute entière “en dan­ger”. Lorsque l’usine de fab­ri­ca­tion de laque pour vinyle Apol­lo Transco par­tait en fumée en févri­er dernier, c’é­tait 80% de la pro­duc­tion mon­di­ale de vinyles qui s’ar­rê­tait brusque­ment et toute une indus­trie qui ser­rait les dents. Un an plus tard, on se pose la ques­tion : quelles ont réelle­ment été les con­séquences et ont-elles été si cat­a­strophiques comme annon­cées ? Et avec la crise san­i­taire qui se déclen­chait en France un mois plus tard, com­ment le secteur a‑t-il fait face ? Tsu­gi est allé inter­roger toute la chaîne de l’in­dus­trie du vinyle, des fab­ri­cants aux dis­trib­u­teurs, des labels aux disquaires.

C’était la ruée vers le skeud.”

 

Rappel technique et contexte

Jean-Rémi de chez Kuroneko

Jean-Rémi de chez Kuroneko / © D.R

Le 6 févri­er dernier, avec l’incendie de l’u­sine Apol­lo Transco, c’est 80% de la pro­duc­tion mon­di­ale de laque des­tinée à fab­ri­quer les vinyles qui par­taient en fumée : “Beau­coup de jour­nal­istes ont annon­cé que c’était une usine de vinyle qui avait brûlé, mais Apol­lo ne fab­ri­quait que la laque” rap­pelle Jean-Rémi du ser­vice de pres­sage et fab­ri­ca­tion de vinyles Kuroneko. Il explique : “Il y a deux façons de graver un vinyle : la gravure sur laque, la manière his­torique de la fab­ri­ca­tion de vinyle, plus chère mais réputée plus fidèle ; et la gravure sur cuiv­re, moins chère car réu­til­is­able (là où une plaque de laque est à usage unique).”

La seule autre usine à pro­duire de la laque – encore aujour­d’hui tant qu’Apol­lo n’a pas rou­vert – est japon­aise et répond au nom de MDC. Jean-Rémi ajoute : “Nous, chez Kuroneko, étions clients d’Apollo – comme énor­mé­ment d’usines – mais aus­si de MDC. Quand Apol­lo a brûlé, tout le monde s’est rabat­tu sur MDC, sauf que MDC ne pre­nait plus de nou­veaux clients car ils ne pou­vaient pas les fournir. Donc beau­coup d’usines ont dû compter sur leur stock de laque (car on fait des réserves, on ne fonc­tionne pas à flux ten­du) ou pass­er par des reven­deurs de laque (des clients de MDC), ou encore utilis­er la gravure sur cuiv­re”.

Pareil pour Chat Noir Dis­tri­b­u­tion, nous con­fie Sampieru : “Nous étions déjà clients de l’entreprise japon­aise, donc pour nous, le prob­lème a duré moins de deux semaines car nous nous sommes totale­ment rabat­tus sur MDC. On a été chanceux.”

 

Les flammes du confinement

Les con­séquences de cet incendie ont en fait été rel­a­tive­ment mesurées, et surtout bien gérées par une fil­ière réac­tive et rodée : “La con­séquence a cer­taine­ment été une aug­men­ta­tion des prix des vinyles, vu que le prix des laques a aug­men­té au bout de deux semaines, con­fir­ment Antoine et Jérôme de l’en­tre­prise française de pres­sage et fab­ri­ca­tion M com’ Musique. Mais elle a été min­ime et absorbée facile­ment pour la plu­part des dis­trib­u­teurs ou graveurs… Même si les labels indépen­dants l’ont davan­tage sen­ti passer.”

C’est l’effet major (…) tous les labels indépen­dants sont passés à la fin.”

Un incendie sans rel­a­tive grav­ité com­paré à l’im­pact de la COVID-19 et de l’arrivée bru­tale d’un pre­mier con­fine­ment qui a sur­pris le monde tout entier. Thomas, du label house français Pont Neuf, explique : “L’impact de cet incendie n’a pas été si grand par rap­port à la sit­u­a­tion san­i­taire qui s’est instal­lée ensuite. La Covid a eu un impact mon­strueux sur les délais de pres­sage, aus­si parce que tout le monde décalant son plan­ning, on s’est retrou­vés à vouloir press­er nos vinyles tous en même temps. C’était la ruée vers le skeud.Et dans ces cas-là “ce sont tou­jours les mêmes qui trin­quent”, rap­pelle Sampieru : “Le gros désas­tre a surtout été toutes ces sor­ties qui ont été décalées à cause du pre­mier con­fine­ment, ce qui a amené toutes les gross­es usines his­toriques de pres­sage de vinyles comme MPO (Moulages plas­tiques de l’Ouest) à annuler des com­man­des de petits labels indés pour faire de la place aux majors qui avaient reporté leurs sor­ties”. Et Antoine de M com’ Musique de con­firmer : “C’est l’effet major ; pen­dant le con­fine­ment, les gross­es usines étaient vides, puis est arrivé le décon­fine­ment et toutes les maisons indépen­dantes qui avaient passé com­mande ont été mis­es en fin de chaîne pour priv­ilégi­er les majors et leurs gross­es commandes.”

 

Écologie, HD et disques du futur

Relayé par Tsu­gi, M com’ Musique avait annon­cé en févri­er 2020 “un pre­mier pro­to­type de laque à base d’algue, la “B‑lacquer”, réal­isé en col­lab­o­ra­tion avec une entre­prise de chimie bre­tonne” mais qu’ils n’ont mal­heureuse­ment pas les moyens d’industrialiser. Néan­moins, le futur de cette indus­trie s’annonce intéres­sant. Jean-Rémi rap­pelle : “Apol­lo était une usine qui util­i­sait énor­mé­ment de pro­duits chim­iques. Depuis cet incendie, cer­taines lois envi­ron­nemen­tales sont passées pour assainir le procédé. Si Apol­lo rou­vre, ce sera sûre­ment soit dans un autre état, soit dans un autre pays.” Pour l’heure, nos ques­tions envoyées par mail à Apol­lo Transco restent sans réponse.

Un incendie qui poserait les bases d’une indus­trie plus respectueuse de l’environnement ? C’est bien pos­si­ble. Une indus­trie en pleine inno­va­tion ? C’est aus­si le cas avec l’entreprise autrichi­enne Rebeat Inno­va­tion qui annonce déjà le vinyl HD depuis 2016 — où un laser piloté numérique­ment vient graver directe­ment sur la matrice. Selon Antoine de M com’ Musique : “C’est une alter­na­tive à la laque, à la fab­ri­ca­tion des matri­ces ; s’ils réus­sis­sent, cela pour­rait com­plète­ment mod­i­fi­er le paysage de la fab­ri­ca­tion du vinyle”.

Des disquaires épargnés

Les dis­quaires, quant à eux, ont été rel­a­tive­ment épargnés. Ils se sont adap­tés (grâce au click & con­nect et à la vente en ligne) et Mazen, gérant du shop Tech­no Import dans le 11ème arrondisse­ment de Paris, est même heureux de con­stater que l’en­goue­ment pour le vinyle n’a pas tari, bien au con­traire : “Les ventes depuis sep­tem­bre 2020 sont mêmes meilleures que celles de l’an­née dernière à la même péri­ode. Les gens dépensent moins dans leur vie quo­ti­di­enne et ont donc plus à met­tre dans les dis­ques.

Les gens dépensent moins dans leur vie quo­ti­di­enne et ont donc plus à met­tre dans les disques.”

Et les chiffres le mon­trent. Selon Ouest-France et les chiffres du Snep (Syn­di­cat nation­al de l’édition phono­graphique), “188 000 tourne-disques ont trou­vé pre­neurs l’an passé et les vinyles représen­tent désor­mais un cinquième du marché physique français de la musique enreg­istrée. Ils ont généré près de 65 mil­lions de chiffre d’affaires (soit 12 % de plus que l’année précé­dente)” et tout ça, grâce juste­ment à nos pré­cieux dis­quaires : CD et vinyles restent déter­mi­nants pour les pro­duc­teurs et les artistes en France car ils représen­tent encore 37 % des ventes de musique. Si le sup­port physique résiste mieux au numérique que dans la plu­part des autres grands marchés, c’est grâce à la puis­sance du réseau de dis­tri­b­u­tion physique. On a plus de 4 000 points de vente “, explique Alexan­dre Lasch, le directeur général du Snep. En 2021, les galettes ne sont pas prêtes de s’arrêter de tourner.

Vinyl

© Mick Haupt — Unsplash

 

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