Skip to main content
Auteur : Baudoin
4 février 2019

Quand Spatsz (KaS Product) rencontrait Lescop dans les colonnes de Tsugi …

par Victor Goury-Laffont

Spatsz, moitié de KaS Product, est décédé le 1er février à l’âge de 62 ans. Né Daniel Favre, il composait donc la moitié d’un des groupes importants de la cold wave française. Il y a plus de six ans, Tsugi organisait cette rencontre entre le duo et le chanteur Lescop. Un entretien inter-générationel publié dans le numéro 58 et à lire en intégralité ici : 


Un courant d’air froid souffle sur la scène française actuelle, que l’on évoque les mélodies ténébreuses et les basses tendues de Tristesse Contemporaine, Yan Wagner ou Lescop. Parmi cette nouvelle vague, ce dernier est même parvenu à toucher un plus large public grâce aux tubes que sont “La Forêt” et “Tokyo la nuit”, tous deux extraits de son premier album (célébré dans Tsugi), qui puise son inspiration dans les années new wave et apporte une touche de spleen 80’s à une chanson française longtemps égarée dans le naturalisme. Au même moment, c’est le duo français Kas Product (Mona Soyoc et Spatsz), dont l’électronique syncopée a illuminé ces légendaires 80’s, qui fait sa réapparition sous la forme d’une double réédition et d’une tournée européenne réussie. La rencontre était presque évidente.

Tsugi : Lescop, pour toi elles évoquent quoi ces fameuses années 80?

Lescop : J’étais alors un enfant. Mes parents écoutaient plutôt de la musique de babas cool, les Doors, Pink Floyd. Ils n’étaient pas vraiment dans un trip violent et post-punk. Mais c’est avant tout à travers le prisme du grunge que j’ai découvert ces groupes. Quand j’avais 14 ans, Nirvana nous a tous fait écouter du rock. Dans ses interviews, Kurt Cobain évoquait le punk anglais, Young Marble Giants, Killing Joke (il leur a même piqué le riff de “Eighties” sur “Come As You Are”). Sinon, j’ai des souvenirs un peu bizarres de cette époque. Comme une sensation de grisaille. (rires)
Mona Soyoc : C’était dark.
Spatsz : Assez triste.
Mona : Orwellien.

Kas Product, quels souvenirs gardez-vous de vos premières années à Nancy ?

Spatsz : Quand on s’est rencontrés, elle était mineure et moi, infirmier psychiatrique.
Mona : On ne savait pas de quel côté il était! Interne ou interné ! D’ailleurs, il me traitait de schizophrène.
Spatsz : J’ai arrêté du jour au lendemain parce que…
Mona : C’était aliénant !
Spatsz : J’avais joué un peu de basse dans des groupes tendance punk, puis acheté un synthé, un Korg 800DV, en 1977.
Mona : Ça me faisait vibrer. Un gros son de synthé, une boîte à rythmes saturée qui claquait dans une baffle, c’était autrement plus excitant qu’une guitare ou une basse.
Spatsz : Au bout d’un an de travail, on a fait un 45-tours auto- produit avec l’aide du magasin Punk Records. On l’a envoyé partout, même en Angleterre, et la semaine d’après on avait un article dans Sounds ! On ne vivait pas vraiment à Nancy, mais dans un bled de la vallée de la Moselle, près des aciéries de Pompey, des hauts-fourneaux qui rougeoient 24 h/24.

Que représentait le choix des machines en 1980?

Spatsz : C’était d’abord une manière d’apporter une nouvelle énergie, grâce à des tempos très rapides, dans les 180 BPM. Musicalement, nous étions très isolés. Ce n’était pas du tout commun d’utiliser des machines ou des boîtes à rythmes sur scène. Les gens ne comprenaient pas qu’il n’y ait pas de batteur. Le premier concert qu’on a fait en 1980, c’était derrière un grillage. À la fois par provocation mais aussi parce qu’on ne savait pas comment le public allait réagir.
Mona : Avec les synthés, tu appuies sur un bouton et hop, ça fait “bvvvoouuuu”. Tu crées un monde extraordinaire à l’aide d’une seule touche.
Spatsz : Mais ce matériel était très cher. Mon premier synthé représentait un an de salaire. Et ce n’était qu’un synthé duophonique, qui ne permettait que de faire deux notes. Ce qui donnait une musique assez minimaliste.

Lescop, beaucoup font le lien entre ta musique et celle d’artistes comme Daniel Darc, Joy Division, The Cure…

Lescop : Il y a une phrase de Drieu La Rochelle que j’aime bien, qui dit “à notre époque composite, les modes continuent d’exister et vivent entassées les unes sur les autres”. Il y a évidemment dans mon disque des références à Daho, aux années 80 et à toute cette génération. Mais on y retrouve aussi une méthode d’écriture inventée dans les années 50, celle du rock’n’roll et du couplet-refrain. Ainsi qu’une certaine noirceur typique des 60’s et de groupes comme le Velvet Underground. Et aussi le côté instantané du punk. Tout cela vient s’entasser.

Kas Product, votre chanson “So Young But So Cold”, c’était une forme de slogan ?

Mona : Ça représentait peut-être ces années new wave, une forme de détachement émotionnel.
Spatsz : C’est un morceau improvisé, sorti d’un jet, qui reflète le sentiment d’oppression que l’on pouvait ressentir à Nancy.

Lescop, il y a aussi cette idée du détachement dans tes chansons…

Lescop : Je ne crois pas. Disons que je ressens des choses, des sentiments froids, violents ou sombres. La musique me permet de les mettre en lumière.

Vous avez en commun de mettre en scène les chansons. Mona, tu sembles parfois jouer plusieurs personnages ; Lescop, tu as une manière assez cinématographique de planter le décor.

Lescop : À l’origine, j’ai une formation d’acteur. J’ai gardé un certain goût pour les répliques de théâtre. J’aime les pièces de Pinter, très écrites, où chaque phrase doit sonner et venir remplir le vide. C’est ce que j’ai recherché dans certains films qui m’ont inspiré pendant l’écriture de l’album. Des films habités par le silence, où les répliques claquent comme dans Le Silence de la mer de Melville.
Mona : Il y a un côté schizophrène dans la musique, on y livre plein de parties de soi. “So Young But So Cold” évoquait un personnage en proie à une forme de détachement. Mais je peux aussi incarner les personnages de mes chansons comme une actrice, ce qui ne m’empêche pas aussi d’être narratrice. J’adore qu’on me raconte des histoires, j’adore les entendre, être emportée dans un monde, peindre des climats, avec les mots, mais surtout avec la voix, que j’utilise comme un instrument.

À vos débuts, est-ce que, comme les punks, vous vous opposiez à d’autres courants musicaux ?

Spatsz : C’était plutôt les autres musiciens qui nous rejetaient. On nous appelait parfois de façon péjorative “on/off”.
Lescop : Quand j’ai commencé la musique, le rock lui-même était passé de mode. C’était à l’époque de la toute-puissance de la techno, vers 1998, donc c’était un peu en réaction à ça, et puis il y avait tout ce style fusion assez ennuyeux, qui mélangeait métal, funk et hip-hop. Moi, je n’aime ni la musique ni les textes savants. Ce qui m’intéresse, c’est l’énergie.
Spatsz : Aller à l’essentiel.
Lescop : Le squelette, quoi. Quelque chose de direct, de tranchant. J’ai trouvé cette énergie-là quand j’ai découvert le punk, qui m’a parlé pour cette manière de faire une chanson en deux ou trois accords. On y retrouvait ce côté “c’est pas parce que tu ne sais pas jouer que tu ne peux pas écrire une chanson” ou plutôt “c’est parce que tu ne sais pas jouer que tu vas pouvoir écrire une chanson”.
Mona : (rires) Je suis d’accord.
Spatsz : Oui, ça permet d’expérimenter.
Lescop : Tu restes dans une expression enfantine, comme si tu jouais avec un tapis-découverte. Tu ne sais rien, tu expérimentes. La contrainte, derrière…
Spatsz : … te ramène à quelque chose de minimal…
Lescop : … et de créatif.
Spatsz : Et d’immédiat. On capte tout de suite le morceau car il est très épuré.

On trouve chez des jeunes groupes ce sentiment d’être arrivés “après la bataille”. Lescop, est-ce que tu considères l’histoire de la pop comme à la fois importante et insurpassable?

Lescop : Il ne faut plus raisonner comme ça, mais aller de l’avant. Gainsbourg avait une phrase à ce sujet, que je cite de mémoire : “J’ai écouté Boris Vian et je suis donc plus fort que lui.” C’était une provocation bien sûr, mais il faut se dire que tout ce qui a été créé avant nous peut constituer un nouveau point de départ. On peut en faire une nouvelle synthèse. La musique, c’est un peu comme une phrase que l’on rédigerait à la manière d’un cadavre exquis. Sauf que la phrase n’a pas de fin.
Spatsz : La musique n’est pas une compétition, mais une expression. On la ramène trop souvent à une compétition générationnelle, et je trouve ça hors sujet.

Propos recueillis par Jean-Yves Leloup 

Visited 96 times, 1 visit(s) today