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28 décembre 2022

Quel futur pour les festivals ?

par Tsugi
Réchauffement climatique, baisse de fréquentation… le festival est en pleine mutation et son modèle actuel remis en question. À quoi pourrait ressembler un festival en 2040 ? Accrochez-vous, Tsugi vous téléporte dans le futur.

Article écrit par Céline Puertas et issu du Tsugi 151 : Festivals mon amour 

Juin 2043. La température dépasse les 40 degrés. Pas de quoi décourager la foule de spectateurs massée devant la grande scène du festival No Future. On s’habitue à tout, même à la canicule. Casquette vissée sur la tête et gourde d’eau accrochée à la ceinture, le public attend le début du DJ-set de Susannah. Enfin, de son hologramme, depuis que l’artiste, basée en Australie, a décidé de ne plus prendre l’avion pour limiter son empreinte carbone. À quelques encablures de là, le concert acoustique de Virtanen Koskinen est sur le point de commencer. Pour diminuer leur consommation énergétique, de plus en plus d’artistes et de festivals ont opté pour cette formule lo-fi. Tout près de là, Edgar, 20 ans, sirote une bière, locale bien sûr. Il se remémore la conversation qu’il a eue le matin même avec sa mère : « Avant on savait s’amuser« , lui a lancé celle qui a passé sa jeunesse la tête dans les enceintes des festivals de France et de Navarre. Si sa génération s’était amusée un peu moins et alarmée un peu plus en lisant les rapports du Giec, on n’en serait pas là, songe-t-il.

Derrière, on s’active du côté des stands de bouffe : saucisses de tofu ou couscous végétal ? Supprimer la viande dans les festivals n’a pas été une mince affaire. Mais aujourd’hui ça ne viendrait à l’idée de personne de croquer dans un animal mort, même s’il est cuit dans une sauce délicieuse. Cette fiction vous semble tirée par les cheveux ? On a pourtant toutes les raisons de croire qu’elle dessine les contours d’une réalité pas si lointaine. Nul ne l’ignore (sauf Donald Trump), la planète se réchauffe à toute vitesse. Et notre chère culture, elle aussi, contribue à ce désastre. Un festival de musique qui accueille environ 50 000 personnes a un bilan carbone de 1 000 tonnes de CO2, soit 400 allers-retours Paris-New York en avion. On vous laisse faire le calcul pour les festivals comme le Hellfest ou les Vieilles Charrues, qui rassemblent à chaque édition respectivement 180 000 personnes et près de 300 000. Au pied du mur, l’industrie de la musique, comme toutes les autres, se doit donc d’imaginer un modèle plus vertueux. Et vite.

 

Chaud devant

Si dans les pays européens au climat tempéré les effets du réchauffement climatique sont encore « limités », ils sont déjà très concrets pour d’autres coins du globe, comme à Coachella, en Californie. Son festival culte se déroule chaque année au mois d’avril et accueille 250 000 personnes dans cette vallée aride. Depuis quelques années, les thermomètres de la région s’affolent. Les chercheurs de l’université de Californie prévoient que le nombre de jours pendant lesquels les températures y dépasseront les 30 degrés entre novembre et avril devrait augmenter de 150 % avant la fin du siècle. À Palm Springs, la ville la plus proche, de nombreux commerces ont déjà fermé leurs portes, les touristes se raréfiant en juillet et en août quand le mercure flirte avec les 42 degrés. De quoi sonner le glas d’un des plus grands festivals du monde ? Il est permis d’en douter.

Selon la même étude relayée dans le journal Science Daily, la probabilité que son public soit confronté à des chaleurs extrêmes sera multipliée par six d’ici la fin du siècle si le festival se maintient à cette période. On imagine aisément les organisateurs choisir une date plus hivernale et continuer à participer gaiement au réchauffement climatique. Car Coachella est tout simplement l’un des festivals les plus polluants au monde (et aussi le plus rentable avec ses bénéfices de 100 millions de dollars). Le total des émissions de gaz à effet de serre qu’il génère est d’environ 100 000 tonnes de CO2 (d’après le Center For Urban Resilience de Manhattan). Mais, pour la première fois cette année, les organisateurs ont mis en place des « initiatives environnementales », à la demande des collectivités locales : limiter le plastique à usage unique, déployer une foule de bénévoles pour ramasser les déchets, composter les restes alimentaires… Une goutte d’eau quand on sait que beaucoup de festivaliers du monde entier débarquent en avion à Coachella…

Selon The Shift Project, think tank français qui a signé l’excellent rapport Décarbonons la culture, ce sont les déplacements qui génèrent le plus de CO2, du public d’abord, et des artistes ensuite. Pour ses auteurs, les festivals qui accueillent des centaines de milliers de personnes, surtout quand ils sont éloignés d’une grande ville et n’utilisent pas d’infrastructures déjà existantes, sont des aberrations écologiques. Ils ne devraient à terme plus exister. Leurs préconisations ? Remplacer un événement avec une jauge de 100 000 personnes par cent petits festivals accueillant seulement 1 000 personnes, et étalés au fil de l’année. Une vision certes radicale, mais dont les arguments font mouche en France, où les subventions dépendront bientôt de la motivation des organisateurs à limiter leur empreinte carbone. Une « éco-conditionnalité des aides » qui deviendrait la norme pour l’Hexagone et motiverait les plus récalcitrants à passer au vert.

 

Le festival d’après

Heureusement, certains organisateurs n’attendent pas d’être contraints pour agir. C’est le cas de l’équipe derrière NDK, anciennement Nordik Impakt – dédié à toutes les musiques électroniques. Installé jusqu’ici au Parc Expo de Caen, le festival recevait 30 000 personnes à chaque édition. Mais il a opéré un virage à 360 degrés. Et si trouver un nouveau modèle économique faisait parti du pari, dessiner les contours d’un festival plus vertueux est aussi au coeur des préoccupations de l’association Art Attacks. « On a imaginé un format avec une jauge plus réduite, et plus ancré dans le centre-ville, pour favoriser l’accessibilité et l’usage des mobilités douces« , explique Pauline Longeard, chargée de production. Au fil de son processus, l’association n’hésite pas à se pencher sur ses propres données de consommation pour cibler ses priorités, et à se remettre en question : « On a utilisé les outils d’évaluation mis à disposition par le Collectif des festivals. Cela nous a permis de comprendre que les transports représentaient 65 % des émissions de gaz à effet de serre sur notre édition 2021« , poursuit Pauline Longeard.

Un maximum d’artistes rejoint donc le site en train. Tout simplement parce qu’ils ne viennent pas du bout du monde : « On ne cherche pas à attirer des têtes d’affiche, mais plutôt des artistes émergents qu’on a envie de faire découvrir. » Si pour l’instant le festival prend ses marques au Cargö, la salle de concert caennaise d’une capacité de 1 000 personnes (également gérée par l’association), l’équipe planche sur un nouveau lieu qui pourrait accueillir 3 000 personnes. « On organise également des rencontres animées par des pros et des universitaires, des masterclass, ou des cours de sport en lien avec la musique comme le bass fit ou l’ambient yoga, majoritairement en accès libre. Notre objectif est de rendre la culture électro accessible grâce à d’autres pratiques. Le développement durable est pour nous un enjeu environnemental mais aussi sociétal. » Autant de bonnes idées qui dessinent les contours d’un potentiel festival du futur, moins énergivore, et qui fait la part belle à une programmation, et à un public, plus local.

Évidemment, ces initiatives sont plus faciles à mettre en place pour un festival à taille humaine que pour une grosse machine bien rodée. À Dour, en Belgique, c’est 250 000 personnes qui s’installent à chaque édition au milieu d’un champ d’éoliennes. « Notre festival est éloigné de tout, alors on essaie d’inciter le public à faire du covoiturage et à utiliser notre service de navettes depuis la gare », explique Damien Dufrasne, directeur général du festival. L’équipe a mis les bouchées doubles sur la question du tri des déchets, du gaspillage alimentaire, et du recyclage. Pour le reste, c’est une autre paire de manches. Très challengé par la concurrence européenne, Dour mise sur des têtes d’affiche venues de l’étranger pour booster sa fréquentation. « On serait heureux de dire qu’on peut diminuer cet impact mais c’est une question complexe, poursuit Damien Dufrasne. Et puis qu’est-ce qui pollue le plus ? Un groupe qui parcourt 500 km en tour bus avec cinq semi-remorques de matériel, ou un duo qui a juste un laptop, mais vient en avion depuis les États-Unis ? C’est un système où il faudrait que tout le monde revoie sa copie. Je ne suis pas sûr que des groupes comme Imagine Dragons ou Metallica, habitués à jouer devant 50 000 personnes, aient envie de se produire devant 5 000 en réduisant leur cachet par dix… »

 

Rendez-vous dans le métavers

Et la technologie dans tout ça ? Sera‑t‑elle l’un des piliers du festival de demain ? Le champ des possibles est vaste. Comme l’option pour un artiste de se produire en hologramme. Cette technique avait plutôt été utilisée pour « ressusciter » des artistes disparus comme 2Pac ou Whitney Houston. Du côté des vivants (quoique), ce sont les membres d’ABBA qui ont ravis leurs fans en annonçant leur retour sur scène quarante ans après leur séparation. Enfin presque : ce sont leurs « abbatars » qui se sont lancés dans une tournée mondiale fin mai. Rien n’empêche donc aujourd’hui d’imaginer qu’un programmateur puisse booker un hologramme sur la scène de son festival.

Mais le plus probable reste tout de même que les concerts du futur se déroulent dans le métavers (voir Tsugi 149). Travis Scott s’y est essayé en 2020 (et plus récemment Ariana Grande), avec un live virtuel dans le jeu Fortnite, réunissant ainsi plus de vingt millions de personnes. Dont Dorian Dumont, ancien guitariste du groupe The Teenagers, reconverti en youtubeur spécialisé dans les jeux vidéo (sous le pseudonyme Altis). « J’ai trouvé ça incroyable. C’est du jamais vu de réunir autant de monde connecté en même temps, et sans bug, pour un événement. Pour les artistes c’est une promo de malade. Travis Scott est devenu hyper connu dans le milieu des gamers alors que ce n’était pas le cas, il a vraiment réussi à conquérir un nouveau public. » Difficile de faire plus efficace pour un one shot, pas vrai ? Ces concerts virtuels possèdent un autre avantage : celui de ménager des artistes souvent éreintés par leurs tournées aux quatre coins de la planète. En Asie, les nouvelles stars de la K-pop qui font vibrer les foules sont virtuelles. Pas exclu donc que dans dix ans, on s’extasie derrière un écran devant le live du nouveau prodige de l’électro. Qui n’existera peut-être même pas IRL.

 

Céline Puertas

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