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Crédit : Valérie Le Guern, Maya de Mondragon, Juliette Gelli
15 juillet 2019

« radio contre-temps » : on a rencontré Flavien Berger pour parler de son album-surprise, d’invincibilité et de « Bioman »

par Lolita Mang

En plus de parcourir la France de festival en festival, Flavien Berger a tout récemment sorti radio contre-temps, un album surprise composé de titres inédits, enregistrés lors des sessions de son disque précédent. Une sorte de coffre rempli de trésors cachés, accompagnés des commentaires du chanteur, comme des notices à suivre avec minutie. La veille de cette sortie mystérieuse, Flavien Berger et ses fantômes venaient faire danser le public du festival Fnac Live sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris. L’occasion de se rencontrer dans la demeure plutôt impressionnante d’Anne Hidalgo pour discuter d’invincibilité, de thermodynamique, et de cinéma portugais.

Tu viens de sortir un album surprise : radio contre-temps. Léviathan, c’était la rencontre avec le monstre, la musique. Contre-Temps, une sorte de voyage dans le temps. Alors Radio Contre-Temps, c’est quoi ?

Radio Contre-Temps n’a pas été prémédité comme mes autres albums. Pendant que je préparais Contre-Temps, je faisais pas mal de production musicale. Depuis les zones où je travaillais comme les maisons de campagne ou la maison de mes parents, j’envoyais les étapes de travail à mes proches et à mes équipes, au label, aux tourneurs, aux éditeurs… Ces morceaux n’apparaissent finalement pas sur l’album, je n’ai pas voulu les sortir. À ce moment, je pensais qu’ils n’étaient pas finis, alors qu’en réalité ils l’étaient, puisque je ne les ai jamais retouchés ! Même si en vérité, le morceau reste un éternel work in progress qui ne progressera jamais.

Et ça t’est venu comme ça, d’un coup, l’idée de les sortir maintenant ?

En fait, la décision de sortir radio contre-temps a été prise en deux semaines. J’étais super content de sortir un disque très vite ! J’ai un peu réédité pour donner du sens à l’ensemble, vu que maintenant, Contre-Temps existe. Par exemple avant je m’adressais à mes proches mais maintenant je m’adresse aux auditeurs. C’est une sorte de glissement de terrain d’une parole intime vers une prise de parole en public.

Il paraît que tu es mauvais pour les deadlines. radio contre-temps c’est une manière de revenir sur Contre-Temps d’y consacrer le temps que tu aurais voulu ?

Ah non, ces paroles ne sont pas autobiographiques. Contre-Temps est plutôt de l’ordre de la fiction — enfin je crois. En réalité je suis plutôt bon avec les deadlines, c’est quelque chose que j’ai conservé de mes études. J’arrive à m’organiser pour finir si ce n’est en avance, au moins dans les temps. Après j’ai toujours l’impression d’être en retard, mais ça c’est une autre sensation, c’est plutôt psychologique. C’est peut-être ce qui fait que je concrétise les choses : je pense souvent que j’aurais dû mieux faire. Ça me force à les faire. Et puis radio contre-temps s’est fait sur une deadline imaginaire. Je ne me suis pas posé les mêmes conditions qu’avec un disque traditionnel. Et puis de toutes manières, les deadlines sont faites pour être repoussées. C’est presque de l’ordre du miracle de réussir à pousser une deadline. On ressuscite puisque techniquement, on devait mourir en dépassant la ligne. Si on la dépasse, c’est que l’on a la capacité d’invincibilité. Pour tout ça, c’était très fun de produire cet album. Il est encore frais, fun, plein de zones de flou et d’ombre, aussi bien au niveau de l’image que du montage du son. C’est agréable de supporter une matière encore un peu mystérieuse pour moi, par rapport à un album que j’aurais travaillé pendant un an et demi. Au bout d’un certain temps, j’en connais tous les recoins, un peu comme une maison dont j’aurais pu explorer toutes les pièces.

Mais finalement, tu arrives à lâcher un morceau ou un album, à te dire « c’est fini, je n’y touche plus » ?

Oui, j’y arrive complètement ! Mes exigences par rapport au disque sont différentes. Plus je passe de temps sur un disque, plus j’ai d’exigences, surtout au niveau de la production et de l’écriture. Mais j’arrive à lâcher. Il y a beaucoup de disques que je n’ai jamais lâchés, pour les bonnes raisons. Ceux que je devais lâcher je suis parvenu à le faire au bon moment.

Donc dans ton tiroir, tu caches des morceaux qui ont 10/15 ans ?

Bien sûr. J’ai des albums secrets qui ne sortiront peut-être jamais. Il y a beaucoup de disques qui existent déjà, mais qui n’ont pas forcément de sens aujourd’hui pour moi. Et puis la musique au début, je la faisais pour moi. J’ai créé beaucoup de disques personnels que je ne pense jamais rendre publics.

Tu y reviens souvent pour les écouter ?

Pas toutes les semaines, mais ça m’arrive d’avoir des rendez-vous avec, oui. Je pense que c’est assez important. Je n’ai pas de haine ou de dégoût pour les disques que j’ai fait, mais parfois, disons qu’ils sortent de ma zone d’intérêt. Et puis dès que je les réécoute je retrouve l’état d’esprit dans lequel j’étais quand je les ai fait. Mais pour être honnête, je m’endors souvent en écoutant mes disques. Il y a tellement peu de stimuli ; je les connais par coeur. C’est comme avec un film que tu as fait, ou bien que tu as vu un milliard de fois : au bout d’un moment tu sais très bien ce qu’il se passe dans la scène suivante. Et quand tu l’as réalisé, tu ne peux pas avoir l’engouement d’un fan, comme moi je peux être fan de films que je regarde vingt fois.

Est-ce que toi-même tu écoutes des artistes qui publient leurs chutes, leurs rushs ?

J’ai toujours aimé les faces B dans les albums, ou les morceaux qui ne sont pas mis en avant de manière général. Déjà petit, je faisais des compilations d’interlude, d’intro ou d’outro, : tous ces morceaux qui ne sont pas les singles. J’aime les morceaux un peu informes. Je sais que D’Angelo, un chanteur que j’aime beaucoup, a fait des reprises avec The Soultronics, ce sont des edits un peu jazz.

Qu’est-ce qui t’attire là-dedans ?

Le non-format, assurément. Que l’on n’ait pas une pancarte comme « Ici c’est le refrain, ici c’est le bridge, là c’est le couplet« . Et que le morceau soit plutôt un point d’interrogation : on ne sait pas où l’on va. J’aime aussi le fait qu’il y ait moins d’évènements que dans un morceau pop par exemple où il y a des couches et des couches à explorer. C’est génial, c’est comme un grand sachet de grains où tu rentres ta main, et si tu restes à la surface, tu n’auras pas la même sensation qu’en explorant. Tandis que dans les morceaux de faces B, plus simples peut-être et moins travaillés, il y a moins d’évènements. L’oreille comprend assez vite son paysage, et elle tente de regarder tous les petits crénelages et dentelages de la musique. Moins il y a de choses, plus on a le temps de contempler. Alors que plus il y a d’informations, plus il faut savoir se placer pour éviter les balles. Finalement, c’est ce que j’aime avec radio contre-temps : il s’y passe peu de choses.

Et pourtant, malgré ce peu d’informations dans l’album, tu guides beaucoup l’auditeur avec les commentaires…

Il y a un grand artiste que j’aime beaucoup qui s’appelle Léo Hoffsaes. Il intervient sur le dernier disque de Salut C’est Cool, comme moi, avec une chanson qui s’appelle « Faire sécher mes cheveux au soleil« . Il avait sorti un super album sur Soundcloud dont il avait fait une version commentée. C’était la première fois que j’entendais une version commentée d’un album. En réalité ça vient plutôt des DVDs ou des cassettes. En regardant le film, tu as le réalisateur qui commente l’image. Mais avec un disque, le commenter c’est mettre la musique au second plan. C’est un peu comme en live quand je fais des interludes, que je parle et que ma position de chanteur se transforme en position de « mec qui parle« . J’aime beaucoup le côté absurde, le fait que l’on puisse se dire « mais laisse-moi écouter mon morceau, pourquoi tu parles ? » D’autant plus que je ne propose pas la version non-commentée de ce disque !

À l’écoute du disque, on réalise très vite qu’il contient beaucoup moins de paroles que Contre-Temps. C’était voulu, ou bien c’est parce qu’ils ne sont pas totalement terminés ?

Tous les morceaux sont voulus comme ça, ils sont dans leur état figé. Deux ressemblent à de vrais produits finis avec des structures : « l’araucaria » et « microsono ». J’écris souvent comme ça, avec les quatre premières lignes, et ensuite je me pose la question du deuxième couplet. Sur radio contre-temps, j’aime l’idée qu’il n’y est pas de deuxième couplet ! Ça donne un envers du décor, et j’en viens à me demander si cet envers du décor se suffit à lui-même. L’idée que je souhaitais explorer est là. Pourquoi se forcer à faire une structure pop telle qu’on l’imagine, ce que je me suis employé à faire sur Contre-Temps, alors que ça ne vient pas comme ça naturellement ?

Comme tu l’as dit, tu as récemment collaboré avec Salut C’est Cool, et tu as remixé Chloé. Entre les deux, ce n’est pas un océan musical, mais presque ! Qu’est-ce qui te plaît dans l’idée de faire des sauts entre les textes de Salut C’est Cool et la techno noire de Chloé ?

Pour moi, ce sont avant tout des invitations de gens que je croise, que j’aime… Quand on est musiciens, on ne sait pas trop comment se dire que l’on s’apprécie, alors on se propose de faire des morceaux ensemble. Par exemple avec Chloé, le projet dure depuis longtemps : j’ai mis beaucoup de temps à faire ce remix et elle a été extrêmement patiente. En fait, la question ne se pose pas tant en termes de zones. Mais plutôt : pourquoi est-ce que l’on pourrait faire fi de ces frontières ? Ma musique ne ressemble pas à celle de Salut C’est Cool, mais un petit peu quand même. C’est la même chose pour Chloé. Dans ma musique il y a du Chloé, c’est sûr, je l’ai beaucoup écoutée. Alors qu’est-ce qui nous lie, ou qu’est-ce qui ne nous ressemble pas mais que l’on pourrait faire résonner ? Je vois plutôt ça comme du tricot que comme de la conquête de frontières.

Dans « On ne peut pas revenir en arrière », vous répétiez sans cesse cette phrase comme une maxime, presque l’un des dix commandements. Mais est-ce que musicalement, on ne revient pas un peu toujours en arrière ?

C’est Louis qui a écrit cette phrase, qui est aussi une loi de la thermodynamique. C’est vrai, on ne peut pas revenir en arrière. Le chemin qu’a pris l’air chaud pour aller vers l’air froid ne pourra jamais revenir en arrière. Mais en musique on peut le faire : on peut faire un morceau, le laisser reposer, y revenir, retirer des choses que l’on avait faite. Au-delà même de la musique, c’est le cas pour tout type de création. Et l’épine dorsale de tout ça, c’est le temps. Ce qui définit un morceau, c’est sa durée. Voyager dans le temps pour moi c’est un fantasme, mais je n’ai pas forcément envie que ce soit la réalité. J’ai vu trop de mauvais scénarios de voyages dans le temps pour être encore intéressé par l’expérience ! Mais revenir en arrière en musique, je le fais tout le temps. Je laisse plein de morceaux en jachère, et puis je les récupère plus tard, une fois qu’ils ont un peu fleuri dans mes oreilles.

Sur radio contre-temps il y a ce morceau, « bientôt jamais estragon » qui commence comme ça : « j’aimerais qu’il raconte l’histoire d’une discussion qui n’a pas lieu« . Comment t’es venue cette envie de parler du vide ?

J’aime beaucoup celui-là car j’annonce une chose qui n’arrive pas du tout. Il n’y a que du vide, des textes en creux. C’est parti d’une scène dans un film qui s’appelle Tabou d’un réalisateur portugais qui s’appelle Miguel Gomes. On y voit un couple en noir et blanc qui flirte et discute. Visuellement c’est déjà très beau. Et Gomes mystifie totalement cette séquence en enlevant la piste de voix, mais laisse tous les autres bruits, que l’on appelle les présences, comme les bruits de frottements de tissus, les grillons, le vent dans les arbres. Tout est là sauf leurs voix : on pourrait totalement imaginer ce qu’ils se disent. Et j’aime bien cette idée de laisser à l’auditeur une route imaginaire de parole, ce qui se passe dans « bientôt jamais estragon ».

Et dans le commentaire de « Lychénian reptilien », tu expliques que le morceau est issu d’un rêve. C’est quelque chose qui t’arrive souvent : que tes rêves inspirent tes morceaux ?

Pas tellement. Cela a dû arriver deux ou trois fois. Mais cette fois-ci c’était plus vif. J’avais vraiment la sensation d’un instrumentarium à recomposer et j’avais les idées claires.

Au-delà de tes rêves, le futur concret, réel, il ressemble à quoi pour toi, maintenant ?

Mon futur proche c’est la tournée. La tournée en France mais aussi la tournée sur scène, avec mes fantômes qui tournent. Et ensuite, une grand page blanche en 2020, pour mieux se réinventer.

Tu as hâte ?

Je crois que je suis un peu bizarre, car j’ai souvent hâte de faire les choses pour pouvoir me retourner et me dire « ça y est, je l’ai fait ». Tandis que d’autres peuvent être angoissés à l’idée d’être déjà à l’arrivée alors qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire. J’ai hâte de vivre ce que j’ai à vivre. Mais j’ai surtout hâte de me souvenir.

Et pour finir, regardons une dernière fois en arrière. Il devient quoi Docteur Cauchemar ? C’est Vladimir Cauchemar qui t’a piqué son blaze ?

Docteur Cauchemar est mort et enterré, mais il reste un peu toujours dans ma musique tout le temps. C’est marrant parce que dans ma tête, son esthétique n’est pas du tout celle que l’on retrouve sur MySpace. J’imaginais un truc très série B, film d’action japonais, comme dans Bioman où l’on retrouvait un méchant par épisode, avec quarante épisodes par saison. Forcément, au bout d’un moment, ça devenait n’importe quoi : les scénaristes n’avaient plus d’idées. Et Docteur Cauchemar, c’est le nom de méchant le plus pourri qui soit. Par contre, avec lui j’essayais de travailler la peur en musique. C’est un thème que je compte creuser bientôt dans un prochain projet. Comment parler de la peur, un sentiment important dans notre rapport au monde, en musique ?

La suite au prochain épisode ?

La suite au prochain épisode.

Flavien Berger sera en concert les 2 et 3 décembre prochains au Casino de Paris. Retrouvez plus d’informations sur la page Facebook de l’évènement

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