Radiohead — A Moon Shaped Pool

En tant que scri­bouil­lard bien inten­tion­né, la pre­mière ques­tion qu’on pour­rait se pos­er en com­mençant une chronique du dernier Radio­head est la suiv­ante : com­ment faire quand tout a été dit ? Surtout qu’on patauge dans l’u­na­n­imisme hygiénique depuis bien­tôt 24h… Si The King Of Limbs s’é­tait fait ton­dre sur la place publique en 2011, selon nous trop rapi­de­ment après sa sor­tie, A Moon Shaped Pool sem­ble béné­fici­er d’une clé­mence quasi-suspecte. On pour­ra tou­jours nous reprocher de jouer les avo­cats du dia­ble, mais force est de con­stater que ce groupe génère par­fois plus de bruit autour de lui qu’il n’en fait lui-même… On a donc débranché la prise Eth­er­net pour faire silence, au moins le temps d’écrire cette chronique.

Com­mençons par la fin. Merde, “True Love Waits”, un clas­sique du répetoire de Radio­head joué depuis 1995 et dont la ver­sion live sor­tie en 2001 sur I Might Be Wrong sem­blait indé­pass­able, à la track­list d’un album sor­ti en 2016 ? Aucune envie de par­don­ner le per­fec­tion­nisme par­fois abusé de Thom Yorke et de Jon­ny Green­wood, ni le poten­tiel oppor­tunisme de ce choix (le groupe n’est pas naïf et con­naît bien le car­ac­tère culte de la chan­son), mais au final, la ques­tion ne se posera que le temps de diriger la souris vers le bou­ton Play. Relec­ture impec­ca­ble, aux accords légère­ment mod­i­fiés, d’un morceau intem­porel aux paroles déchi­rantes. On aura fait l’ef­fort, pour­tant. Mais pour pon­dre un truc pareil, il faut, en plus d’un tal­ent fou, avoir le dis­cr­erne­ment de con­sid­ér­er que le moment est bon. Il l’est. 

Pas­sons main­tenant à la presque-polémique de la semaine dernière, main­tenant inté­grée comme il se doit dans une track­list de 11 titres. “Burn The Witch” a eu le bon goût de divis­er, dès la pre­mière heure de dif­fu­sion (le bon mot n’at­tend pas, hein). Replacé dans son con­texte, il vivra bien mieux en dehors à par­tir de main­tenant : les cordes du Lon­don Con­tem­po­rary Orches­tra, omniprésentes sur le disque, sont cen­trales dans les arrange­ments du morceau, comme pour annon­cer la couleur dès l’ou­ver­ture, c’est en tout cas l’in­ten­tion qu’on décèle. Un con­stat pas sim­ple à accepter et on le com­prend, Radio­head ne nous ayant jamais habitué aux tartines d’al­tos. Au moins, en famille, le côté OVNI passe mieux. Pour le reste, ce morceau est loin d’être sim­ple, et s’avère être tout sauf le repa­touil­lage de Cold­play qu’on a ten­té de nous ven­dre. Angois­sant, plus triste qu’il n’en a l’air mal­gré son côté presque entraî­nant, ce morceau est surtout impos­si­ble à appréhen­der rapi­de­ment. Dans la chronolo­gie du disque, il est aidé par l’en­chaîne­ment avec un “Day­dream­ing” qu’on place au même niveau d’é­mo­tion qu’un “Pyra­mid Song” en son temps. Pour les novices : ça veut dire que c’est cool.

Pour tout ce qui se trou­ve au milieu, un sen­ti­ment homogène pré­domine : celui de nag­er dans une nébuleuse organique extrême­ment apaisée, affranchie des con­tours rugueux de The King Of Limbs, des machines, des couine­ments… Qui, on en prend con­science à l’é­coute de A Moon Shaped Pool, ont con­sti­tué une péri­ode peut-être un poil longue chez les cinq quadras d’Ox­ford. Le duo “Iden­tik­it” / “The Num­bers”, qui laisse appa­raître la ron­deur d’un jeu de basse recon­naiss­able entre tous, la mélan­col­ie gui­taris­tique d’Ed O’Brien et, surtout, un song­writ­ing coulant sans man­quer d’être ambitieux, donne l’i­den­tité d’un disque qui sem­ble avoir les atouts néces­saires pour se plac­er quelque part entre Hail To The Thief et In Rain­bows. Un disque qui s’é­coute en pos­ture d’in­tro­spec­tion (“Desert Island Disk”, grand moment d’in­timisme tel­lurique, sem­ble faite pour ça). Un disque davan­tage dirigé vers le coeur que vers le cerveau, avec le ver­nis expéri­men­tal qu’on est tout de même en droit d’at­ten­dre d’un disque de Radio­head après plus de 20 ans de car­rière, mais replacé dans un rôle plus adéquat. Y’a pas d’âge pour gag­n­er en matu­rité, apparemment.

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