© Thomas Amouroux

Rone et (LA)HORDE dans ‘Room with a view’ : l’effondrement et le panache

Libér­er la forme humaine à l’in­térieur du bloc” : voilà com­ment Michel-Ange décrivait son tra­vail. Cinq siè­cles plus tard, Rone et (LA)HORDE du Bal­let nation­al de Mar­seille repren­nent le flam­beau. Du 14 au 25 sep­tem­bre au théâtre du Châtelet le spec­ta­cle Room with a view, créé ici-même début 2020, reprend ses droits. Un show unique dirigé par une pas­sion rageuse, qui scrute les con­tours d’un désas­tre annon­cé, illus­tre la souf­france et la colère de la jeunesse. Mais aus­si la beauté du chaos, pour une dernière rave avant la fin du monde. 

Rone Room With A View

© Thomas Amouroux

On s’entasse devant le Théâtre du Châtelet. L’excitation se fait ressen­tir. On ouvre la porte et c’est une entrée in media res. Le spec­ta­cle a com­mencé avec un pré-show, en somme. On com­prend mieux pourquoi on nous a con­seil­lé de venir à 19h30 alors que le spec­ta­cle com­mence à 20h. Rone per­ché en haut d’une car­rière dans une sorte de grotte, dos à nous, manie ses machines et nous livre des rythmes répéti­tifs. Platines et PC posés sur des palettes, entre 2–3 canettes. À ses côtés, une danseuse déchaînée qui tape d’un pied rageur.

Les danseurs de LA(HORDE) arrivent sur scène au compte-goutte, comme le font les spec­ta­teurs. Ce n’est pas la pre­mière fois que le mimétisme s’opère : cette con­tem­pla­tion sera partagée, nous face aux danseurs, eux face à la fin du monde. Le décor apoc­a­lyp­tique con­traste avec la sub­lime salle du Châtelet. Les lumières trem­blent, et nous aus­si. On com­mence à com­pren­dre ce qui va se passer.

la horde

© Thomas Amouroux

Le show com­mence. Sur la BO de Rone, danseuses et danseurs évolu­ent entre furieux mou­ve­ments de rave, et lenteurs con­tor­sion­nées. Ils encer­clent le musi­cien et les corps se libèrent, en sécu­rité à l’in­térieur de cette minus­cule salle sculp­tée dans la roche. On y est ser­ré mais la musique résonne et les corps s’adonnent au plaisir. Comme une pul­sion, on danse pour défi­er la fatal­ité. Par­mi les danseurs, Rone tape du pied. La sobriété de ses pas con­traste avec la vigueur des leurs. Mais il est trans­porté, en transe, se fond dans la masse avant de s’en extirper.

rone room with a view

© Thomas Amouroux

Par­mi les choré­gra­phies, des cou­ples de danseurs se for­ment et on voit chez cha­cun d’eux une dual­ité : la ten­dresse et le con­flit, l’amour et la vio­lence. Jusqu’à l’ef­fon­drement. C’est d’ailleurs la véri­ta­ble thé­ma­tique de Room with a view, au fig­uré (l’ef­fon­drement de la planète, des rap­ports humains, de la civil­i­sa­tion telle qu’on la con­naît) comme au sens lit­téral. Les pluies de sable s’in­ten­si­fient, la vio­lence prend de l’am­pleur… et la roche s’ef­fon­dre. Là, dans la pous­sière et la pénom­bre, les corps se rha­bil­lent, on ramasse les gra­vats, Rone est descen­du de son per­choir et la danse reprend, avec toute la fougue possible.

Aux platines et au thérémine (qui fini­ra léché par un danseur, chanceux!) Rone sculpte d’amples paysages élec­tron­iques que les danseurs rem­plis­sent avec des tableaux baro­ques au ralen­ti. Les corps sont encore chahutés, mal­menés, mais on est de moins en moins dans l’af­fron­te­ment. On s’ori­ente pro­gres­sive­ment vers le pou­voir du col­lec­tif. Pour le meilleur ? Assuré­ment. C’est peut-être ça, l’e­spoir de renais­sance. Espoir d’ailleurs sym­bol­isé par la lumière qui s’échappe du toit du Châtelet en fin de spec­ta­cle. Car le final est grandiose, quand la musique de Rone est tri­om­phante. Les danseurs de (LA)HORDE se trans­for­ment en meute, tous sur les mêmes mou­ve­ments. On croirait voir une rave ordon­née, et c’est mag­nifique. Les poitrines sont rouge sang et en toute fin de spec­ta­cle, les seuls kicks qu’on entend sont les peaux qui s’en­tre­choquent sur les boucles de syn­thé envoyées par Rone.

Rone Room With A View

© Thomas Amouroux

Le pub­lic relâche toute la ten­sion qu’il a accu­mulée en 1h10. Elle se traduit en cris de joie et en ova­tion. Quelques heures après la représen­ta­tion, on aperçoit les danseurs der­rière le théâtre. Quelle sur­prise de les voir évoluer dans le monde, le vrai, qui se délite tout autant que celui représen­té sur scène. Le plus étrange : les voir sourire. Car après l’éveil, la haine et la lutte, vient l’apaisement. Celui de se fray­er un chemin en gar­dant con­stam­ment en tête que l’effondrement est proche. La vie n’en est que plus savoureuse… Non?

la horde

© Thomas Amouroux

 

Corentin Fraisse et Bérénice Hourçourigaray

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