Roni Size : “J’ai dévoué toute ma vie à l’émergence d’un nouveau type de musique”

Trente ans qu’il représente la scène drum’n’bass de son mieux, après en avoir des­siné les con­tours. Roni Size, qui avait mixé le CD du numéro 115 de Tsu­gi, fait hon­neur au cat­a­logue de son label de cœur, V Record­ings. Un tiroir d’une carrière qui en compte des dizaines.

Ça serait un peu mégalo de me considérer comme un héros, mais je pense que je peux légitimement me considérer comme un pio­nnier. J’ai dévoué toute ma vie à l’émergence d’un nou­veau type de musique.” On ne peut pas reprocher à Roni Size son aplomb, vu la justesse de son analyse. Ryan Owen Granville Williams n’est pas seule­ment l’une des têtes de ponts de la drum’n’bass dans le monde, il con­stitue une par­tie de son ADN, prob­a­ble­ment plus encore que Goldie ou Grooverid­er, et a œuvré plus que quiconque à la sor­tie de l’underground grand-breton. La meilleure ligne du CV ? Un album, New Forms, sor­ti chez Talkin’ Loud en 1997 (remas­terisé et réédité en grande pompe 20 ans plus tard), com­posé avec Reprazent, le fameux crew de potes musi­ciens dont s’est entouré le pro­duc­teur d’origine jamaïcaine pour générer des lignes de sam­ples désormais mythiques (qui n’a jamais goûté à la con­tre­basse de “Brown Paper Bag” se débrouille pour sauver son hon­neur au plus vite). Un Mer­cury Music Prize, une tournée live qui propulse le groupe au niveau des stan­dards main­stream électroniques anglais que sont The Chem­i­cal Broth­ers et The Prodi­gy… Avec le recul, rien qui ne soit jouable sans une tri­nité d’ingrédients orig­inels : des pétards, une ville prête à explos­er cul­turelle­ment et un bul­letin sco­laire moisi.

Les frères potard

St. Andrews, Bris­tol, fin des années 1980: Williams se fait met­tre à la porte par son lycée. La ville, à l’histoire musi­cale aujourd’hui avérée, n’en est qu’aux prémices de son effer­ves­cence, à laque­lle il com­mence douce­ment à pren­dre part. Il passe le plus clair de son temps au Base­ment Project de Sefton Park, le youth cen­ter le plus proche de chez lui, qui a eu la riche idée de faire l’acquisition d’un sam­pler, d’une table de mix­age et d’une paire de platines. Les teufs de The Wild Bunch (le sound sys­tem du quarti­er, dans lequel on retrou­ve un cer­tain Robert Del Naja qui for­mera plus tard Mas­sive Attack) lui don­nent une saine occu­pa­tion le week-end. Il se rap­pelle : “La force de Bris­tol, con­traire­ment à ce qu’on peut croire, était davan­tage cul­turelle que musi­cale. À Man­ches­ter, les gens for­maient des groupes de rock. À Bris­tol, on pre­nait le temps de fumer des joints avec plein de gens d’horizons différents, il y avait ce rythme de vie et ce mélange cul­turel qui, j’en suis per­suadé, a per­mis de pos­er les bases de ce qu’on a fait ensuite.” La col­lec­tion de dis­ques de son grand frère, dominée par les sor­ties Stu­dio One (label culte sou­vent surnommé “le Motown jamaïcain”) fera le sel de son pre­mier sam­pler perso.

Au fond, Roni Size n’a jamais vrai­ment été seul. Son parte­naire de tou­jours se nomme Krust, même âge, même ville, déjà con­nu pour le semi-hit “Wish­ing On A Star” de son tout pre­mier groupe Fresh 4, qui ne trans­formera jamais l’essai par la suite. Avec Suv et DJ Die, ils fondent Full Cycle Records, avec un objec­tif en tête : pro­mou­voir les artistes de la toute jeune scène jungle/drum’n’bass qu’ils ont con­tribué à définir en mélangeant des break­beats rapi­des et hyper-syncopés, des sam­ples de soul et de dub, et des réminiscences de l’héritage rave du tout début des 90s. Mais c’est leur ren­con­tre avec un cer­tain Bryan Gee, transfuge de RCA et fan absolu de cette petite bande, qui leur fera grimper une marche : ils vont devenir les fers de lance de son nou­veau label, V Record­ings. “Les deux premières sor­ties de V Record­ings en 1993, c’est Krust, puis un morceau de DJ Die et moi… Le plus mar­rant dans tout ça, c’est que le mec qui nous a présentés à Bryan Gee était celui qui avait pro­duit “Wannabe” des Spice Girls !” Ils domi­nent le cat­a­logue des trois premières années du label, avant que Williams ne se fasse alpa­guer par une major et exige d’embarquer ses potes dans l’aventure. Le col­lec­tif Reprazent est né, la suite appar­tient à l’histoire et la drum’n’bass, ici composée, samplée et jouée live avec de vrais instru­ments, casse son pla­fond de verre. Après New Forms, In The Møde, sor­ti en 2000, con­firme et élargit le spec­tre : au tableau de chas­se, Method Man, Zack de la Rocha (Rage Against The Machine), Rahzel… Et un cer­tain Max Richter, qui com­mence tout juste à faire ses armes (“Une des col­lab­o­ra­tions dont je suis le plus fier”, précise Williams). C’est tou­jours le dernier album sous la forme Roni Size/Reprazent à ce jour.

La vie à 160 BPM

Roni Size, qui a con­tin­ué sa carrière solo sans fléchir le rythme (deux albums en 2002 et 2004, le sec­ond mar­quant son retour sur V Record­ings, un remake de New Forms en 2008, une décennie 2010 bien rem­plie), élude la ques­tion d’un retour de Reprazent, pour­tant plus ou moins offi­ciel il y a quelques années. “Je pour­rais t’annoncer un retour mais je pense que c’est une mau­vaise idée. On avait prévu de revenir il y a quelques années, on a l’équivalent d’un album qui était prêt à sor­tir mais ça ne s’est pas fait et ce n’est plus per­ti­nent main­tenant. Et puis c’est com­pliqué de garder con­tact, il y a un paquet de monde dans ce col­lec­tif… Si ça doit se faire, ça arrivera d’un coup et tout le monde sera sur­pris.” Après 30 ans à 160 BPM, Williams est clair sur ses priorités : “Il est dur d’innover dans un style que tu as con­tribué à créer il y a longtemps déjà. Je me fixe comme objec­tif que tout ce que je fasse colle le plus pos­si­ble à mon iden­tité, et j’essaie d’expérimenter de nou­velles formes de live pour con­tin­uer à me sen­tir excité comme quand j’étais ado à Bris­tol. C’est moins évident qu’avant mais ça m’arrive encore. Même si le plus impor­tant, j’avoue, est d’avoir du temps pour moi.” On le remer­cie alors d’autant plus d’en avoir accordé une petite par­tie à Tsu­gi.

Retrou­vez Roni Size au Tra­ben­do le 7 décem­bre pour un Tsu­gi Super­club avec Elisa Do Brasil ! Plus d’in­fos sur l’événe­ment Face­book.