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15 novembre 2018

Roni Size : « J’ai dévoué toute ma vie à l’émergence d’un nouveau type de musique”

par Mathias Riquier

Trente ans qu’il représente la scène drum’n’bass de son mieux, après en avoir dessiné les contours. Roni Size, qui avait mixé le CD du numéro 115 de Tsugi, fait honneur au catalogue de son label de cœur, V Recordings. Un tiroir d’une carrière qui en compte des dizaines.

« Ça serait un peu mégalo de me considérer comme un héros, mais je pense que je peux légitimement me considérer comme un pionnier. J’ai dévoué toute ma vie à l’émergence d’un nouveau type de musique.” On ne peut pas reprocher à Roni Size son aplomb, vu la justesse de son analyse. Ryan Owen Granville Williams n’est pas seulement l’une des têtes de ponts de la drum’n’bass dans le monde, il constitue une partie de son ADN, probablement plus encore que Goldie ou Grooverider, et a œuvré plus que quiconque à la sortie de l’underground grand-breton. La meilleure ligne du CV ? Un album, New Forms, sorti chez Talkin’ Loud en 1997 (remasterisé et réédité en grande pompe 20 ans plus tard), composé avec Reprazent, le fameux crew de potes musiciens dont s’est entouré le producteur d’origine jamaïcaine pour générer des lignes de samples désormais mythiques (qui n’a jamais goûté à la contrebasse de “Brown Paper Bag” se débrouille pour sauver son honneur au plus vite). Un Mercury Music Prize, une tournée live qui propulse le groupe au niveau des standards mainstream électroniques anglais que sont The Chemical Brothers et The Prodigy… Avec le recul, rien qui ne soit jouable sans une trinité d’ingrédients originels : des pétards, une ville prête à exploser culturellement et un bulletin scolaire moisi.

Les frères potard

St. Andrews, Bristol, fin des années 1980: Williams se fait mettre à la porte par son lycée. La ville, à l’histoire musicale aujourd’hui avérée, n’en est qu’aux prémices de son effervescence, à laquelle il commence doucement à prendre part. Il passe le plus clair de son temps au Basement Project de Sefton Park, le youth center le plus proche de chez lui, qui a eu la riche idée de faire l’acquisition d’un sampler, d’une table de mixage et d’une paire de platines. Les teufs de The Wild Bunch (le sound system du quartier, dans lequel on retrouve un certain Robert Del Naja qui formera plus tard Massive Attack) lui donnent une saine occupation le week-end. Il se rappelle : “La force de Bristol, contrairement à ce qu’on peut croire, était davantage culturelle que musicale. À Manchester, les gens formaient des groupes de rock. À Bristol, on prenait le temps de fumer des joints avec plein de gens d’horizons différents, il y avait ce rythme de vie et ce mélange culturel qui, j’en suis persuadé, a permis de poser les bases de ce qu’on a fait ensuite.” La collection de disques de son grand frère, dominée par les sorties Studio One (label culte souvent surnommé “le Motown jamaïcain”) fera le sel de son premier sampler perso.

Au fond, Roni Size n’a jamais vraiment été seul. Son partenaire de toujours se nomme Krust, même âge, même ville, déjà connu pour le semi-hit “Wishing On A Star” de son tout premier groupe Fresh 4, qui ne transformera jamais l’essai par la suite. Avec Suv et DJ Die, ils fondent Full Cycle Records, avec un objectif en tête : promouvoir les artistes de la toute jeune scène jungle/drum’n’bass qu’ils ont contribué à définir en mélangeant des breakbeats rapides et hyper-syncopés, des samples de soul et de dub, et des réminiscences de l’héritage rave du tout début des 90s. Mais c’est leur rencontre avec un certain Bryan Gee, transfuge de RCA et fan absolu de cette petite bande, qui leur fera grimper une marche : ils vont devenir les fers de lance de son nouveau label, V Recordings. “Les deux premières sorties de V Recordings en 1993, c’est Krust, puis un morceau de DJ Die et moi… Le plus marrant dans tout ça, c’est que le mec qui nous a présentés à Bryan Gee était celui qui avait produit « Wannabe » des Spice Girls !” Ils dominent le catalogue des trois premières années du label, avant que Williams ne se fasse alpaguer par une major et exige d’embarquer ses potes dans l’aventure. Le collectif Reprazent est né, la suite appartient à l’histoire et la drum’n’bass, ici composée, samplée et jouée live avec de vrais instruments, casse son plafond de verre. Après New Forms, In The Møde, sorti en 2000, confirme et élargit le spectre : au tableau de chasse, Method Man, Zack de la Rocha (Rage Against The Machine), Rahzel… Et un certain Max Richter, qui commence tout juste à faire ses armes (“Une des collaborations dont je suis le plus fier”, précise Williams). C’est toujours le dernier album sous la forme Roni Size/Reprazent à ce jour.

La vie à 160 BPM

Roni Size, qui a continué sa carrière solo sans fléchir le rythme (deux albums en 2002 et 2004, le second marquant son retour sur V Recordings, un remake de New Forms en 2008, une décennie 2010 bien remplie), élude la question d’un retour de Reprazent, pourtant plus ou moins officiel il y a quelques années. “Je pourrais t’annoncer un retour mais je pense que c’est une mauvaise idée. On avait prévu de revenir il y a quelques années, on a l’équivalent d’un album qui était prêt à sortir mais ça ne s’est pas fait et ce n’est plus pertinent maintenant. Et puis c’est compliqué de garder contact, il y a un paquet de monde dans ce collectif… Si ça doit se faire, ça arrivera d’un coup et tout le monde sera surpris.” Après 30 ans à 160 BPM, Williams est clair sur ses priorités : “Il est dur d’innover dans un style que tu as contribué à créer il y a longtemps déjà. Je me fixe comme objectif que tout ce que je fasse colle le plus possible à mon identité, et j’essaie d’expérimenter de nouvelles formes de live pour continuer à me sentir excité comme quand j’étais ado à Bristol. C’est moins évident qu’avant mais ça m’arrive encore. Même si le plus important, j’avoue, est d’avoir du temps pour moi.” On le remercie alors d’autant plus d’en avoir accordé une petite partie à Tsugi.

Retrouvez Roni Size au Trabendo le 7 décembre pour un Tsugi Superclub avec Elisa Do Brasil ! Plus d’infos sur l’événement Facebook.

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