Skip to main content
© Le Collectif des Éditeurs de la Presse Musicale
21 avril 2023

SOS Presse musicale en danger 🗞

par Tsugi

La situation Ă©conomique de la presse musicale s’est fortement dĂ©gradĂ©e, impactĂ©e par une crise qui a touchĂ© le secteur du spectacle et toute l’industrie de la musique. FormĂ© en association pendant la pĂ©riode du Covid, le Collectif des Ă©diteurs de la presse musicale française (CEPM) appelle les pouvoirs publics Ă  une aide d’urgence, Ă  dĂ©faut de quoi certains titres parmi la trentaine qui le composent pourraient dĂ©poser les armes avant l’étĂ©. Revue de crise avec cinq patrons de presse.

Article issu du Tsugi 159 : La House a 40 ans, les origines d’une rĂ©volution, Ă©crit RĂ©mi Bouton.

 

Acteur incontournable et vital de l’écosystĂšme de l’industrie de la musique et du spectacle, la presse musicale est la grande oubliĂ©e des pouvoirs publics. Pourtant, comme la musique, qui a subi une difficile crise de mutation pour passer du CD au streaming, la presse a pris de plein fouet la rĂ©volution numĂ©rique et l’arrivĂ©e des rĂ©seaux sociaux. Pour la presse musicale, c’est double peine ! Les circonstances rĂ©centes – crise du Covid et aujourd’hui hyperinflation sur le coĂ»t des matiĂšres premiĂšres – n’ont fait qu’empirer les choses. Alors que la musique a Ă©tĂ© aidĂ©e avec la mise en place du Centre National de la Musique (CNM) et d’un ensemble de mĂ©canismes de soutiens pĂ©rennes, la presse culturelle est la grande oubliĂ©e de l’histoire. « C’est un choix de sociĂ©tĂ©, considĂšre Alexis Bernier, Ă©diteur de Tsugi. Soit on veut traiter l’univers culturel avec de la diversitĂ© et de vĂ©ritables choix Ă©ditoriaux, soit on pense que la musique peut continuer Ă  vivre uniquement sur Tik Tok et Instagram et que les algorithmes sont les maĂźtres du jeu. »

 

Moins de kiosques

La presse musicale souffre, comme la presse magazine, d’une Ă©rosion des lecteurs et de la diffusion. Les jeunes lisent moins, les kiosques Ă  journaux ferment (cinq mille ont disparu ces derniĂšres annĂ©es) et rĂ©duisent leur offre de titres depuis que la loi ne les oblige plus Ă  prĂ©senter toute la diversitĂ© de la presse magazine. « Sans exposition, sans point de vente, comment diffuser notre presse ? MĂȘme si nous avons bien conscience que les habitudes changent, le besoin de magazine papier est encore trĂšs fort, et pas seulement chez les plus ĂągĂ©s, souligne Edouard Rencker, Ă©diteur de Jazz Magazine. Or, les nouvelles rĂšgles risquent de nous exclure des kiosques. » Certains magazines tentent de dĂ©velopper les abonnements ou de trouver de nouveaux lieux de vente, comme les disquaires, mais rien ne remplace le kiosque. « On pourrait imaginer par exemple ĂȘtre distribuĂ©s chez les disquaires, raconte Alma Rota, Ă©ditrice de Rolling Stone, mais c’est trĂšs compliquĂ© en tant que presse, la loi nous oblige Ă  rĂ©server l’exclusivitĂ© aux kiosques et Ă  passer par une messagerie. Quant aux abonnements, ils sont beaucoup moins rĂ©pandus dans la culture française, Ă  la diffĂ©rence des États-Unis oĂč ils sont majoritaires. » Pas de chance pour la presse musicale, si l’État français aide gĂ©nĂ©reusement la presse, la presse culturelle n’est pas concernĂ©e. Seuls les journaux qui ont reçu le label IPG (presse d’information politique et gĂ©nĂ©rale) ont droit aux subventions ainsi qu’à l’accĂšs garanti Ă  tous les kiosques. « Il faut garantir le maintien d’une presse culturelle de qualitĂ©. Nous demandons la crĂ©ation d’un label de presse d’information culturelle qui nous permettrait de bĂ©nĂ©ficier de diffĂ©rentes aides Ă  la presse », annonce Thierry Demougin, Ă©diteur de KR home-studio.

 

Le print c’est moderne !

Comme le vinyle, le print n’est pas mort, loin de lĂ  ! « Il y a un public qui est trĂšs attachĂ© au papier et les magazines qui ont arrĂȘtĂ© d’imprimer y reviennent, constate Alma Rota. On le voit Ă  l’étranger sur certaines Ă©ditions de Rolling Stone. Le magazine papier est la condition sine qua non Ă  la survie de la marque. D’autant que la publicitĂ© va au papier. Le public s’abonne au papier et collectionne notre presse “passion”. Le support est fondamental, il faut nous aider Ă  le sauver. » En plus de ces problĂšmes de diffusion, c’est l’assĂšchement des ressources publicitaires qui met la presse musicale Ă  genoux. « Avant mĂȘme cette crise, ce n’était dĂ©jĂ  pas facile car nous soutenons des artistes Ă©mergents, ceux qui ne bĂ©nĂ©ficient pas de gros budgets de marketing. Or le jour oĂč ces mĂȘmes artistes sont reconnus, on nous oublie pour investir ailleurs… », regrette Pierre Veillet, Ă©diteur de trois titres spĂ©cialisĂ©s (Plugged, Reggae Vibes Hip Hop et MyRock). Mais aujourd’hui, avec les rĂ©seaux sociaux, la question ne se pose mĂȘme plus. Tous les budgets partent chez les GAFAM pour arrondir les bĂ©nĂ©fices des Facebook, Instagram ou Tik Tok. En effet, si la presse a Ă©videmment fait sa mutation numĂ©rique en termes d’offre de contenus, de lectorat, elle n’en tire pas les fruits. « Nous avons tous des sites, des playlists, des blogs, des rĂ©seaux sociaux avec des dizaines de milliers de followers sur lesquels nous offrons des contenus Ă  nos lecteurs, mais ça ne nous rapporte rien », constate Alexis Bernier, Ă©diteur de Tsugi. « C’est le cƓur du problĂšme, la presse musicale est pillĂ©e par les GAFAM, s’indigne Alma Rota. Si les majors peuvent investir autant en posts sponsorisĂ©s ciblĂ©s, c’est grĂące en partie aux contenus gratuits des mĂ©dias qui permettent de mieux cibler. Les Ă©diteurs sont souvent les dindons de la farce ! » « La concurrence des rĂ©seaux sociaux est impossible Ă  soutenir : ils utilisent des technologies plus rapides, plus interactives, pour des coĂ»ts au contact moins chers et mieux renseignĂ©s par la data. On ne sera jamais compĂ©titifs sur ces points. Ainsi, nous offrons des services essentiels Ă  la filiĂšre musicale et au public, mais nous ne pouvons plus les monĂ©tiser », regrette Alexis Bernier.

 

© Edouard Rencker, Pierre Veillet, Alma Rota, Alexis Bernier, Thierry Demougin

Silence abyssal des pouvoirs publics

Parce que le magazine que vous avez entre les mains est en danger, les Ă©diteurs de presse se sont tournĂ©s vers le CNM, afin d’obtenir un soutien. Des rencontres ont eu lieu. « Une Ă©tude a Ă©tĂ© lancĂ©e l’an dernier mais on nous a expliquĂ© que la presse musicale ne figurait pas dans les missions du CNM », regrette Thierry Demougin. « Ceci est d’autant plus paradoxal que les attachĂ©s de presse ont obtenu de l’aide Ă  leur profession, et nous en sommes ravis », ajoute Alexis Bernier. Le CNM, c’est la maison de toute la musique, y compris de la pratique musicale. Alors qu’il travaille de prĂšs avec les professionnels de la musique enregistrĂ©e ou du spectacle, il semble moins ouvert sur ceux qui font de la musique. « Nos journaux parlent aussi Ă  ceux qui pratiquent la musique, qui jouent d’un instrument. Il a des milliers d’artistes ou de groupes autoproduits qui nous lisent, qui distribuent leur musique par leurs propres moyens. Il ne faut pas les exclure et d’ailleurs, tous les artistes professionnels sont passĂ©s par là », explique Thierry Demougin. Quel paradoxe de voir l’argent public aider les majors Ă  financer des campagnes publicitaires sur les rĂ©seaux sociaux des GAFAM tandis que la presse musicale française, qui met en avant les artistes Ă©mergents, ne fait pas partie des missions de l’État ! « Est-ce le rĂŽle de l’état de soutenir ce modĂšle ? On entend bien, au ministĂšre de la Culture, parler de diversitĂ© musicale et d’émergence, mais oĂč sont les actes ? », s’interroge Alexis Bernier. « Il y a un manque de vision globale de l’écosystĂšme de la musique », ajoute Edouard Rencker. « Si rien ne change, je n’ai aucune visibilitĂ© quant Ă  l’avenir de mes titres », s’inquiĂšte Pierre Veillet.

 

« Nous demandons la crĂ©ation d’un label presse d’information culturelle qui nous permettrait de bĂ©nĂ©ficier de diffĂ©rentes aides Ă  la presse » – Thierry Demougin, Éditeur de KR home-studio

 

La presse magazine, dans toutes les esthĂ©tiques de la musique, est un dĂ©tecteur de signaux faibles. « Nous sommes les premiers Ă  mettre en avant les courants musicaux, les artistes Ă©mergents. Tous ces magazines sont les porteurs de la diversitĂ© des pratiques, de la diversitĂ© de la crĂ©ation. Il y a urgence Ă  agir », lance Alexis Bernier. Bien sĂ»r, au-delĂ  d’une aide d’urgence, il s’agira de mettre en place un modĂšle pĂ©renne, de permettre Ă  cette presse d’ĂȘtre mieux distribuĂ©e, mais aussi bien sĂ»r, Ă  permettre aux magazines d’accĂ©der Ă  une partie des budgets dĂ©pensĂ©s par la filiĂšre musicale sur les rĂ©seaux sociaux. L’ensemble de la presse musicale appartient Ă  des indĂ©pendants, passionnĂ©s. Beaucoup sont des microstructures Ă©ditant un seul titre. Aucun magazine de la presse musicale n’appartient Ă  de grands groupes de presse. « Nous avons tous essayĂ© de nous diversifier, de dĂ©velopper de nouvelles sources de revenus, mais nous devons admettre que nous sommes trop petits pour rĂ©sister face Ă  ces changements », analyse Edouard Rencker. « Cette crise est gravissime. Personne n’imagine un futur Ă  long terme. Sans le soutien, on ne pourra rien », ajoute Pierre Veillet. « C’est une maniĂšre d’apprĂ©hender la culture qui disparaĂźt. Nous n’avons rien contre les algorithmes et les posts sponsorisĂ©s sur les rĂ©seaux sociaux, mais tout seuls, nous ne sommes pas de taille Ă  nous dĂ©fendre », conclut Alexis Bernier. 

 

Le Collectif des Éditeurs de la Presse Musicale (CEPM) reprĂ©sente une trentaine de titres : Bassiste, Batterie, Batteur Magazine, Blues Magazine, DJ Mag, FrancoFans, Guitar Part, Guitare Classique, Guitare SĂšche, Guitare Xtreme, Guitarist Acoustic Unplugged, Jazz Magazine, Jazz News, KR home-studio, La Lettre du musicien, Les Inrockuptibles, Longueur d’Ondes, Lyrik, Metallian, MyRock, New Noise, OpĂ©ra, Plugged, Reggae Vibes Hip Hop, Rock Hard, Rolling Stone, Sono Mag, Soul Bag, Trax, Tsugi.

Visited 355 times, 2 visit(s) today