SOS Presse musicale en danger đ
La situation Ă©conomique de la presse musicale sâest fortement dĂ©gradĂ©e, impactĂ©e par une crise qui a touchĂ© le secteur du spectacle et toute lâindustrie de la musique. FormĂ© en association pendant la pĂ©riode du Covid, le Collectif des Ă©diteurs de la presse musicale française (CEPM) appelle les pouvoirs publics Ă une aide dâurgence, Ă dĂ©faut de quoi certains titres parmi la trentaine qui le composent pourraient dĂ©poser les armes avant lâĂ©tĂ©. Revue de crise avec cinq patrons de presse.
Article issu du Tsugi 159 : La House a 40 ans, les origines d’une rĂ©volution, Ă©crit RĂ©mi Bouton.
Acteur incontournable et vital de lâĂ©cosystĂšme de lâindustrie de la musique et du spectacle, la presse musicale est la grande oubliĂ©e des pouvoirs publics. Pourtant, comme la musique, qui a subi une difficile crise de mutation pour passer du CD au streaming, la presse a pris de plein fouet la rĂ©volution numĂ©rique et lâarrivĂ©e des rĂ©seaux sociaux. Pour la presse musicale, câest double peine ! Les circonstances rĂ©centes â crise du Covid et aujourdâhui hyperinflation sur le coĂ»t des matiĂšres premiĂšres – nâont fait quâempirer les choses. Alors que la musique a Ă©tĂ© aidĂ©e avec la mise en place du Centre National de la Musique (CNM) et dâun ensemble de mĂ©canismes de soutiens pĂ©rennes, la presse culturelle est la grande oubliĂ©e de lâhistoire. « Câest un choix de sociĂ©tĂ©, considĂšre Alexis Bernier, Ă©diteur de Tsugi. Soit on veut traiter lâunivers culturel avec de la diversitĂ© et de vĂ©ritables choix Ă©ditoriaux, soit on pense que la musique peut continuer Ă vivre uniquement sur Tik Tok et Instagram et que les algorithmes sont les maĂźtres du jeu. »
Moins de kiosques
La presse musicale souffre, comme la presse magazine, dâune Ă©rosion des lecteurs et de la diffusion. Les jeunes lisent moins, les kiosques Ă journaux ferment (cinq mille ont disparu ces derniĂšres annĂ©es) et rĂ©duisent leur offre de titres depuis que la loi ne les oblige plus Ă prĂ©senter toute la diversitĂ© de la presse magazine. « Sans exposition, sans point de vente, comment diffuser notre presse ? MĂȘme si nous avons bien conscience que les habitudes changent, le besoin de magazine papier est encore trĂšs fort, et pas seulement chez les plus ĂągĂ©s, souligne Edouard Rencker, Ă©diteur de Jazz Magazine. Or, les nouvelles rĂšgles risquent de nous exclure des kiosques. » Certains magazines tentent de dĂ©velopper les abonnements ou de trouver de nouveaux lieux de vente, comme les disquaires, mais rien ne remplace le kiosque. « On pourrait imaginer par exemple ĂȘtre distribuĂ©s chez les disquaires, raconte Alma Rota, Ă©ditrice de Rolling Stone, mais câest trĂšs compliquĂ© en tant que presse, la loi nous oblige Ă rĂ©server lâexclusivitĂ© aux kiosques et Ă passer par une messagerie. Quant aux abonnements, ils sont beaucoup moins rĂ©pandus dans la culture française, Ă la diffĂ©rence des Ătats-Unis oĂč ils sont majoritaires. » Pas de chance pour la presse musicale, si lâĂtat français aide gĂ©nĂ©reusement la presse, la presse culturelle nâest pas concernĂ©e. Seuls les journaux qui ont reçu le label IPG (presse dâinformation politique et gĂ©nĂ©rale) ont droit aux subventions ainsi quâĂ lâaccĂšs garanti Ă tous les kiosques. « Il faut garantir le maintien dâune presse culturelle de qualitĂ©. Nous demandons la crĂ©ation dâun label de presse dâinformation culturelle qui nous permettrait de bĂ©nĂ©ficier de diffĂ©rentes aides Ă la presse », annonce Thierry Demougin, Ă©diteur de KR home-studio.
Le print c’est moderne !
Comme le vinyle, le print nâest pas mort, loin de lĂ ! « Il y a un public qui est trĂšs attachĂ© au papier et les magazines qui ont arrĂȘtĂ© dâimprimer y reviennent, constate Alma Rota. On le voit Ă lâĂ©tranger sur certaines Ă©ditions de Rolling Stone. Le magazine papier est la condition sine qua non Ă la survie de la marque. Dâautant que la publicitĂ© va au papier. Le public sâabonne au papier et collectionne notre presse âpassionâ. Le support est fondamental, il faut nous aider Ă le sauver. » En plus de ces problĂšmes de diffusion, câest lâassĂšchement des ressources publicitaires qui met la presse musicale Ă genoux. « Avant mĂȘme cette crise, ce nâĂ©tait dĂ©jĂ pas facile car nous soutenons des artistes Ă©mergents, ceux qui ne bĂ©nĂ©ficient pas de gros budgets de marketing. Or le jour oĂč ces mĂȘmes artistes sont reconnus, on nous oublie pour investir ailleurs… », regrette Pierre Veillet, Ă©diteur de trois titres spĂ©cialisĂ©s (Plugged, Reggae Vibes Hip Hop et MyRock). Mais aujourdâhui, avec les rĂ©seaux sociaux, la question ne se pose mĂȘme plus. Tous les budgets partent chez les GAFAM pour arrondir les bĂ©nĂ©fices des Facebook, Instagram ou Tik Tok. En effet, si la presse a Ă©videmment fait sa mutation numĂ©rique en termes dâoffre de contenus, de lectorat, elle nâen tire pas les fruits. « Nous avons tous des sites, des playlists, des blogs, des rĂ©seaux sociaux avec des dizaines de milliers de followers sur lesquels nous offrons des contenus Ă nos lecteurs, mais ça ne nous rapporte rien », constate Alexis Bernier, Ă©diteur de Tsugi. « Câest le cĆur du problĂšme, la presse musicale est pillĂ©e par les GAFAM, sâindigne Alma Rota. Si les majors peuvent investir autant en posts sponsorisĂ©s ciblĂ©s, câest grĂące en partie aux contenus gratuits des mĂ©dias qui permettent de mieux cibler. Les Ă©diteurs sont souvent les dindons de la farce ! » « La concurrence des rĂ©seaux sociaux est impossible Ă soutenir : ils utilisent des technologies plus rapides, plus interactives, pour des coĂ»ts au contact moins chers et mieux renseignĂ©s par la data. On ne sera jamais compĂ©titifs sur ces points. Ainsi, nous offrons des services essentiels Ă la filiĂšre musicale et au public, mais nous ne pouvons plus les monĂ©tiser », regrette Alexis Bernier.
Silence abyssal des pouvoirs publics
Parce que le magazine que vous avez entre les mains est en danger, les Ă©diteurs de presse se sont tournĂ©s vers le CNM, afin dâobtenir un soutien. Des rencontres ont eu lieu. « Une Ă©tude a Ă©tĂ© lancĂ©e lâan dernier mais on nous a expliquĂ© que la presse musicale ne figurait pas dans les missions du CNM », regrette Thierry Demougin. « Ceci est dâautant plus paradoxal que les attachĂ©s de presse ont obtenu de lâaide Ă leur profession, et nous en sommes ravis », ajoute Alexis Bernier. Le CNM, câest la maison de toute la musique, y compris de la pratique musicale. Alors quâil travaille de prĂšs avec les professionnels de la musique enregistrĂ©e ou du spectacle, il semble moins ouvert sur ceux qui font de la musique. « Nos journaux parlent aussi Ă ceux qui pratiquent la musique, qui jouent dâun instrument. Il a des milliers dâartistes ou de groupes autoproduits qui nous lisent, qui distribuent leur musique par leurs propres moyens. Il ne faut pas les exclure et dâailleurs, tous les artistes professionnels sont passĂ©s par là  », explique Thierry Demougin. Quel paradoxe de voir lâargent public aider les majors Ă financer des campagnes publicitaires sur les rĂ©seaux sociaux des GAFAM tandis que la presse musicale française, qui met en avant les artistes Ă©mergents, ne fait pas partie des missions de lâĂtat ! « Est-ce le rĂŽle de lâĂ©tat de soutenir ce modĂšle ? On entend bien, au ministĂšre de la Culture, parler de diversitĂ© musicale et dâĂ©mergence, mais oĂč sont les actes ? », sâinterroge Alexis Bernier. « Il y a un manque de vision globale de lâĂ©cosystĂšme de la musique », ajoute Edouard Rencker. « Si rien ne change, je nâai aucune visibilitĂ© quant Ă lâavenir de mes titres », sâinquiĂšte Pierre Veillet.
« Nous demandons la crĂ©ation d’un label presse d’information culturelle qui nous permettrait de bĂ©nĂ©ficier de diffĂ©rentes aides Ă la presse » – Thierry Demougin, Ăditeur de KR home-studio
La presse magazine, dans toutes les esthĂ©tiques de la musique, est un dĂ©tecteur de signaux faibles. « Nous sommes les premiers Ă mettre en avant les courants musicaux, les artistes Ă©mergents. Tous ces magazines sont les porteurs de la diversitĂ© des pratiques, de la diversitĂ© de la crĂ©ation. Il y a urgence Ă agir », lance Alexis Bernier. Bien sĂ»r, au-delĂ dâune aide dâurgence, il sâagira de mettre en place un modĂšle pĂ©renne, de permettre Ă cette presse dâĂȘtre mieux distribuĂ©e, mais aussi bien sĂ»r, Ă permettre aux magazines dâaccĂ©der Ă une partie des budgets dĂ©pensĂ©s par la filiĂšre musicale sur les rĂ©seaux sociaux. Lâensemble de la presse musicale appartient Ă des indĂ©pendants, passionnĂ©s. Beaucoup sont des microstructures Ă©ditant un seul titre. Aucun magazine de la presse musicale nâappartient Ă de grands groupes de presse. « Nous avons tous essayĂ© de nous diversifier, de dĂ©velopper de nouvelles sources de revenus, mais nous devons admettre que nous sommes trop petits pour rĂ©sister face Ă ces changements », analyse Edouard Rencker. « Cette crise est gravissime. Personne nâimagine un futur Ă long terme. Sans le soutien, on ne pourra rien », ajoute Pierre Veillet. « Câest une maniĂšre dâapprĂ©hender la culture qui disparaĂźt. Nous nâavons rien contre les algorithmes et les posts sponsorisĂ©s sur les rĂ©seaux sociaux, mais tout seuls, nous ne sommes pas de taille Ă nous dĂ©fendre », conclut Alexis Bernier.Â
Le Collectif des Ăditeurs de la Presse Musicale (CEPM) reprĂ©sente une trentaine de titres : Bassiste, Batterie, Batteur Magazine, Blues Magazine, DJ Mag, FrancoFans, Guitar Part, Guitare Classique, Guitare SĂšche, Guitare Xtreme, Guitarist Acoustic Unplugged, Jazz Magazine, Jazz News, KR home-studio, La Lettre du musicien, Les Inrockuptibles, Longueur dâOndes, Lyrik, Metallian, MyRock, New Noise, OpĂ©ra, Plugged, Reggae Vibes Hip Hop, Rock Hard, Rolling Stone, Sono Mag, Soul Bag, Trax, Tsugi.