Skip to main content
© Epic Games
3 mars 2022

Surprise : Bandcamp est racheté par les créateurs de Fortnite

par Antoine Gailhanou

S’il y a bien une information que l’on n’attendait pas, c’est bien celle-ci. Le 2 mars, Ethan Diamond, cofondateur et PDG de Bandcamp, annonçait le rachat de la plateforme par Epic Games, acteur important du jeu vidéo grâce à Fortnite et l’Unreal Engine.

Les indés doivent-ils trembler ? Depuis ses débuts en 2008, la plateforme Bandcamp s’est taillé une image plus que respectable dans le milieu. La boutique en ligne a toujours tourné ses choix vers l’utilisateur, artiste comme mélomane, ce qui en fait une alternative essentielle à Spotify et aux autres services de streaming. La voilà qui met pourtant fin à son indépendance, avec un rachat par un acteur inattendu : Epic Games. Fondée en 1991, l’entreprise américaine est un acteur majeur de l’industrie du jeu vidéo, d’abord célèbre pour la série de jeux Unreal, et surtout le mastodonte Fortnite depuis 2017.

Dans une note annonçant ce rachat, le PDG de Bandcamp Ethan Diamond assure que cela ne va rien changer au fonctionnement du site, au moins à court terme. L’équipe reste la même, et aucun changement de politique n’est à prévoir. Pour lui, cela permettra à Bandcamp « une expansion à l’international, permettra un développement de Bandcamp, depuis des choses basiques comme les pages album, l’application mobile, les outils de merchandising, le système de paiement ou les outils de découverte et recherche ; jusqu’à de nouvelles initiatives, comme notre pressage de vinyles ou le livestream ».

À lire également
Bandcamp propose (enfin) de créer sa liste de lecture
D’après vous, combien de fois plus un artiste gagne grâce à Bandcamp que Spotify ?

Diamond explique également les raisons de cet étonnant rachat. Sans surprise, il déclare que Bandcamp a reçu plusieurs offres de rachat, et a préféré Epic, présenté comme « héraut d’un Internet juste et ouvert ». On peut en effet le penser. Depuis plus de vingt ans, le studio permet l’utilisation par tous (moyennant un achat de licence) de son Unreal Engine, un moteur graphique permettant la création de jeux et effets visuels en 3D. Très performant, il est utilisé par des dizaines de studios dans le monde, et même dans l’industrie du cinéma, puisqu’il a servi pour créer les décors de la série Star Wars The Mandalorian, diffusée sur Disney+. En revanche, l’outil est également utilisé pour l’entraînement militaire de plusieurs pays.

Surtout, l’entreprise partage avec Bandcamp l’idée d’avoir une marge faible. La plateforme musicale assure que 82 % de chaque achat atterrit directement dans les mains de l’artiste et son label. Quant à Epic, il a lancé en 2018 sa propre boutique de jeux vidéo dématérialisée, en mettant avant une marge bien plus faible que ses concurrents. Là où la plateforme Steam, jusque là en situation de quasi-monopole, prend 30 % de chaque achat, Epic ne s’arroge que 12 % de marge. Bien sûr, il s’agit là d’une stratégie visant à attirer un public vers une plateforme nouvelle, et donc générer du profit. Mais l’effet est bien là. Dans cette même logique, le studio est entré dans une confrontation directe avec Apple et Google concernant les marges sur les achats via ses applications, contestant là encore cette part de 30 % adoptée partout. Suite à un procès d’ampleur, Epic a ainsi fondé la Coalition for App Fairness, aux côtés de Spotify, Tinder ou ProtonMail.

À lire également
Avec le confinement, les concerts dans les jeux vidéo se multiplient

Bandcamp met ainsi une proximité de vision entre son site et Epic Games. Néanmoins, cela n’empêche pas quelques inquiétudes. Certains utilisateurs pointent par exemple qu’Epic est possédé à hauteur de 40 % par Tencent, géant chinois de l’Internet et du divertissement. Ce dernier possède notamment des parts dans Spotify et plusieurs majors de la musique. Pas de quoi imaginer une ingérence des majors sur la plateforme, bien sûr, et imaginer un rapprochement entre Bandcamp et Spotify serait faire un énorme raccourci. Mais on peut se poser des questions sur son indépendance future ou la sécurité des données personnelles auprès d’un Tencent proche du gouvernement chinois (bien qu’Epic affirme qu’elle est assurée que cela ne se produira pas).

Par ailleurs, on peut se demander quelle sera la place de Bandcamp dans l’écosystème imaginé par Epic Games. Si la politique de l’éditeur de jeux vidéo semble être de ne pas faire ingérence, il reste indéniable que ce rachat n’a rien d’innocent. En 2021, Epic achetait également le site ArtStation, sorte d’équivalent de Bandcamp pour les arts visuels. L’entreprise souhaite manifestement construire un vaste écosystème du divertissement, pointant peut-être vers l’idée de métavers pour concurrencer Meta, l’ex-Facebook. Le jeu Fortnite pointe déjà dans cette direction, avec une place déjà importante laissée à la musique comme lors du concert virtuel de Travis Scott en 2020. Ce qui pose, là encore, des questions sur l’indépendance à venir de Bandcamp. Plus largement, personne n’a envie de voir la plateforme inféodée aux besoins d’un jeu comme Fortnite. Ou peut-être d’un futur jeu du studio situé dans la lignée d’un Guitar Hero, dont les créateurs ont également été rachetés en 2021 par Epic.

On peut également avoir une vision plus optimiste, et espérer voir Bandcamp devenir une plateforme de streaming favorisant les indépendants. Avec le soutien d’un grand investisseur, la plateforme peut désormais voir plus grand, et peut-être réellement concurrencer Spotify (ou du moins, devenir une alternative forte). On peut même rêver, et voir les concurrents enfin augmenter la part versée aux artistes. Ce serait beau.

Visited 102 times, 1 visit(s) today