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3 mars 2022

đŸ—žïž Tsugi 147 : La radio fait-elle toujours le succès ?

par Antoine Gailhanou

Autrefois, les choses étaient simples. En apparence du moins. Pour obtenir un large succès, un disque devait forcément passer par la radio, et c’est à ce média que les maisons de disques consacraient une part essentielle de leur énergie. Mais à l’heure du streaming et des réseaux sociaux, il n’est plus rare de voir un artiste se passer complètement de la FM pour dominer les ventes. Pour autant, le média centenaire est loin d’avoir dit son dernier mot.

Article issu du Tsugi 147 : Radio Activity, La folle histoire des radios musicales : des pirates aux webradios, disponible à la commande en ligne.

 

Internet n’a pas seulement bousculé l’industrie du disque. C’est tout le paysage médiatique qui est chamboulé. Dans les années 1980 et 1990, qui voient l’essor des stations privées, la radio était plus qu’un passage obligé : elle avait un quasi-monopole. Mais la situation est désormais toute autre. Christophe Crénel, animateur sur Oüi FM puis le Mouv’ jusqu’en 2016, a assisté à cette évolution. « C’est la rareté des canaux de diffusion qui faisait la valeur de la radio explique-t-il. Passer sur NRJ dans les années 1990, c’était quasiment l’assurance de faire un tube. » Les choses se sont faites par étapes. On a d’abord vu l’arrivée de MySpace, premier réseau social d’ampleur, qui a pu aider un certain nombre de musiciens. « Au départ, les réseaux sociaux fonctionnaient comme des lanceurs d’alertes, poursuit Crénel, cela permettait de faire un tri. Mais Myspace ne suffisait pas à faire un tube. Il fallait la validation de la radio. » Cela constitue toutefois un premier renversement : la radio va se pencher sur les réactions en ligne pour suivre les tendances. Le mouvement va se poursuivre, le streaming et les réseaux sociaux se développer, se démultiplier, au point qu’on a désormais l’impression que la radio a toujours un temps de retard sur le numérique. Crénel va même jusqu’à parler d’un « affadissement de la proposition ». La réalité est indéniable : on peut aujourd’hui avoir un large succès en se passant totalement de la radio. La dissociation entre tops des ventes et tops des diffusions est nette, en particulier depuis que les écoutes en streaming sont prises en compte dans les ventes de disques. En 2020, le top singles était ainsi dominé par la Bande organisée (1er), Hatik (3e) ou Ninho (5e), tous totalement absents du top 50 des diffusions radio de l’année. Ce décalage est également observé du côté des labels, notamment par Henri Jamet, directeur de label chez Believe Digital (Jul, PNL ou Naps). « On peut avoir effectivement des projets qui ont un énorme succès commercial sans connaître de succès radio », remarque-t-il, citant les rappeurs Laylow, Ziak ou encore Freeze Corleone pour l’année 2021. Ce nouvel équilibre impacte directement les stratégies marketing des labels. « Avec le duo The Blaze, on a fait tout un travail international uniquement via les réseaux sociaux et l’image. La radio est vraiment arrivée dans un second temps. »

Un rôle d’amplification…

Pour autant, annoncer la mort de la radio serait largement prématuré. Car pour s’assurer un succès durable, elle reste encore inévitable, comme l’observe Daniela Soares, responsable presse de Because Music (Ed Banger, Metronomy) : « La radio reste obligatoire dans l’accès au statut de tube populaire, dit-elle en insistant sur ce dernier terme, celui que tout le monde connaît. » Or, comme le souligne Henri Jamet, « la musique, ce sont d’abord des chansons, c’est ça qui reste ». Et si certains artistes peuvent se passer de la radio, elle reste « fondamentale » pour d’autres. C’est également l’observation que fait Alexandre Lasch, directeur général du Snep, le syndicat national de l’édition phonographique, chargé de comptabiliser les ventes d’albums et singles, et de distribuer les certifications. « Cela reste plutôt rare qu’un succès en streaming soit totalement décorrélé d’un succès radio », souligne-t-il. Et ce n’est pas qu’une question de genre musical : « Il y a des artistes pop ou autre qui ont de gros succès sur les plateformes de streaming avant tout, et certains rappeurs ont encore besoin de Skyrock ». Ce qui a réellement changé, c’est que la radio n’est désormais plus qu’une étape parmi d’autres dans le succès d’un artiste. « Tout se bâtit en parallèle, explique Daniela Soares. Quand on sort un nouveau titre de Selah Sue, par exemple, on va immédiatement contacter France Inter. Mais en parallèle, on va aussi développer des actions sur les réseaux sociaux et les plateformes de streaming. On a ce qu’on appelle des focus tracks pour la radio, et d’autres titres intermédiaires qu’on sort plutôt pour amener du rythme sur les plateformes de streaming. » Malgré tout, elle constate qu’il est « de plus en plus rare » que le succès d’un titre soit d’abord amorcé par la radio : cette dernière occupe plutôt un rôle d’amplificateur. Côté Believe, si Henri Jamet rappelle « qu’en art, il n’y a pas de règles », il voit émerger une sorte de parcours type du musicien : « On démarre par YouTube et les médias spécialisés, puis après les plateformes de streaming, et c’est seulement quand le projet commence à être développé qu’on s’adresse aux radios pour toucher un plus large public. » Même si « pour des titres pop, on peut contacter des radios dès la phase de développement ».

Ce qu’on observe, c’est d’abord un décalage générationnel, comme le montre Alexandre Lasch. Pour lui, l’affaiblissement de la radio est « indéniable » chez les jeunes : « Pour les moins de 25 ans, le streaming est la principale source de découverte musicale, devant le bouche-à-oreille et les réseaux sociaux. » Pour autant, ce public n’a pas totalement abandonné le poste FM, puisque « 42 % d’entre eux déclarent tout de même qu’ils découvrent régulièrement des titres à la radio ». Et lorsqu’on examine la population dans son ensemble, « la radio reste le principal moyen de découvrir de nouveaux morceaux : 58 % des gens disent découvrir de nouveaux titres à la radio, contre 53 % pour le streaming ». Fred Musa, animateur de Planète Rap sur Skyrock, voit bien que la radio reste « un média fort ». « On dit que la radio est en chute libre, mais si elle a bien perdu deux millions d’auditeurs, il lui en reste plus de 45 millions. Presque tout le monde a les moyens d’écouter la radio. » En 2018, presque tous les Français possédaient un outil pour écouter la FM, avec une moyenne de 10,5 supports permettant de l’écouter par foyer, dont 4,5 dédiés uniquement à la radio. Lorsqu’on lui dit que la radio a perdu son rôle prescripteur, il s’emporte : « Mais la radio reste prescriptrice ! Dans Planète Rap, la plupart des artistes qu’on passe ont certes une grosse fanbase, mais restent inconnus de beaucoup de nos auditeurs. Quand je reçois des musiciens comme 1PLIKÉ40 ou Rémy, cela reste une découverte pour beaucoup de gens. » Pour autant, l’animateur reste lucide, et sait bien que la radio n’est plus obligatoire. Mais cela a aussi ses bons côtés : « Je vois que les artistes arrivent bien plus détendus dans mon émission. Avant, certains traînaient des pieds. Aujourd’hui, si un artiste n’a pas envie de venir sur Skyrock, il ne vient pas. Donc s’il vient, il va passer un bon moment, proposer des morceaux inédits. » Car en plus de proposer une audience non négligeable, la radio conserve un rôle symbolique de validation pour les artistes. « C’est toujours émouvant d’entendre son titre à la radio, même pour nous », confesse Daniela Soares.

En bref, les radios conservent une grande importance dans l’obtention d’un succès, restant un amplificateur encore inégalable. « Aujourd’hui, être présent sur une plateforme de streaming ne suffit pas », résume Alexandre Lasch. La diversité des stations est également un outil important, chaque radio ayant sa propre ligne musicale, ce qui permet aux labels de cibler efficacement leur public. Pour Daniela Soares, « on ne peut pas se fier qu’aux algorithmes. L’éditorialisation, passer par des choix humains, c’est important ». Peut-être est-ce là ce qui pourrait permettre aux radios de maintenir leur rôle prescripteur, à défaut de retrouver une position dominante. « La radio, c’est encore l’avenir », pointe Fred Musa, qui met en avant la diversification déjà opérée par les radios FM sur le versant numérique : podcasts, webradios, dérivés vidéos, DAB+, enceintes connectées… Autant d’outils qui peuvent démultiplier les possibilités d’écoute. « Maintenant, la radio, c’est avoir une chaîne premium, et diversifier cette marque ailleurs », poursuit l’animateur, qui a décliné Planète Rap sous forme de vidéos et de webradios. Henri Jamet va dans le même sens : « La radio a plusieurs vies », explique-t-il, et quand bien même la FM serait vouée à disparaître, « l’important, ce n’est pas le contenant, mais le contenu, les choix éditoriaux, les animateurs, les voix ». Christophe Crénel abonde : pour lui, c’est cette incarnation qui fait la force du média, et pourra l’aider à durer. « Tout comme on est dans l’infotainment, on est dans une sorte de musictainment, pourrait-on dire, le divertissement prend actuellement une place énorme. Mais il y a un moment où tout ça va s’équilibrer, où le public voudra retrouver de l’authenticité, du fond », espère-t-il. Sous une forme ou une autre, on aura toujours besoin d’entendre des gens nous parler de musique avec passion pour la rendre vivante.

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Tsugi 147

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