Tale Of Us, I Hate Models, Bicep, Carl Craig, Ricardo Villalobos… On a survécu à l’Amsterdam Dance Event 2017

Il faut quelques chiffres pour se ren­dre compte de l’ex­trav­a­gante impor­tance de l’Am­s­ter­dam Dance Event, ADE pour les intimes : plus de 2200 artistes invités, pour plus de 450 événe­ments dans quelques 120 clubs, salles de con­cert et lieux amé­nagés pour l’oc­ca­sion, le tout sur cinq jours. Allez, encore quelques-uns : le fes­ti­val attire 350 000 vis­i­teurs venus de 75 pays. En d’autres ter­mes, la pop­u­la­tion d’Am­s­ter­dam aug­mente de qua­si­ment 50% pen­dant cette semaine dédiée à la musique élec­tron­ique sous toutes ses formes. For­cé­ment, il y a de quoi être impres­sion­né. Surtout quand, au delà de quelques soirées EDM rel­a­tive­ment mar­ginales, le gros de la pro­gram­ma­tion s’at­tache à des gen­res plus “under­ground” de l’élec­tro, sets tech­no et house en tête, suiv­is par des lives, des teufs micro, ambi­ent voire même hard­core. Dif­fi­cile de se défaire du “boum boum boum” qui rythme toute la ville, et ce même dans l’avion du retour. Dif­fi­cile de panser ses pieds après des kilo­mètres avalés à vélo – Ams­ter­dam oblige –, par­fois dans le froid, sou­vent sous la pluie, suiv­is par des heures de danse. Dif­fi­cile surtout de faire des choix quant aux soirées à aller voir ou les lieux à vis­iter. Car si les fes­ti­va­liers ont dû faire leur pro­gramme à l’a­vance pour acheter leurs tick­ets, les soirées étant sou­vent com­plètes longtemps à l’a­vance, les “pro”, l’une des cibles de l’ADE (l’après-midi ont lieu une foule de con­férences, meet­ings et autres speed-dating entre pro­fes­sion­nels européens), n’ont que l’embarras du choix avec leur bracelet all-access.

Crédit : Mark Richter

Alors, par quoi com­mencer ? Par un pas­sage au pop-up store Kom­pakt, his­toire de faire chauf­fer la carte bleue pour acheter de beaux vinyles du label ou d’Ostgut Ton – tout en dansant en suplex, une canette à la main. Ou par un live, peut-être, celui de Bicep en l’oc­cur­rence, le duo irlandais venant présen­ter son excel­lent pre­mier album. De quoi com­mencer sur la seule micro-déception du week-end, les “Aura” et autres “Glue” de ce disque éponyme pas­sant moins bien en live que dans le casque : il fait très chaud dans le Tol­huis­tu­in, sur la rive nord de la ville, et on s’en­nuie un chouia. Par grave, il suf­fit d’aller se faire débouch­er les oreilles un grand coup (bou­chons oblig­a­toires!) devant Char­lotte de Witte, Amelie Lens et surtout I Hate Mod­els et sa tech­no très énervée à la soirée des locaux Verknipt. Trois scènes se parta­gent les faveurs d’un pub­lic au taquet et ébloui de lasers, stro­bo­scopes et pan­neaux de led. Au détour d’une pause clope, une joli décou­verte : Fati­ma Hajji qui, si elle peut inquiéter un peu sur ses pho­tos pro­mo très bim­bo, a déroulé un excel­lent set lit­térale­ment tech-house – com­prenez des sam­ples house sur des beats très tech­no, his­toire de se déhanch­er tout en tapant du pied. Pen­dant ce temps-là, le grand Medi­a­haven ond­ule sous une sculp­ture représen­tant un homme plongeant la tête la pre­mière : la soirée After­life touche à sa fin, avec Tale Of Us en maître de céré­monie et un clos­ing émo­tif sur leur remix de “Time” de Hans Zim­mer (extrait de la BO d’Incep­tion). On en aurait ver­sé notre petite larme.

Crédit : Antoine Lecomte

Une courte nuit de som­meil, et c’est repar­ti pour des rendez-vous un peu partout dans la ville, ryth­més par les nom­breux éclats de voix en français enten­dus ça et là – Ams­ter­dam le week-end, c’est un peu la Nor­mandie : il pleut et on croise des tas de Parisiens venus pren­dre l’air. La soirée démarre en beauté avec une après-midi Life & Death au Thuishaven, soit deux chapiteaux de cirque, un hangar, des con­tain­ers abri­tant une mini-teuf secrète et dis­co, des décors entre steam-punk et Alice au pays des mer­veilles, et Jen­nifer Car­di­ni qui joue tech­no à 17 heures. Un peu rude vu l’ho­raire, mais improb­a­ble comme on aime. Red Axes prend la suite sous l’autre chapiteau, on s’at­tend à voir débar­quer des clowns sur leur deep mât­inée de psy­chédélisme… Presque : arrivent des per­formeurs déguisés et por­tant d’im­menses médus­es éclairées de néon, un drag­on ou un dro­madaire. La foule s’a­muse avec les ten­tac­ules, l’am­biance est géniale, et les bal­lons jonchent le sol. Vig­iles, bar­men, dames pipi… Pen­dant tout notre séjour, au delà d’une musique tou­jours nick­el et de lieux incroy­ables, c’est ça qui nous aura mar­qué : la gen­til­lesse et l’hu­mour des Hol­landais, qui pour­raient pour­tant très bien être agacés par cette horde de fêtards envahissant leur ville. Le rap­port à la drogue y est bien plus décom­plexé qu’en France, et cha­cun se doit d’être respon­s­able de lui-même et de son voisin – pas de “répres­sion”, et finale­ment très peu de gens malades ou dans un sale état… A méditer donc, surtout quand, le lende­main à la fouille, le vig­ile demande à des com­pa­tri­otes français s’ils ont de la drogue sur non. Réponse néga­tive. Réac­tion du videur ? Un “why ??” inter­loqué. Nor-mal ! Un qui doit être assez con­tent de ce cli­mat lib­er­taire, c’est Ricar­do Vil­lalo­bos. Pro­gram­mé de 4 à 6 heures à la soirée Hyte à la House­hold­er Ele­menten­straat, il a finale­ment échangé son set avec celui de Seth Trox­ler, pour clore la fies­ta jusqu’à 8 heures du matin. Com­mençant par laiss­er tourn­er ses vinyles pen­dant très longtemps avant d’en­tamer ses tran­si­tions (ce qui, par­fois, peut-être un peu bor­ing), il a fini par arrêter de taper la bise à la foule s’a­mas­sant autour de ses platines pour se met­tre effec­tive­ment au boulot. Et là, la magie opère : vire­voltant entre morceaux tech­nos énervés, deep envoû­tante voire même drum’n’bass (ça marche tou­jours!), le set est excel­lent, le pla­fond sue et les danseurs avec.

Allez, au lit, le réveil sonne dans trois heures… Parce que ce serait tout de même bête de louper le petit-dej’ ! Le Break­fast Club, au sud-est de la ville, vaut en effet le détour. Mini-jardin, maxi-bâtiment, pour trois salles dif­férentes entre house, tech­no, de la plus douce à la plus énervée, avec Blawan, Mar­garet Dygas, Dr. Rubin­stein ou Peg­gy Gou. On y croise des gens qui vien­nent de se lever et sen­tent le savon, dansant un verre de jus d’o­r­ange à la main, tout comme des valeureux qui n’ont pas encore dor­mi, engloutis­sent les bières et sen­tant… Non, n’al­lons pas décrire ça. Par sûr en tout cas que les mêmes aient osé se ren­dre au con­cert de Carl Craig ce soir-là, qui jouait “la musique de Satan”… Dans une église – priez pour nous pau­vres teufeurs. Pas de set ici, mais son live “Ver­sus”, où il s’en­toure de qua­tre joueurs de syn­thé et d’un pianiste jazz pour repren­dre ses com­po­si­tions les plus con­nues (“At Les”, “Desire”, “Sand­storms”), réar­rangées avec l’aide de Francesco Tris­tano. Le prof Craig n’hésite pas à pren­dre le micro entre les titres pour quelques expli­ca­tions de texte, le con­cert se ter­mine en jam irré­sistible, la nef de cette grande église wal­lonne se pare de cris et de pas de danse. Un grand moment, intime et unique, et cinq musi­ciens acclamés par la foule au bout d’une heure et vingt min­utes de show. La jauge sera bien plus grande ensuite : Kom­pakt organ­ise sa tra­di­tion­nelle soirée ADE à l’im­mense Scheeps­bouwloods, en parte­nar­i­at avec le fes­ti­val DGTL. Mais ça y est, on n’en peut plus. Trop de teuf tue la teuf. Trop de vélo tue les mol­lets. Et trop de bass­es tuent les tym­pa­ns. C’est peut-être le seul prob­lème de l’ADE : tout y est telle­ment génial, bien organ­isé, bien pro­gram­mé, bien décoré, qu’on finit par vouloir tout faire et y laiss­er quelques points de vie, pas mal de cram­pes et beau­coup de sous. Mais c’est à faire, au moins une fois.

Meilleur moment : Carl Craig à l’église et ses musi­ciens qui font un boeuf : un grand moment d’im­pro, et le sourire scotché aux joues.

Pire moment : le verre d’eau à trois euros au Ams­ter­dam Stu­dio’s pen­dant la soirée Verknipt, c’est non seule­ment très cher, mais assez irre­spon­s­able vu la chaleur et l’é­tat des tech­no­heads présents.

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