Skip to main content
Crédit : Hans Huylebroeck
9 juin 2017

Techno dure, ascension fulgurante et CD mixé pour Tsugi : rencontre avec Charlotte de Witte

par Clémence Meunier

Richie Hawtin, Agoria, plus récemment Oxia… Ils sont nombreux (103, en toute logique) les DJs ayant accepté de réaliser un CD mixé pour Tsugi. Mais, à 24 ans, Charlotte de Witte restera sans doute l’une des plus jeunes artistes à se plier à l’exercice avec le mix de Tsugi 103, en kiosque ce vendredi 9 juin. Il faut dire que l’ascension de la Belge, d’abord connue sous l’alias Raving George et officiant sous son vrai nom depuis deux ans, a été spectaculaire. Bookée tous les week-ends, de plus en plus habituée aux gros festivals, Charlotte de Witte ne se laisse pourtant pas séduire par les sirènes mainstream et la techno commerciale. Bien au contraire : plus le temps passe, plus ses sets deviennent sombres, hypnotiques et durs, alors qu’elle a commencé à mixer sous des hospices plutôt tech-house. Côté production, elle n’est pas en reste non plus, puisqu’après six EPs, dont deux sur Turbo Recordings et The Voices Of The Ancient dévoilé il y a seulement trois mois, elle s’apprête à sortir un nouveau maxi fin juin sur Beatport et le 24 juillet en digital. C’est aussi ça qui fascine avec Charlotte de Witte : on assiste à l’éclosion en direct d’une artiste à la patte aujourd’hui bien précise, qui forme avec Amelie Lens notamment une nouvelle scène belge enthousiaste mais toujours carrée. Les deux se produisaient d’ailleurs sur la même scène au festival Marvellous Island le mois dernier, où elles partageaient l’affiche avec Maya Jane Coles, Stephan Bodzin ou Alan Fitzpatrick. On en a profité pour rencontrer Charlotte de Witte, quelques heures avant son set (un énorme succès), entre deux bouchées de burger.

Tsugi : C’est toi qui t’occupes du CD mixé de Tsugi ce mois-ci. Et c’est allé super vite : tu nous as dit « ok je me mets dessus » et trois heures plus tard il était prêt !

Charlotte de Witte : Oui, car j’avais déjà en tête les titres que je voulais utiliser. J’en ai fait une playlist, j’ai attendu d’être sûre d’avoir les droits sur les morceaux, je me suis mis sur Ableton… Et voilà !

Comment as-tu choisi les morceaux ?

J’y ai mis certains de mes tracks préférés, je les adore et je les joue très régulièrement depuis deux mois. « In Your Body » de Cosmin TRG par exemple. C’est un morceau techno certes, mais de yoga-techno, avec une voix féminine qui dit « strech your legs », « feel the atmosphere around you »… C’est hyper trippant ! Agressif et relaxant en même temps. J’ai aussi mis un des mes nouveaux morceaux. En tout cas, je suis ravie d’avoir fait ce CD mixé, c’est la première fois qu’un de mes mixes sort en format physique.

En mars dernier, tu nous as également préparé un podcast en amont de ton passage au festival Marvellous Island, tu as aussi une résidence hebdomadaire sur la radio belge Studio Brussel… C’est un exercice qui te plaît particulièrement, de préparer des mixes à écouter chez soi ?

Oui j’aime assez. C’est épuisant, surtout pour la radio car je dois préparer quelque chose chaque semaine, et j’ai évidemment envie de trouver de nouveaux morceaux à chaque fois – donc je dois faire beaucoup de recherches et éplucher des tonnes de mails promo. Mais je découvre de super titres, et ça m’a vraiment appris à être DJ, à sortir des sentiers battus et à mixer des morceaux que je ne pourrais pas forcément passer en club.

Tes sets sont de plus en plus durs, tu vas finir par faire du hardcore ?

Il ne faut jamais dire jamais mais je ne pense pas ! Depuis quelques années, la techno est de plus en plus rapide, plus dure aussi, et je me permets de mettre des titres comme ça dans mes sets. Je passe souvent quelques morceaux transe aussi, je m’en fous, je suis Belge, c’est notre histoire ! (rires)

Tu produis dans un style bien plus calme que dans tes sets très techno. Penses-tu à faire des lives un jour ?

Peut-être un jour, mais j’aimerais le faire au bon moment. Pour l’instant, je commence à voyager un peu, et j’adore faire des DJ-sets. Je pense à faire un album, peut-être qu’après ça je me lancerai pour un live. Mais rien n’est concret pour l’instant, c’est simplement que j’ai fait plusieurs morceaux qui ne pourraient pas coller sur un EP car ils sont trop différents les uns des autres. L’album et le live, c’est assurément mon prochain challenge en tout cas. Cela permet de montrer d’autres facettes de ton travail. Typiquement, j’ai écris un morceau au piano il y a un an et demi, un jour où j’étais toute seule chez moi et où j’étais un peu grognon. Je ne sais absolument pas jouer du piano, ça m’a pris une éternité pour faire un demi-morceau, mais je l’aime bien ! C’est ce genre de titres que j’aimerais inclure dans mon album, avec des morceaux plus techno bien sûr.

En attendant, tu sors des EPs. Le dernier en date s’appelle Voices Of The Ancient. Tu peux nous en parler ? 

En octobre dernier, pour l’ADE, j’ai été invitée à jouer dans la cave du Mary Go Wild, un magasin de disque. C’était une petite soirée, il devait y avoir 100, 200 personnes. On est resté en contact avec la personne qui m’avait invitée, et il m’a proposé de sortir un EP sur le label Mary Go Wild. Je lui ai envoyé « Voices Of The Ancient » et il l’a beaucoup aimé, mais a préféré créer un sous-label, Mary Go Wild Black, pour le sortir – ce sous-label servira pour les maxis plus sombres ou hypnotiques que ses habituelles sorties. C’est une super opportunité d’être la première sortie d’un label ! Et puis les équipes de Mary Go Wild font partie des gens les plus sympas que j’ai pu rencontrer, Alex (Slagter, le directeur artistique, ndr.) est génial, et l’artwork de l’EP est très cool.

Tu étais une habituée du Magazine Club à Lille, qui va bientôt fermer… 

Je suis super triste, j’adorais y aller. A chaque fois que j’y ai joué, l’énergie était folle, le public là-bas crie, danse, lèvent les bras… La totale ! J’aimerais vraiment y jouer une dernière fois avant la fermeture définitive.

Oui il reste encore plusieurs belles soirées, notamment une ce vendredi 9 juin avec un secret guest belge (tiens donc) ou une autre avec Laurent Garnier… 

… Oui le 17, j’ai bien vu ça ! Si je peux j’irai. Laurent Garnier est une légende vivante, il est incroyable et a beaucoup apporté à la musique en général. Et puis il est super sympa et terre-à-terre. Je l’ai rencontré une fois, un patron de label me l’a présenté à une soirée… J’étais impressionnée, je ne savais absolument pas quoi dire ! (rires)

Tu sors beaucoup ?

Plus tellement, la plupart du temps je mixe le week-end, je n’ai plus le temps de sortir. Mais j’essaye autant que possible : quand je suis bookée sur un festival j’essaye d’arriver en avance et de rester après mon set pour aller m’amuser un peu.

Tu trouves que c’est importantpour être un bon DJ que de continuer à sortir le plus souvent possible ?

Complètement ! Il n’y a rien de plus inspirant que de sortir, rencontrer ces artistes et regarder comment ils travaillent.

Et peut-être qu’un jour il y aura une soirée avec Laurent Garnier et Charlotte de Witte programmés !

Ah j’aimerais bien ! Ça fait partie de ma petite liste de trucs dont je rêve, comme jouer à Time Warp ou au Berghain. Cet été, je joue à Awakenings, ça aussi c’était sur ma liste ! Je suis super pressée. Je suis presque tombée de ma chaise quand j’ai reçu le mail de booking, et je me suis mise à pleurer avec ma mère à côté ! (rires)

Cela fait sept ans que tu fais de la musique, mais seulement deux depuis que tu te fais appeler par ton vrai nom (avant cela, Charlotte de Witte utilisait l’alias Raving George, ndr.). Et en deux ans tu es bookée partout. C’est allé vite !

Oui, les choses ont vraiment changé quand j’ai changé de nom. C’est arrivé au bon moment. Certes je mixais déjà depuis des années mais j’ai commencé très jeune. Si tout ça m’était arrivé quand j’avais 17 ans, je n’aurais pas pu gérer.

Tu as senti un changement d’attitude des promoteurs ou des bookers quand tu as changé de nom ? Tu avais beau te faire appeler Raving George, tout le monde savait que tu étais une femme…

Ça a beaucoup changé. Je ne me rendais pas compte quand ça allait avoir autant d’impact. Pour moi, c’était plutôt naturel, j’ai utilisé un pseudo pendant des années mais j’étais arrivée à un moment de ma vie où je savais que je voulais en faire mon métier et que je ne comptais pas m’arrêter. Je voulais me présenter comme j’étais, et je me connaissais aussi un peu mieux que quand j’ai commencé. Et puis c’est plus logique comme ça : quand tu regardes la scène techno, tu as Adam Beyer, Alan Fitzpatrick, Ida Endberg, Nina Kraviz… Ce sont de vrais noms, des noms d’adultes qui font sérieux. Raving George pas vraiment, c’était plutôt une blague. Me faire appeler par mon vrai nom m’a beaucoup aidé, sans vraiment que je l’anticipe : honnêtement, j’en avais juste marre de ce pseudo.

Et tu avais pris ce pseudo pour cacher le fait que tu étais une femme, donc reprendre ton vrai nom est aussi une manière « d’assumer » le fait d’être une femme dans ce milieu.

Oui, d’être une femme, d’être adulte aussi. A 17 ans, je faisais ça pour m’amuser, je n’avais aucune idée que ça allait devenir mon travail. Je n’étais pas sûre de moi, je ne savais pas vraiment où aller et ce que ça allait m’apporter.

Tu pensais faire quoi comme métier ?

J’ai fait des études de droit, mais j’ai arrêté au bout d’un an car je commençais à avoir de plus en plus de bookings et je me suis rendue compte que je voulais travailler dans le milieu de la musique. Donc j’ai commencé une école pour apprendre à créer des événements et manager des projets, en me disant que ça allait être lié à la musique… En fait pas du tout, c’était une décision très stupide. Je réussissais tous mes examens, j’ai monté ma propre boîte et je travaillais dur dessus. Sauf qu’ils me disaient « ce n’est pas en passant des disques que tu vas avoir ton diplôme ». Allez-vous faire voir ! J’essaye de faire quelque chose de ma vie, mais la techno n’était pas un domaine assez sérieux pour eux. Mais je prends ma revanche maintenant, je vais leur demander d’acheter Tsugi pour qu’ils y voient mon CD (rires)

Visited 42 times, 1 visit(s) today