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28 décembre 2023

TillLate, SoonNight, WeeMove : les photos de soirée

par Tsugi

Inévitables au carrefour des années 2000 et 2010, les photographes de sites comme TillLate, SoonNight et autres WeeMove ont ambiancé les discothèques de toute la France en mitraillant sans relâche des fêtards plus ou moins éméchés. Avant de purement, simplement et logiquement disparaître du monde de la nuit hexagonale.

 

Article rédigé par Julien Duez sur le Tsugi 165 : Culture Clubs, où va le clubbing ?

 

TillLate, SoonNight, WeeMove… Entre 2007 et environ 2013, alors que les réseaux sociaux étaient en pleine phase ascendante, ces noms se sont rapidement imposés comme les plateformes immanquables pour revoir sa ganache une fois passée la gueule de bois. Ainsi, à son apogée, le site SoonNight, officiellement référencé comme un guide de sorties et fondé par trois entrepreneurs parisiens en 2004, revendique 500 000 visiteurs uniques par jour et pas moins de 2000 soirées couvertes par mois, soit un total de près de 14 millions de photos uploadées, jusqu’à sa vente en 2018.

« Les gens se prenaient très au sérieux sur les photos. Il ne fallait pas faire n’importe quoi devant l’objectif puisque tu pouvais bien te faire juger une fois l’album publié en ligne !, se remémore Pierre, jeune trentenaire à l’époque et clubber alors invétéré au Styliss, à Rouvray, dans l’Yonne. En général, on en choisissait une de groupe pour illustrer le bandeau de couverture de notre profil Facebook et une en solo pour la photo de profil. Les photographes prenaient leur rôle au sérieux donc tu n’avais pas le droit de faire des dingueries devant l’objectif. C’était vraiment de la pose basique où tu te concentrais pour ne pas montrer que tu étais secoué. » Autres temps, autres mœurs. Vers 2010, Pierre affichait, comme la plupart des garçons de son âge, une large mèche de cheveux et des t-shirts à col en V. Un code parmi d’autres au moment de se faire flasher : « L’autre mode à l’époque était de ne pas regarder l’objectif, ce qui était complètement ridicule quand tu posais à dix sur la photo puisque chacun regardait dans une direction différente« , se marre-t-il.

 

 

Une éthique douteuse

De l’autre côté du boîtier, tous les photographes ont la particularité d’être bénévoles. Un choix assumé par les entreprises qui n’a pas manqué de provoquer l’ire de nombreux photographes sur les forums spécialisés – question de concurrence déloyale et d’irrespect du droit du travail. Cofondateur du collectif Spherik qui organisait des soirées technos à Nantes et Bordeaux jusqu’en 2013, Arnaud Bidou n’en garde pas non plus un très bon souvenir : « Déjà, les photos qu’ils prenaient avaient un côté très fête à Neu-Neu qui ne collait pas du tout avec ce que je voulais. Et surtout, ils venaient manger sur ton dos ces chacals !« , rejoue-t-il avec un sourire, nostalgique de l’époque où il officiait dans le monde de la nuit avec une éthique louable : « En fait, un site comme TillLate envoyait chez nous des mecs qui rentraient gratos et prenaient des photos qui se retrouvaient ensuite sur un site et dans une publication papier, le tout payé par la pub et sans que nous, organisateurs, on ne touche un centime ! Donc je les ai très vite virés et quand leurs responsables m’ont demandé pourquoi, je leur ai répondu que ce n’était pas dingue de prendre en photo des gens potentiellement défoncés en plus de totalement piétiner leur droit à l’image. Et leur absence n’a rien changé à mes soirées ! Mais j’étais probablement à contre-courant de ce qui se faisait dans la sphère plus grand public… »

 

TillLate

© DR

De fait, Arnaud constitue l’exception qui confirme la règle car en général, les établissements de nuit accueillaient volontiers ces photographes qui leur permettaient de bénéficier d’un coup de pub gratuit. Et les candidats étaient nombreux à se bousculer au portillon : « À l’époque, j’étais en train de passer mon bac donc je n’avais pas beaucoup d’argent. Bosser pour SoonNight, c’était un moyen de rentrer gratuitement en boîte et d’avoir quelques consos tout en me faisant la main. Mais je ne passais pas forcément ma nuit à shooter. Sur les coups de trois heures du mat’, je pouvais aussi laisser mon appareil au DJ et aller m’amuser avec mes potes« , raconte ainsi Tracy qui, entre 2009 et 2011, écumait chaque week-end le Bugatti et le Calypso à Beauvais, et a franchi le pas de la photo après s’être offert un boîtier à 1 000 euros en travaillant pendant tout un mois d’été dans l’entreprise de son père. « Il fallait donc faire énormément gaffe à son matériel, surtout avec les types bourrés, car SoonNight ne couvrait rien en cas de casse. Le seul truc qu’on nous donnait, c’était un t-shirt et des cartes de visite à distribuer pour que les gens sachent où retrouver leurs photos après la soirée. Généralement, elles sortaient très vite. Quand je rentrais chez moi, je passais directement aux retouches et elles étaient en ligne avant la fin du week-end. »

 

Nostalgie, quand tu nous tiens

De ses deux années passées à fréquenter les hauts lieux de la nuit beauvaisienne, Tracy se souvient aussi que travailler pour SoonNight lui a permis d’assister à des showcases et d’être aux premières loges pour rencontrer des artistes comme Lomepal ou Lord Kossity, dont elle ne garde pas forcément un excellent souvenir : « Je l’ai trouvé très désagréable. On sentait qu’il n’était là que pour vendre ses CDs et pas pour prendre des photos avec le public. » Aujourd’hui, la jeune femme a complètement changé de voie mais constate, lors de ses sorties occasionnelles, que sa réputation la précède : « Parfois, on m’appelle encore par mon surnom de l’époque, SoonNight ! » Rien d’étonnant pour Florian : « En boîte, les photographes étaient des stars ! Certains étaient même de vraies machines de guerre, leurs images étaient trop belles et ça leur permettait d’avoir une popularité équivalente à celle du barman ou du vigile. Moi j’avais 1 500 amis sur Facebook en 2009, c’était énorme à l’époque ! Je recevais tous les jours des messages pour me demander quelle soirée j’allais couvrir ou quand mes photos sortiraient« , s’exclame celui qui était connu sous l’alias French63, son pseudo sur TillLate.

Chez lui, dans l’Aude, il a gravi tous les échelons, commençant comme photographe junior en 2007, jusqu’à devenir manager de son département lorsque la plateforme, née en Suisse en l’an 2000 et présente dans toute l’Europe sous forme de franchises, a fusionné dix ans plus tard avec le site de rencontres nocturnes Enjoy Addict pour donner naissance à WeeMove. Une autre machine de guerre qui revendiquait un demi‐million de membres et un millier de photographes dans toute la France. « Nous, on était le Top 14, illustre Florian en bon Sudiste. Et SoonNight, c’était la Fédérale 3. Il existait bien une rivalité entre nous et elle était féroce ! Dans mon secteur, je me suis débrouillé pour qu’on couvre les meilleures soirées et qu’eux n’aient accès qu’à deux ou trois bars. »

 

TillLate

© DR

Un recadrage brutal

À l’évocation de cette époque faite de plannings, d’accréditations, de sorties mythiques à Narbonne, Carcassonne, Gruissan, voire Montpellier, Florian a des trémolos dans la voix : « C’était la meilleure période de ma vie, je paierais pour y retourner ! J’étais jeune, timide, ça m’a permis de m’ouvrir et de rencontrer du monde. Quand je suis devenu manager départemental, je devais faire attention à envoyer des gars expérimentés dans les plus grosses soirées car c’était la crédibilité de WeeMove qui était en jeu. Par exemple, je n’allais pas accréditer un junior pour un showcase de Maeva Carter au Chakana, qui était LA boîte de Narbonne. Mais malgré mes responsabilités, j’ai toujours fait en sorte qu’on fonctionne comme une famille« , explique celui qui a tout appris en autodidacte, depuis l’utilisation du flash déporté aux retouches surexposées sur Photoshop en passant par le cadrage en biais censé donner du dynamisme à l’image.

 

 

Autant d’éléments qui ont contribué à donner à WeeMove un style à part entière. Peu avant le milieu des années 2010, comme Pierre et comme Tracy, Florian est passé à autre chose : « À la suite d’un accident de la vie, je me suis retrouvé à sombrer et il fallait que je me ressaisisse. Donc je suis parti loin de chez moi après avoir réussi le concours de fonctionnaire de police, mon métier aujourd’hui. Malgré tout, je considère que WeeMove m’a servi de tremplin puisque j’ai été amené à faire des shootings pour des marques d’alcool ou de lingerie. Et je ne suis pas le seul. À Montpellier, une légende de la photo locale est devenue le vidéaste de l’humoriste Chicandier. Et je me souviens qu’un autre a réalisé des maquettes pour Joachim Garraud. Tout ça grâce à leur expérience de photographe de boîte ! »

Les sites qui y sont associés, eux, se cassent la gueule petit à petit, victimes de la concurrence de Facebook qui permet désormais aux teufeurs de se taguer directement sur leurs photos, mais aussi de la démocratisation des smartphones, dont les objectifs de plus en plus performants changent la manière de se photographier en soirée. Peu après 2015, les noms de domaine WeeMove et SoonNight ont changé de mains et, si leurs sites existent toujours, les albums photos ont disparu et leur contenu se résume essentiellement à du clickbait qui semble généré par une intelligence artificielle. Mais curieusement, les photographes de boîte, eux, n’ont pas totalement disparu. « C’est normal en même temps, conclut Florian. La qualité d’un appareil sera toujours supérieure à celle d’un téléphone et le souvenir n’en sera que plus beau. La seule différence, c’est que ce sont des employés des clubs qui shootent maintenant. Donc, ils sont payés. »

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