TNGHT : l’histoire derrière cet EP de 2012 devenu un monument de la trap

par Tsugi

En 2012, Hud­son Mohawke et Lunice s’as­so­ci­aient pour devenir TNGHT. Avec un unique EP sor­ti chez Warp, porté par le tube “High­er Ground”, ils ont mar­qué un tour­nant de cette décen­nie avec leur mélange de hip-hop et de musique élec­tron­ique, antic­i­pant et par­tic­i­pant au raz-de-marré trap qui défer­la peu de temps après sur le monde de la musique. Pour­tant, après ce maxi, plus rien. Le duo s’est mis en pause dès 2013 pour ne revenir que fin 2019 avec un sec­ond disque. À l’oc­ca­sion de leur con­cert du 17 mars au Tra­ben­do (annulé), ils nous ont racon­té l’his­toire der­rière ce qui est devenu un mon­u­ment de la trap.

Quel était l’état de la scène trap en 2012, juste avant la sor­tie de votre EP ?

Lunice : Au moment où nous avons créé le pro­jet, nous n’avions jamais enten­du par­ler d’une scène appelée “trap”. Nous savions que quelque chose était en train d’émerger, mais nous venions de notre pro­pre scène, qui était au car­refour de plusieurs styles de musique élec­tron­ique, entre house et hip-hop. On expéri­men­tait déjà avec plusieurs gen­res de musique avant que quelqu’un ne pense à qual­i­fi­er ce qu’on fai­sait de “trap”. Pour nous, c’était juste de la musique électronique.

Hud­son Mohawke : Lunice soulève un point intéres­sant. Nous avions des influ­ences de dif­férents gen­res élec­tron­iques, avec un focus sur le hip-hop et le rap, mais cela n’avait pas vrai­ment de nom. C’est arrivé plus tard, d’Atlanta.

Nous voulions juste faire de la musique exci­tante et fun, des instru sim­ples, un peu stu­pides, qui son­nent bien sur un gros sound system.”

Que cherchiez-vous à faire avec ce pre­mier disque ?

Hud­son Mohwake : Nous voulions juste faire de la musique exci­tante et fun, des instru sim­ples, un peu stu­pides, qui son­nent bien sur un gros sound sys­tem. Nous val­orisons beau­coup la sim­plic­ité, nous ne voulons pas com­plex­i­fi­er inutile­ment les choses.

Lunice : Nous essayons plutôt de ressen­tir les choses quand nous tra­vail­lons. Nous ne dis­cu­tons pas de la direc­tion que nous devri­ons pren­dre, on ne fait que réa­gir instinc­tive­ment à ce qu’on entend. C’est basé sur l’émotion. Si un son de clap nous fait faire “wow”, c’est ça qui compte. On ne va pas utilis­er ce clap parce qu’il sonne comme un genre par­ti­c­uli­er, nous l’utilisons parce qu’il nous fait ressen­tir quelque chose.

Hud­son Mohawke : C’est très instinc­tif, on ne pré­pare rien. C’est impor­tant pour nous de ne pas savoir exacte­ment quelle sera la forme finale du morceau.

Com­ment c’est d’être en stu­dio avec vous deux ?

Lunice : Pour les deux dis­ques, le proces­sus créatif était sim­i­laire mais les cir­con­stances dif­férentes. Pour le pre­mier, il y avait beau­coup de whisky à dis­po­si­tion (rires). Nous viv­ions dans l’instant, comme pen­dant une soirée en club. Mais en gran­dis­sant, on s’éloigne de ça naturelle­ment ; et pour le deux­ième, on avait beau­coup d’eau (rires). En fait, le cli­mat a tout changé : le pre­mier disque a été fait à Lon­dres, c’était nuageux, plu­vieux. Pour le sec­ond, on était à Los Ange­les. Je ne te fais pas un dessin…

Au cœur du pro­jet, il y a cette vieille envie : explor­er, aller tou­jours plus loin.”

Le pre­mier enreg­istrement était plus chao­tique, peut-être ?

Lunice : Je ne pense pas. On essayait de se con­cen­tr­er sur le rap instru­men­tal, tout en cher­chant à faire un truc unique. Pour le sec­ond, on s’est juste lais­sés porter là où le proces­sus créatif nous menait. Par ailleurs, pour le pre­mier, on ne savait pas encore tra­vailler ensem­ble. Arrivés au sec­ond disque, on était déjà habitués, on avait con­science de notre col­lab­o­ra­tion créa­tive et nous nous en sommes servis. C’est pourquoi la palette de styles est plus large, tout en restant ori­en­té vers le dance­floor. Mais tou­jours avec notre pro­pre personnalité.

Hud­son Mohawke : On vient d’une scène antérieure à tout ça, où tout est ques­tion d’ap­porter de nou­velles idées. On a voulu con­serv­er cette curiosité. Et la curiosité va de pair avec l’amusement, c’est pourquoi on essaie de ne pas trop réfléchir. Au cœur du pro­jet, il y a cette vieille envie : explor­er, aller tou­jours plus loin.

Cette volon­té d’ex­plor­er sans se répéter a‑t-elle été dif­fi­cile à met­tre en pratique ?

Lunice : C’était très spon­tané. Nous nous sommes gardés de prévenir nos équipes de man­age­ment et nos labels. C’é­tait ce qu’on voulait préserv­er : la manière de démar­rer le pro­jet. Un jour, Hud­son m’a appelé pour me dire qu’il était venu s’installer à Los Ange­les, qu’il avait un stu­dio et une cham­bre, et donc qu’on pou­vait tra­vailler sur de nou­velles musiques ensem­ble. Une semaine plus tard, nous avions plusieurs nou­veaux morceaux. Rien n’était plan­i­fié, aucune pres­sion. C’est vrai­ment comme une thérapie : tu fais ça pour toi-même. Rien de ce qu’on a créé ne vient d’une idée extérieure, rien n’est fait parce que c’est ce que tout le monde aime. Ce qui compte, c’est ce qu’on ressent.

Le meilleur moyen de ne pas se répéter, c’est de se réin­ven­ter soi-même.”

Donc, si je vous suis, le meilleur moyen de ne pas se répéter est de suiv­re le même processus ?

Lunice : Le meilleur moyen de ne pas se répéter, c’est de se réin­ven­ter soi-même. Même adulte, on grandit tou­jours, et donc notre créa­tiv­ité change. On crée pour nous-même, puis on tra­vaille ensem­ble et la musique sonne comme elle sonne.

Vous auriez quelques anec­dotes de l’enregistrement de votre pre­mier EP ?

Lunice : Je me sou­viens être assis en train de regarder Hud­Mo tra­vailler sur un remix pour Björk. Une fois ter­miné, il me dit : “Hey, on avait par­lé de faire un pro­jet ensem­ble il y a quelques mois.” Il se lève et me dit : “On s’y met.” Il ouvre une nou­velle ses­sion, s’installe sur son clavier et joue quelques notes, qui, au final, seront présentes sur le pre­mier track de l’EP (“Top Floor”, ndr). On ne savait pas ce qui allait arriv­er, on l’a juste fait pour nous. J’adore ce genre de moments, c’est quelque chose dont je me sou­viendrai tou­jours. On peut faire quelque chose comme ça, sans avoir un grand pro­jet der­rière, et le garder sur un disque.

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