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22 novembre 2021

Traque du GHB en soirée : une histoire qui se répète

par Sylvain Di Cristo

Depuis quelques mois, le GHB revient tristement sur le devant de la scène médiatique. Le mouvement #BalanceTonBar prend de plus en plus d’ampleur en France et en Europe, et la multiplication de témoignages de femmes droguées à leur insu a provoqué le boycott de plusieurs établissements de nuit. Sans parler de cette nouvelle manière de procéder avec l’utilisation d’aiguilles hypodermiques directement dans le corps. Du côté des collectifs et organisateurs d’événements électroniques, on se range en ordre de bataille contre la recrudescence de ce fléau en soirée, qui n’est pourtant pas nouveau. On se souvient qu’au Queen il y a 20 ans, on mettait déjà des coupelles sur les verres pour éviter qu’on vienne y verser du GHB dedans, profitant d’un moment d’inattention. Rajouté à cet acte qui est, lui, criminel, le danger de l’overdose est aussi très lié à cette drogue difficile à doser. En 2018, on a tristement déploré plusieurs cas de malaises graves dus à la consommation volontaire à but récréatif de GBL (dix en trois mois) jusqu’à ce que le pire arrive : le décès d’un jeune homme d’une vingtaine d’années après l’ingestion accidentelle d’une grosse dose de GBL lors d’une soirée au club parisien Petit Bain.

À la lumière de cette effroyable actualité, nous publions sur le web notre enquête de mai 2018 initialement parue dans le Tsugi 112, sur les dangers du GHB/GBL.

Article écrit par Estelle Morfin dans le Tsugi 112 (mai 2018)

GHB. La “drogue du violeur”. Ne pas boire dans ce verre laissé sans surveillance. Attention, des prédateurs sexuels rôdent dans les bars, les discothèques. Main ou couvercle en plastique pour protéger son gin-tonic. C’est cette association de pensée que la majorité d’entre nous garde en tête lorsque l’on prononce ces trois lettres. Il faut dire que depuis la fin des années 90, les médias avaient largement participé à la diffusion de ces idées, reprises par nos mères anxieuses, et ancrant dans l’imaginaire collectif cette image d’une drogue insidieuse, administrée à notre insu, utilisée à des fins d’agression sexuelle. S’il y a en effet eu à cette époque plusieurs cas d’intoxication au GHB à visée criminelle et pour induire ce que l’on appelle une “soumission chimique”, ils sont aujourd’hui largement minoritaires et la réalité sur le terrain est toute autre.

 

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Aujourd’hui, on n’a quasiment jamais affaire à du GHB. Le GHB (l’acide gamma-hydroxybutyrate) a été synthétisé dans les années 60 et est utilisé en anesthésie et à des fins médicales. Classé en 1999 comme stupéfiant en France et interdit à l’usage (sauf dans le cadre hospitalier), le GHB se présente sous forme de poudre ou de liquide incolore et inodore. Il finit par être détourné comme drogue récréative pour induire un état d’euphorie ou de désinhibition. Certains recherchent aussi son effet sédatif, comme Marie qui nous a avoué en prendre le soir, “seule, avant de [s’]endormir”.

Sur le site de la MILD&CA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives), il est inscrit que ses effets “se manifestent rapidement (10 à 15 min) et durent entre 1h30 et 2 h”. Cependant, sa difficulté d’obtention et son statut pénal ont vite détourné ses usagers vers son précurseur, la GBL (la gamma-buty-rolactone), solvant industriel qui se transforme en GHB dans l’organisme après ingestion, avec les mêmes effets. Pourtant, par arrêté du 2 septembre 2011, et suite à une vague d’accidents liés à la GBL en France, la vente et la cession au public de GBL sont interdites en France. La GBL est normalement utilisée par les industriels comme dissolvant pour les polymères, comme colle dans les dissolvants de vernis à ongles ou comme décapant pour enlever des graffitis ou de la peinture. Même s’il semble assez fou d’ingérer un produit si caustique, son prix peu élevé, environ 10 € les 100 ml – sachant que la dose prise est généralement 2 ml – et sa facilité d’accès – même pas besoin d’aller sur le darkweb pour s’en procurer – ont attiré un nombre croissant d’expérimentateurs.

Ajoutons également que le GHB/GBL est assez connu dans la communauté HSH (Homme(s) ayant des rapports sexuels avec un (des) autre(s) homme(s)) depuis les années 2000. Le produit fait aussi partie de ces substances utilisées lors du “chemsex”, mot-valise anglais basé sur “chemicals” (drogues chimiques) et “sex” (sexe), autre phénomène qui prend parallèlement de l’ampleur. Généralement, ces populations étaient mieux informées sur les risques liés au GHB/GBL. Ce qui change aujourd’hui, c’est que l’on sort du contexte sexuel, la visibilité du phénomène augmente, l’espace festif se mélange avec l’espace des HSH et des chemsexeurs. Force est de constater qu’à Paris, le GHB/GBL a définitivement fait son entrée dans les fêtes libres et sur les dancefloors. On l’appelle même par un petit nom, qui ne le rend pas moins inoffensif : le “G”.

 

De l’importance de réduire les risques

Alexandre, 23 ans, en a directement fait les frais, et a bien failli y rester. En septembre dernier, il a accidentellement ingéré une trop grosse dose de GBL en soirée. “Du ‘G’, j’en avais pris une dizaine de fois avant, on n’avait pas dormi depuis 24 heures, j’avais pris beaucoup de trucs avant et je me suis dit que j’allais me faire une pipette pour redescendre et rentrer chez moi. Je sais me gérer d’habitude.” Sauf que la bouteille d’eau minérale dans laquelle il a bu sa dose est celle d’un ami, contenant déjà du G. Transféré aux urgences pour overdose, il passera trois jours dans le coma. “Je me suis réveillé entubé de partout, dans l’artère, dans la vessie, la gorge. Le médecin m’a dit que j’avais cinq drogues dans le sang. Seul sentiment en me levant : la honte. Tout le monde devait prendre soin de moi, j’ai mis ma famille sens dessus dessous.”

« Je me suis réveillé entubé de partout, dans l’artère, dans la vessie, la gorge. »

On le rappelle, la surdose est vite arrivée, surtout dans un contexte festif où la vigilance est réduite. Beaucoup de paramètres entrent en jeu et la plupart sont incontrôlables, même si le consommateur utilise une pipette et met un réveil pour espacer ses prises (ce qui est déjà un début). Le niveau de fatigue joue aussi. En pleine soirée, en after, on devient vite oublieux. L’accident est lui aussi vite arrivé. Comme celui au Petit Bain où le jeune homme a aussi bu dans une bouteille de GHB par mégarde. Lui ne s’en est pas sorti.

 

La question de la responsabilité

Il n’y a pas qu’à Paris où le phénomène “G” se fait sentir. À Berlin et à Londres, deux villes où la culture de la fête est très présente, le GHB/GBL que l’on appelle aussi “liquid ecstasy” est déjà considéré comme un fléau. Au Berghain, La Mecque de la techno, on applique la tolérance zéro à propos du “G”. En France, c’est plus compliqué. On ne sait pas encore trop comment réagir.

Suite à la fermeture administrative d’établissements de nuit parisiens due aux récents accidents causés par le GBL, le Collectif Action Nuit (CAN) composé de professionnels du milieu de la nuit a récemment envoyé un communiqué à la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn, revenant “sur la consommation problématique de GBL par le public” et faisant part de son souhait de voir mis en place “un ensemble de mesures pour lutter contre sa prolifération”. Frantz Steinbach de CAN déclarait en avril au Parisien s’ériger contre les actions coercitives de l’état, se positionner en lanceur d’alerte et vouloir mener une action main dans la main avec les pouvoirs publics. Une des mesures demandées est l’augmentation des moyens mis en place pour des fouilles plus efficaces (par des agents agréés par le Ministère de l’Intérieur), suite à quoi l’association de réduction des risques Techno + est montée au créneau, dénonçant dans un article l’effet “panique morale” et le caractère inapproprié de ce genre de mesures dissuasives, qui ne serviraient pas à grand-chose “si ce n’est peut-être à ‘couvrir’ les organisateurs”. De son côté, la Préfecture de Police commence tout juste à réagir et Michel Delpuech, préfet de police de Paris, vient juste d’affirmer à la presse qu’il élaborait un plan de lutte.

« La surdose est vite arrivée, surtout dans un contexte festif où la vigilance est réduite. Beaucoup de paramètres entrent en jeu et la plupart sont incontrôlables. »

Comme le rappelle une fiche de l’ARS (Agence Régionale de Santé) en IDF, “toute consommation de substance illicite expose à la fois à des risques judiciaires et sanitaires”, mais le GBL ne fait pas partie de la liste des stupéfiants. Même si sa vente et sa cession au public sont interdites, elle est excessivement accessible. On a essayé nous-mêmes, en quelques clics sur Internet c’est réglé. Y a-t-il un vide juridique à ce niveau ? Et faut-il reconsidérer le GHB/GBL comme un vrai problème de santé publique ? À ces questions légitimes, la Direction Générale de la Santé n’a pas pu nous répondre. Elle avoue avoir besoin de temps pour discuter de la situation, réunir différents acteurs, recueillir des informations.

 

Informer plutôt que réprimer

C’est le principal problème auquel nous nous sommes heurtés lors de cette enquête : il y a peu d’études sur le GHB/GBL, peu de chiffres aussi. Du moins, en France. On cherchait des indications sur la prévalence du GHB/GBL, on a trouvé tant bien que mal une étude menée en 2017 par le Global Drug Survey dans 50 pays et sur un échantillon de plus de 115 000 utilisateurs de drogues (sauf alcool, tabac et caféine) : 2,8 % ont admis avoir expérimenté le GHB/GBL dans leur vie. En France, on manque encore cruellement de statistiques récentes. D’ailleurs, interrogé à ce sujet, l’OFDT (l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies) avoue ne pas avoir d’éléments suffisants pour chiffrer ces usages et s’en défend : “À l’échelle de l’ensemble de la population, la diffusion de ce produit reste extrêmement faible et n’est pas mesurée par les enquêtes en population générale.” Il n’y a d’ailleurs pas de case à cocher “GHB/GBL” dans les enquêtes ESCAPAD, qui quantifient les drogues expérimentées par les jeunes de 17 ans. Pourtant, le dispositif TREND relève depuis deux ans une nouvelle diffusion dans les clubs et les discothèques des grandes villes de France, surtout de Paris. “Le ‘G’, c’est une drogue sociale. Comme les fringues, il y a une communauté autour, ça en devient cool. Il n’y a rien de bizarre à vouloir socialiser. C’est un vrai mouvement selon moi, comme le LSD à l’époque hippie, ou l’ecstasy à l’époque des raves”, admet Alexandre. Comme il le souligne justement, la consommation de drogue liée à la musique n’est pas un phénomène nouveau. Il ne sert à rien de le nier, comme il est impossible de l’interdire totalement. Autant donc miser sur l’information des publics, qui est aujourd’hui insuffisante.

Toutefois, quelques associations sont tant bien que mal en place. Nicolas Buonomo, coordinateur de l’association Fêtez Clairs qui met aussi en place des stands de préventions dans divers évènements, nous confirme qu’il y a une “vraie consommation de GHB depuis des années, mais un regain de curiosité depuis 2016. On a d’ailleurs réédité une de nos brochures”. D’autres associations font de même : Techno+, qui diffuse des fiches très complètes sur son site, et informe les usagers en free party. Mais il faut diffuser davantage le message. Suite aux comas répétés à Paris, la résistance underground s’organise aussi, sans stigmatiser. Dans certaines soirées, les organisateurs, les DJs et les particuliers en ont rajouté une couche, chacun y allant de sa particularité. Comme Mehdi qui a imprimé ses propres affichettes de prévention pour sa soirée : “No G-hole, just dance-hole.” Histoire de rappeler que cette drogue peu chère peut quand même détourner les consommateurs du premier but qu’ils recherchent : s’oublier un peu, mais surtout s’amuser et danser, tout simplement.

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