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Traque du GHB en soirée : une histoire qui se répète

Depuis quelques mois, le GHB revient tris­te­ment sur le devant de la scène médi­a­tique. Le mou­ve­ment #Bal­ance­Ton­Bar prend de plus en plus d’am­pleur en France et en Europe, et la mul­ti­pli­ca­tion de témoignages de femmes droguées à leur insu a provo­qué le boy­cott de plusieurs étab­lisse­ments de nuit. Sans par­ler de cette nou­velle manière de procéder avec l’u­til­i­sa­tion d’aigu­illes hypo­der­miques directe­ment dans le corps. Du côté des col­lec­tifs et organ­isa­teurs d’événe­ments élec­tron­iques, on se range en ordre de bataille con­tre la recrude­s­cence de ce fléau en soirée, qui n’est pour­tant pas nou­veau. On se sou­vient qu’au Queen il y a 20 ans, on met­tait déjà des coupelles sur les ver­res pour éviter qu’on vienne y vers­er du GHB dedans, prof­i­tant d’un moment d’i­nat­ten­tion. Rajouté à cet acte qui est, lui, crim­inel, le dan­ger de l’over­dose est aus­si très lié à cette drogue dif­fi­cile à dos­er. En 2018, on a tris­te­ment déploré plusieurs cas de malais­es graves dus à la con­som­ma­tion volon­taire à but récréatif de GBL (dix en trois mois) jusqu’à ce que le pire arrive : le décès d’un jeune homme d’une ving­taine d’années après l’ingestion acci­den­telle d’une grosse dose de GBL lors d’une soirée au club parisien Petit Bain.

À la lumière de cette effroy­able actu­al­ité, nous pub­lions sur le web notre enquête de mai 2018 ini­tiale­ment parue dans le Tsu­gi 112, sur les dan­gers du GHB/GBL.

Arti­cle écrit par Estelle Morfin dans le Tsu­gi 112 (mai 2018)

GHB. La “drogue du vio­leur”. Ne pas boire dans ce verre lais­sé sans sur­veil­lance. Atten­tion, des pré­da­teurs sex­uels rôdent dans les bars, les dis­cothèques. Main ou cou­ver­cle en plas­tique pour pro­téger son gin-tonic. C’est cette asso­ci­a­tion de pen­sée que la majorité d’entre nous garde en tête lorsque l’on prononce ces trois let­tres. Il faut dire que depuis la fin des années 90, les médias avaient large­ment par­ticipé à la dif­fu­sion de ces idées, repris­es par nos mères anx­ieuses, et ancrant dans l’imaginaire col­lec­tif cette image d’une drogue insi­dieuse, admin­istrée à notre insu, util­isée à des fins d’agression sex­uelle. S’il y a en effet eu à cette époque plusieurs cas d’intoxication au GHB à visée crim­inelle et pour induire ce que l’on appelle une “soumis­sion chim­ique”, ils sont aujourd’hui large­ment minori­taires et la réal­ité sur le ter­rain est toute autre.

 

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Aujourd’hui, on n’a qua­si­ment jamais affaire à du GHB. Le GHB (l’acide gamma-hydroxybutyrate) a été syn­thétisé dans les années 60 et est util­isé en anesthésie et à des fins médi­cales. Classé en 1999 comme stupé­fi­ant en France et inter­dit à l’usage (sauf dans le cadre hos­pi­tal­ier), le GHB se présente sous forme de poudre ou de liq­uide incol­ore et inodore. Il finit par être détourné comme drogue récréa­tive pour induire un état d’euphorie ou de dés­in­hi­bi­tion. Cer­tains recherchent aus­si son effet sédatif, comme Marie qui nous a avoué en pren­dre le soir, “seule, avant de [s’]endormir”.

Sur le site de la MILD&CA (Mis­sion inter­min­istérielle de lutte con­tre les drogues et les con­duites addic­tives), il est inscrit que ses effets “se man­i­fes­tent rapi­de­ment (10 à 15 min) et durent entre 1h30 et 2 h”. Cepen­dant, sa dif­fi­culté d’obtention et son statut pénal ont vite détourné ses usagers vers son précurseur, la GBL (la gamma-buty-rolactone), solvant indus­triel qui se trans­forme en GHB dans l’organisme après inges­tion, avec les mêmes effets. Pour­tant, par arrêté du 2 sep­tem­bre 2011, et suite à une vague d’accidents liés à la GBL en France, la vente et la ces­sion au pub­lic de GBL sont inter­dites en France. La GBL est nor­male­ment util­isée par les indus­triels comme dis­solvant pour les polymères, comme colle dans les dis­solvants de ver­nis à ongles ou comme déca­pant pour enlever des graf­fi­tis ou de la pein­ture. Même s’il sem­ble assez fou d’ingérer un pro­duit si caus­tique, son prix peu élevé, env­i­ron 10 € les 100 ml – sachant que la dose prise est générale­ment 2 ml – et sa facil­ité d’accès – même pas besoin d’aller sur le dark­web pour s’en pro­cur­er – ont attiré un nom­bre crois­sant d’expérimentateurs.

Ajou­tons égale­ment que le GHB/GBL est assez con­nu dans la com­mu­nauté HSH (Homme(s) ayant des rap­ports sex­uels avec un (des) autre(s) homme(s)) depuis les années 2000. Le pro­duit fait aus­si par­tie de ces sub­stances util­isées lors du “chem­sex”, mot-valise anglais basé sur “chem­i­cals” (drogues chim­iques) et “sex” (sexe), autre phénomène qui prend par­al­lèle­ment de l’ampleur. Générale­ment, ces pop­u­la­tions étaient mieux infor­mées sur les risques liés au GHB/GBL. Ce qui change aujourd’hui, c’est que l’on sort du con­texte sex­uel, la vis­i­bil­ité du phénomène aug­mente, l’espace fes­tif se mélange avec l’espace des HSH et des chem­sexeurs. Force est de con­stater qu’à Paris, le GHB/GBL a défini­tive­ment fait son entrée dans les fêtes libres et sur les dance­floors. On l’appelle même par un petit nom, qui ne le rend pas moins inof­fen­sif : le “G”.

 

De l’importance de réduire les risques

Alexan­dre, 23 ans, en a directe­ment fait les frais, et a bien fail­li y rester. En sep­tem­bre dernier, il a acci­den­telle­ment ingéré une trop grosse dose de GBL en soirée. “Du ‘G’, j’en avais pris une dizaine de fois avant, on n’avait pas dor­mi depuis 24 heures, j’avais pris beau­coup de trucs avant et je me suis dit que j’allais me faire une pipette pour redescen­dre et ren­tr­er chez moi. Je sais me gér­er d’habitude.” Sauf que la bouteille d’eau minérale dans laque­lle il a bu sa dose est celle d’un ami, con­tenant déjà du G. Trans­féré aux urgences pour over­dose, il passera trois jours dans le coma. “Je me suis réveil­lé entubé de partout, dans l’artère, dans la vessie, la gorge. Le médecin m’a dit que j’avais cinq drogues dans le sang. Seul sen­ti­ment en me lev­ant : la honte. Tout le monde devait pren­dre soin de moi, j’ai mis ma famille sens dessus dessous.”

Je me suis réveil­lé entubé de partout, dans l’artère, dans la vessie, la gorge.”

On le rap­pelle, la sur­dose est vite arrivée, surtout dans un con­texte fes­tif où la vig­i­lance est réduite. Beau­coup de paramètres entrent en jeu et la plu­part sont incon­trôlables, même si le con­som­ma­teur utilise une pipette et met un réveil pour espac­er ses pris­es (ce qui est déjà un début). Le niveau de fatigue joue aus­si. En pleine soirée, en after, on devient vite oublieux. L’accident est lui aus­si vite arrivé. Comme celui au Petit Bain où le jeune homme a aus­si bu dans une bouteille de GHB par mégarde. Lui ne s’en est pas sorti.

 

La question de la responsabilité

Il n’y a pas qu’à Paris où le phénomène “G” se fait sen­tir. À Berlin et à Lon­dres, deux villes où la cul­ture de la fête est très présente, le GHB/GBL que l’on appelle aus­si “liq­uid ecsta­sy” est déjà con­sid­éré comme un fléau. Au Berghain, La Mecque de la tech­no, on applique la tolérance zéro à pro­pos du “G”. En France, c’est plus com­pliqué. On ne sait pas encore trop com­ment réagir.

Suite à la fer­me­ture admin­is­tra­tive d’établissements de nuit parisiens due aux récents acci­dents causés par le GBL, le Col­lec­tif Action Nuit (CAN) com­posé de pro­fes­sion­nels du milieu de la nuit a récem­ment envoyé un com­mu­niqué à la min­istre des Sol­i­dar­ités et de la San­té Agnès Buzyn, revenant “sur la con­som­ma­tion prob­lé­ma­tique de GBL par le pub­lic” et faisant part de son souhait de voir mis en place “un ensem­ble de mesures pour lut­ter con­tre sa pro­liféra­tion”. Frantz Stein­bach de CAN déclarait en avril au Parisien s’ériger con­tre les actions coerci­tives de l’état, se posi­tion­ner en lanceur d’alerte et vouloir men­er une action main dans la main avec les pou­voirs publics. Une des mesures demandées est l’augmentation des moyens mis en place pour des fouilles plus effi­caces (par des agents agréés par le Min­istère de l’Intérieur), suite à quoi l’association de réduc­tion des risques Tech­no + est mon­tée au créneau, dénonçant dans un arti­cle l’effet “panique morale” et le car­ac­tère inap­pro­prié de ce genre de mesures dis­sua­sives, qui ne servi­raient pas à grand-chose “si ce n’est peut-être à ‘cou­vrir’ les organ­isa­teurs”. De son côté, la Pré­fec­ture de Police com­mence tout juste à réa­gir et Michel Delpuech, préfet de police de Paris, vient juste d’affirmer à la presse qu’il élab­o­rait un plan de lutte.

La sur­dose est vite arrivée, surtout dans un con­texte fes­tif où la vig­i­lance est réduite. Beau­coup de paramètres entrent en jeu et la plu­part sont incontrôlables.”

Comme le rap­pelle une fiche de l’ARS (Agence Régionale de San­té) en IDF, “toute con­som­ma­tion de sub­stance illicite expose à la fois à des risques judi­ci­aires et san­i­taires”, mais le GBL ne fait pas par­tie de la liste des stupé­fi­ants. Même si sa vente et sa ces­sion au pub­lic sont inter­dites, elle est exces­sive­ment acces­si­ble. On a essayé nous-mêmes, en quelques clics sur Inter­net c’est réglé. Y a‑t-il un vide juridique à ce niveau ? Et faut-il recon­sid­ér­er le GHB/GBL comme un vrai prob­lème de san­té publique ? À ces ques­tions légitimes, la Direc­tion Générale de la San­té n’a pas pu nous répon­dre. Elle avoue avoir besoin de temps pour dis­cuter de la sit­u­a­tion, réu­nir dif­férents acteurs, recueil­lir des informations.

 

Informer plutôt que réprimer

C’est le prin­ci­pal prob­lème auquel nous nous sommes heurtés lors de cette enquête : il y a peu d’études sur le GHB/GBL, peu de chiffres aus­si. Du moins, en France. On cher­chait des indi­ca­tions sur la pré­va­lence du GHB/GBL, on a trou­vé tant bien que mal une étude menée en 2017 par le Glob­al Drug Sur­vey dans 50 pays et sur un échan­til­lon de plus de 115 000 util­isa­teurs de drogues (sauf alcool, tabac et caféine) : 2,8 % ont admis avoir expéri­men­té le GHB/GBL dans leur vie. En France, on manque encore cru­elle­ment de sta­tis­tiques récentes. D’ailleurs, inter­rogé à ce sujet, l’OFDT (l’Observatoire français des drogues et des tox­i­co­ma­nies) avoue ne pas avoir d’éléments suff­isants pour chiffr­er ces usages et s’en défend : “À l’échelle de l’ensemble de la pop­u­la­tion, la dif­fu­sion de ce pro­duit reste extrême­ment faible et n’est pas mesurée par les enquêtes en pop­u­la­tion générale.” Il n’y a d’ailleurs pas de case à cocher “GHB/GBL” dans les enquêtes ESCAPAD, qui quan­ti­fient les drogues expéri­men­tées par les jeunes de 17 ans. Pour­tant, le dis­posi­tif TREND relève depuis deux ans une nou­velle dif­fu­sion dans les clubs et les dis­cothèques des grandes villes de France, surtout de Paris. “Le ‘G’, c’est une drogue sociale. Comme les fringues, il y a une com­mu­nauté autour, ça en devient cool. Il n’y a rien de bizarre à vouloir socialis­er. C’est un vrai mou­ve­ment selon moi, comme le LSD à l’époque hip­pie, ou l’ecstasy à l’époque des raves”, admet Alexan­dre. Comme il le souligne juste­ment, la con­som­ma­tion de drogue liée à la musique n’est pas un phénomène nou­veau. Il ne sert à rien de le nier, comme il est impos­si­ble de l’interdire totale­ment. Autant donc miser sur l’information des publics, qui est aujourd’hui insuffisante.

Toute­fois, quelques asso­ci­a­tions sont tant bien que mal en place. Nico­las Buonomo, coor­di­na­teur de l’association Fêtez Clairs qui met aus­si en place des stands de préven­tions dans divers évène­ments, nous con­firme qu’il y a une “vraie con­som­ma­tion de GHB depuis des années, mais un regain de curiosité depuis 2016. On a d’ailleurs réédité une de nos brochures”. D’autres asso­ci­a­tions font de même : Tech­no+, qui dif­fuse des fich­es très com­plètes sur son site, et informe les usagers en free par­ty. Mais il faut dif­fuser davan­tage le mes­sage. Suite aux comas répétés à Paris, la résis­tance under­ground s’organise aus­si, sans stig­ma­tis­er. Dans cer­taines soirées, les organ­isa­teurs, les DJs et les par­ti­c­uliers en ont rajouté une couche, cha­cun y allant de sa par­tic­u­lar­ité. Comme Meh­di qui a imprimé ses pro­pres affichettes de préven­tion pour sa soirée : “No G‑hole, just dance-hole.” His­toire de rap­pel­er que cette drogue peu chère peut quand même détourn­er les con­som­ma­teurs du pre­mier but qu’ils recherchent : s’oublier un peu, mais surtout s’amuser et danser, tout simplement.

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