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©Aldo Paredes
11 février 2020

Tsugi 129 : Interview intime avec The Black Madonna

par Clémence Meunier

DJ internationale, figure bienveillante et militante de la scène électronique, celle qui s’identifie comme une « maman de la rave » (pour savoir s’exprimer ouvertement au sujet de la tolérance et de l’inclusion), l’Américaine The Black Madonna met sa notoriété au service des droits des migrants LGBTQ. Mais comment cette DJ de Chicago au parcours accidenté en est-elle venue à jouer les bonnes fées ?

Retrouvez cette interview en intégralité dans le Tsugi 129, disponible partout.

Les noms des soirées dans lesquelles The Black Madonna officie parlent d’eux-mêmes : la nouvelle prêtresse de la house américaine a l’espoir et l’optimisme chevillés aux platines. Marea Stamper, 42 ans aujourd’hui, n’est pas du genre à baisser les bras. Entre son épiphanie rave à quatorze ans et son succès international de ces dernières années, elle a survécu à toutes les galères, les errances et les rejets, sans jamais abandonner son rêve de prêcher la bonne parole house, souvent mâtinée de techno, de disco voire de drum’n’bass. Un parcours de combattante born and raised dans le fin fond du Kentucky sans le sou, qui l’amène aujourd’hui à s’engager en faveur de ceux qui ont encore moins : les réfugiés, et plus particulièrement les réfugiés LGBT fuyant des pays où l’homosexualité est encore un crime.

Jusqu’à mi-avril, elle sillonnera l’Europe avec son We Still Believe : Choose Love Tour pour soutenir l’association Help Refugees, une ONG anglaise fournissant une aide humanitaire et un support psychologique aux réfugiés du monde entier. Histoire de ramener un peu d’amour et de solidarité dans la culture club, la propulsant presque malgré elle en Madonne des bonnes causes, une figure maternelle vers qui les laissés-pour-compte se tournent, quitte à lui confier leurs secrets sur les réseaux sociaux. Alors que la résidente du Smartbar (le club le plus réputé de Chicago, où se produisent aussi bien des pointures locales comme Derrick Carter ou feu Frankie Knuckles, que des stars internationales, comme DJ Harvey ou Ben Klock) s’apprêtait à retourner le club bruxellois C12 avec pléthore de drag-queens pailletées, on a discuté d’engagement et de persévérance avec celle qui a enfin réussi à conquérir l’Europe.

©Aldo Paredes

Tu dis souvent que les gens viennent en club avec des besoins et des espoirs différents. Quels étaient les tiens quand tu as commencé à sortir ?

Quand j’ai commencé à m’intéresser à la musique électronique, j’étais une gamine. Je pensais être une grande, mais quand je revois les photos aujourd’hui, je me rends compte que j’étais encore une petite fille. Je n’étais même pas encore au lycée. C’était les années 90, la musique électronique devenait plus populaire, on la voyait à la télévision dans des versions plus pop, notamment sur MTV que je regardais beaucoup. J’étais une enfant bizarre, je n’avais pas beaucoup d’argent, je n’avais pas beaucoup d’amis. J’ai toujours été un peu ostracisée. Personne n’est très heureux à quatorze ans, mais les miens ont été durs. Savoir qu’il y avait un autre monde quelque part, loin d’un système scolaire très conservateur, loin de l’Amérique sudiste peu progressiste dans laquelle je grandissais, a été salvateur. Les club kids à la télé avaient l’air si créatifs et colorés. Ils vivaient des aventures ! Ça ressemblait à la liberté.

Que s’est-il passé quand tu y as goûté ?

En étant balancée dans la scène rave nord-américaine si jeune, au milieu de tellement d’adultes, je me suis complètement perdue. À 16 ans, je vivais seule dans mon propre appartement, j’avais un petit copain bien trop vieux pour moi, je m’attirais plein de problèmes… Ça aurait pu mal finir, j’ai eu de la chance. D’autres ne l’ont pas eu. Beaucoup de mes amis de l’époque ont connu les dommages collatéraux de cette vie, beaucoup sont tombés profondément dans la drogue ou se sont retrouvés dans des situations violentes. On était des gamins face à des problèmes d’adultes. Aujourd’hui, je ne concevrais même pas de gérer certains des problèmes que j’ai dû gérer adolescente. D’une certaine manière, j’étais plus solide à 16 ans que je ne le suis à 42, parce que je ne me rendais pas compte, je n’en savais pas assez pour être effrayée. J’ai eu ce que je voulais : la liberté, les aventures, les voyages, un tout nouveau monde. Mais aussi beaucoup de danger. J’ai commencé à réaliser tout ça bien plus tard, quand j’ai vu des gosses de 16 ans en club – mon Dieu, j’étais si jeune moi aussi ?! Je me pensais très mature et sophistiquée, mais il aurait pu m’arriver n’importe quoi. Ma mère s’en rendait bien compte et avait des nerfs d’acier. Elle savait que j’en avais besoin, et que si elle ne me faisait pas confiance, j’allais me rebeller d’une telle force que ça allait devenir encore plus dangereux. Ce qui est arrivé à beaucoup de gamins, tandis que je savais que si quelque chose tournait mal, je pouvais toujours appeler ma mère. Et je l’ai fait, plein de fois. Avoir une famille à qui je pouvais raconter sincèrement ce qui se passait dans ma vie, jusqu’aux trucs louches, c’était important. J’aimerais que tout le monde ait cette chance.

Il t’est arrivé d’évoquer ce phénomène étonnant sur les réseaux sociaux : des fans t’écrivent pour te confier leurs difficultés, racontant des agressions qu’ils ou elles ont pu subir. Ça arrive souvent ?

Constamment. Quand quelqu’un te confie quelque chose, la première chose à faire, c’est évidemment d’écouter, puis de demander ce que tu peux faire pour aider. Le plus souvent, les gens ne veulent rien, seulement être écoutés. Évidemment, je ne suis pas une professionnelle, je suis juste DJ, mais j’essaye de faire de mon mieux.

C’est la première fois que j’entends un DJ dire qu’il ou elle reçoit ce genre de messages très personnels. Comment expliques-tu ça ?

Je ne sais pas ! Et je ne crois pas connaître d’autre DJ à qui cela arrive. Mais j’ai une relation assez personnelle avec les gens qui viennent à mes shows. Je pense que c’est parce que je suis une femme, ils savent que je vais les écouter et pas les rejeter. Quand j’étais une jeune fille, je ne me serais pas sentie très à l’aise de me confier à un DJ mec, je me serais demandé s’il allait me croire. Je me suis toujours exprimée ouvertement au sujet de la tolérance, de la bienveillance et de l’inclusion, les gens se sentent en confiance avec moi pour les évoquer de manière plus personnelle. C’est assez difficile cela dit : je veux être disponible pour les gens sans dépasser mes propres capacités. Après tout, je suis “juste” une dame de 42 ans en tournée – mon âge doit sûrement ajouter une dimension maternelle à tout ça. Je suis une maman de la rave. (rires)

…La suite de l’interview de The Black Madonna est à retrouver en kiosque ou sur notre boutique en ligne dans le Tsugi 129.

Tsugi 129, disponible partout

©Aldo Paredes

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