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© TINO POHLMANN
31 octobre 2022

Un jour à Chicago avec Henrik Schwarz

par Benoît Carretier

Par Benoît Carretier,  extrait du Tsugi 154

Adepte des projets où sa house feutrée rencontre la musique africaine, le classique ou le jazz, le Berlinois Henrik Schwarz n’a pas toujours été à l’aise dans son rôle d’expérimentateur. À ses débuts, il n’avait même pas le sentiment d’être un véritable musicien. Une rencontre à Chicago avec le leader du groupe de jazz Ethnic Heritage Ensemble dans un studio de répétition a changé sa vie.

 

Je voudrais revenir sur les premiers temps de ma carrière. Tout a véritablement commencé pour moi quand j’ai remixé «He’s Got The Whole World In His Hands » d’Ethnic Heritage Ensemble pour le compte du label Deeper Soul Records. C’était il y a si longtemps, en 2006, mais remixer ce groupe deep jazz de Chicago était quelque chose d’énorme pour moi. La scène deep jazz de cette ville, en particulier avec Pharaoh Sanders, a toujours été la musique qui m’inspirait le plus. Quand le remix a été prêt, Deeper Soul m’a invité à Chicago pour jouer avec Ethnic Heritage Ensemble. À l’idée de partager la scène avec eux, j’étais comme un fou, et en même temps, j’étais pétrifié de peur. Je débutais à peine mes lives avec mon laptop, et il faut se rappeler qu’en 2004/2005, c’était quelque chose de nouveau. Très souvent on était le sujet de moqueries quand on arrivait sur scène avec un ordinateur portable. Les gens se demandaient ce que l’on faisait. À cette époque, je ne me sentais pas très sûr de moi. J’avais été DJ pendant des années, je ne m’étais jamais considéré comme un musicien et voilà que j’allais jouer à Chicago avec un groupe de jazz.

 

 

Mon histoire commence réellement maintenant. Arrivé à Chicago, je me dirige vers le studio de répétition en fin d’après midi. Nous sommes supposés jouer le soir même. J’ai tellement de respect pour ces musiciens qu’en passant la porte, je tremble de tous mes membres, car je ne sais pas ce qui m’attend ou si je vais seulement être capable de les rejoindre sur scène avec mon laptop. Je suis très bien accueilli, ils sont adorables. On s’installe, Kahil El’Zabar, le leader du groupe, se met à la batterie, le saxophoniste, le claviériste et le trompettiste nous rejoignent, et on commence à répéter. Je suis de plus en plus excité. Je joue les parties de mon remix de «He’s Got The Whole World In His Hands », le kick drum et des lignes de basse, et eux jamment. Tout se déroule à la perfection. Le morceau s’achève et Kahil se tourne vers moi: «Que peut-on jouer d’autre? Tu as un autre morceau?» Je bredouille que j’ai peut-être quelque chose et je joue une de mes productions récentes, «Leave My Head Alone Brain». Pendant que je le joue, Kahil prend une feuille de papier, un stylo et commence à écrire des notes et des accords ! Quand le morceau s’arrête, il me regarde. Je suis en train de penser que celui qui me fixe a joué avec Pharaoh Sanders et Ornette Coleman, ces géants du jazz, quand je l’entends me demander le nom du morceau. Il le note sur son papier et poursuit: «Qui l’a écrit?» Il inscrit mon nom sur sa feuille. Et là, il se passe un truc. Je ne sais pas si je peux l’exprimer avec des mots : du point de vue de ces musiciens que je vénérais, j’étais l’un des leurs.

 

 

« Il se passe un truc. Je ne sais pas si je peux l’exprimer avec des mots. Du point de vue de ces musiciens que je vénérais, j’étais l’un des leurs. »

 

 

Sans eux, je n’aurais pas compris que moi aussi j’écrivais des morceaux, que je n’étais pas qu’un nerd sur un laptop. Kahil reprend alors sa feuille, continue à gribouiller, prend d’autres feuilles, écrit d’autres grilles d’accords puis tend ses papiers aux autres musiciens du groupe en leur disant solennellement: «OK, maintenant on va jouer “Leave My Head Alone Brain” d’Henrik Schwarz. Allez, on joue. » Et là, je n’y crois pas. Alors que j’ai lancé le morceau, il se met à compter et la section de cuivres joue sur MON track les accords qu’il vient d’écrire. C’est juste incroyable. On finit la répétition par un de leurs titres, on part dîner, je suis toujours aussi excité et flippé par le concert. À 23h, on monte sur scène dans une salle pleine, on joue… Quand arrive «Leave My Head Alone Brain». Je suis soufflé par ce qu’ils y apportent et d’un coup je suis le mec le plus fier du monde. Si eux m’ont pris au sérieux ce jour-là, pourquoi moi je ne le pourrais pas? Chicago a été un tournant pour moi, et je suis rentré chez moi avec une confiance nouvelle.

 

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