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Une nuit à Beyrouth avec Romane Santarelli

Depuis deux ans, cette jeune pro­duc­trice épate avec sa tech­no sophis­tiquée qui pulse d’une dimen­sion très men­tale. Ce qui n’empêche pas les cav­al­cades dance­floor. À l’oc­ca­sion de la sor­tie le 3 décem­bre de son nou­v­el EP, elle nous racon­te sa pre­mière per­for­mance en dehors de nos fron­tières. For­cé­ment un événement.

Arti­cle issu du Tsu­gi 145 : les grandes énigmes de la musique, en kiosque et à la com­mande en ligne

18 h : Arrivée au très beau Palais Sur­sock, où il n’y a pas eu de con­cert depuis 1994. Cela fait un peu plus de douze heures que je suis arrivée à Bey­routh, avec Éric et David, mes bookeurs. C’est la pre­mière fois que je voy­age hors d’Europe, et surtout c’est la pre­mière fois que je joue ma musique à l’étranger. Alors je suis surex­citée, mais aus­si un peu ten­due… On est ici pour le Beirut Com­ic Art Festival !

19 h : En extérieur, dans les jardins, on com­mence la bal­ance, qui est vite un peu per­tur­bée : les subs pour­raient provo­quer un effon­drement du palais, très endom­magé par l’explosion de 2020, alors on y va mol­lo. Je ren­con­tre Mohamad Kraytem et Alfred, les deux artistes qui vont illus­tr­er ma musique en dessins, pro­jetés sur grand écran, en impro.

20 h : Tout le monde est très cool en back­stage, on mange du fro­mage libanais, du hou­mous, et je cherche des toi­lettes pen­dant trente min­utes avec Gui­do de Acid Arab qui me fait bien rire. Bon, ça y est, je com­mence à me détendre.

21 h : Je ren­tre sur scène. Comme sou­vent, c’est le gros moment de doute, mais cette fois j’ai l’impression de n’avoir aucun repère. « Est-ce que les gens vont aimer ? » Puis je lâche tout, accom­pa­g­née des dessi­na­teurs qui retran­scrivent avec brio chaque instant de ma musique. Il y a env­i­ron 800 per­son­nes, presque autant de sourires et de regards émer­veil­lés, et je com­prends que ce moment que je suis en train de vivre, je vais exacte­ment m’en sou­venir toute ma vie.

22 h : Je joue la dernière note, applaud­isse­ments. Je me sens telle­ment bien. Acid Arab prend la relève pour un autre con­cert dess­iné. J’ai besoin d’aller pren­dre un bain de foule. Les gens vien­nent me par­ler, je bafouille des remer­ciements en anglais. Ils me dis­ent que ça leur a fait grand bien… « Mer­ci pour ton con­cert, on a l’impression que la vie revient à Bey­routh. » Woh… Je suis sur un petit nuage.

00 h : Cur­few. Une navette vient nous chercher, avec tous les musi­ciens, l’équipe BD, l’orga. Ambiance colo direc­tion le Braz­zav­ille Café pour l’after !

1 h : La ville est plongée dans le noir, pour économiser l’électricité… Parce que oui, c’est la crise ici. Mini-ascenseur émo­tion­nel. Le taxi roule à fond la caisse. Sans phares et sans lumières dans les tun­nels, j’avoue que je serre un peu les fesses.

1 h 30 : Arrivée au Braz­zav­ille, qui a tout d’un bar clan­des­tin : une ter­rasse dans la pénom­bre, avec pour seul éclairage un néon rouge qui illu­mine les vis­ages et les fresques col­orées sur les murs. Une quin­zaine de per­son­nes sont déjà là. Une sono branchée sur un groupe élec­trogène passe de la musique des années 2000. Je suis très loin de chez moi et pour­tant, je me sens comme à la mai­son. On se com­mande des gin-basilic et on com­mence à refaire le monde, et surtout on essaye d’imaginer le monde vu d’ici. Alors on écoute.

4 h : On décide d’être sages et de ren­tr­er se couch­er. Pas de folie, je suis impa­tiente de voir du pays demain. Sur le rooftop de l’hôtel, on écoute du Eddy Woogy sur le portable de David en fumant nos dernières clopes. La ville est endormie. Je crois qu’à ce moment-là, on ne par­le pas trop, et à la fois on débor­de d’énergie : on mesure notre chance, avec une sorte d’urgence à vivre. Des mots enten­dus au Braz­zav­ille d’une dessi­na­trice libanaise réson­nent dans ma tête : « On pour­rait aller pren­dre un bain de minu­it ! Moi, je sors surtout la nuit. Parce que la nuit, à Bey­routh, tu ne vois pas la merde. La nuit, tu es libre. Puis quand il fait jour, c’est là que tout revient… La merde revient sur Bey­routh. » Alors, on n’est pas allés pren­dre de bain de minu­it ni voir la mer ce soir-là, mais j’ai com­pris une chose : la rage de vivre des gens d’ici est con­tagieuse. J’ai de la chance d’être où je suis, alors je vais encore plus me surpasser.

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