Skip to main content
Crédits : Hana Ofangel
26 octobre 2017

Variations par Sourdoreille, quand des producteurs techno rencontrent des musiciens classiques

par Corentin Kieffer

L’année dernière, Sourdoreille lançait un projet osé, en co-production avec Culturebox et La Compagnie des Indes : proposer à cinq duos de producteurs électroniques et d’instrumentistes classiques de reprendre un répertoire devenu mythique. Ainsi, Jeff Mills et Emile Parisien ont revisité le jazz de John Coltrane, Chloé et Vassilena Serafimova ont rejoué la musique minimaliste de Steve Reich, Electric Rescue et Gaspar Claus se sont attaqués au compositeur allemand Jean-Sébastien Bach, Dubfire et Mari Samuelsen démystifièrent le style tintinnabuli d’Arvo Pärt et Zadig et Thomas Enhco s’en prirent au compositeur hollywoodien Bernard Herrmann. Outre la diffusion sur Culturebox, cette série de concert a reçu un bel écho et les trois premiers duos ont poursuivi leur collaboration avec d’autres représentations publiques.

Sourdoreille réitérait l’expérience cette semaine avec la deuxième saison de leur évènement intitulé « Variations », dans la belle et prestigieuse salle de La Cigale du 18ème arrondissement de Paris. Le temps d’une soirée entre expérimentations sonores et visuelles, lyrisme poétique et révélations improbables.

Crédits : Hana Ofangel

John Dowland par Arnaud Rebotini et Céline Scheen

On ne présente plus Arnaud Rebotini, dans l’actu ces derniers temps avec la réussite du film 120 battements par minute dont il a composé la bande originale. Il est accompagné de Céline Scheen, une soprano belge, référence dans le chant classique. Ensemble, ils dépoussièrent John Dowland, luthiste pour les cours du Danemark et d’Angleterre au XVIe siècle. Le résultat ressemble à la musique d’une messe noire, créant une tension palpable dans la salle. Un moment magnifique, mais troublant alors que nous venions à peine d’arriver.

Crédits : Hana Ofangel

Philip Glass par Maud Geffray et Lavinia Meijer

Maud Geffray est la moitié de Scratch Massive. Elle a sorti cette année son premier album, Polaar, captivant et onirique. Lavinia Meijer est une harpiste néerlandaise. Elle a travaillé sur deux albums de reprises, sur les répertoires de Ludovico Einaudi et Philip Glass justement, qui rencontrèrent un grand succès. Si elle nageait en terrain connu, la fusion de son instrument, dont elle joue magnifiquement, avec les nappes synthétiques et les vocaux soyeux de Maud fut parfaite. Un grand instant de poésie, aussi bien reposant qu’énergique.

Crédits : Hana Ofangel

Henry Purcell par Marc Romboy et Tamar Halperin

Alors que les esprits présents eurent la bonne idée d’attaquer une troisième pinte le ventre vide, Marc Romboy et Tamar Halperin nous plongent dans le baroque du 17e siècle. Marc Romboy, baron de la techno allemande, s’était déjà frotté à l’oeuvre de Debussy avec l’Orchestre Philharmonique de Dortmund. Tamar Halperin, elle, est claveciniste, souvent indissociable de la musique. Si Henry Purcell est un compositeur anglais reconnu, le résultat fût légèrement soporifique. Une torpeur s’empara de la salle dira-t-on, même lorsque la claveciniste s’est mise à faire rouler des balles de ping-pong sur les cordes de son instrument, créant alors des sons distordus s’entremêlant au brouillard électronique de Marc Romboy.

Crédits : Hana Ofangel

Miles Davis par Kenny Larkin et Erik Truffaz

Mais on s’est réveillé ! Tous ! D’un côté, Kenny Larkin, un des pionniers de la techno seconde génération de Détroit. De l’autre, Erik Truffaz, un trompettiste suisse de génie, qui dit avoir découvert le jazz avec… Miles Davis justement. Autant dire qu’il a dû se faire plaisir sur ce projet. Et cela se ressentait sur scène où la complicité entre les deux musiciens était presque palpable. Entre des montées électroniques interminables et des solos de trompette stupéfiants, jusqu’au moment tant attendu où les basses et des kicks bien gras purent enfin s’exprimer, l’équilibre musical était parfait. Il y a même eu des petits cris dans la foule pourtant ultra-silencieuse jusque là. Certains ont dansé. Bref, c’était spectaculaire, tonnerre d’applaudissement à la fin.

Crédits : Hana Ofangel

Astor Piazzolla par Gui Boratto et Ksenija Sidorova

Dernier duo et pas des moindres. Car passer après Kenny Larkin et Eric Truffaz n’était pas chose aisée tant la barre fût placée haute. Et pourtant, le fer de lance du label Kompakt, Gui Boratto, accompagné de l’accordéoniste lettone Ksenija Sidorova, tête de proue du prestigieux label Deutsche Grammophon, ont transcendé l’auditoire en reprenant le répertoire tango du compositeur argentin Astor Piazzolla. Le mariage entre les solos d’accordéon sensuels à souhait, et la puissance de frappe des modulaires du producteur brésilien transportèrent les spectateurs entre les rues de Buenos Aires et un hangar industriel au petit matin pour un final percutant tout en beauté.

Crédits : Hana Ofangel

Encore une fois, Sourdoreille vient de frapper un grand coup. À travers ces différents duos, l’équipe a réussi à prouver qu’il existait de nombreuses approches pour marier musiques électroniques, instruments et répertoires classiques. Les producteurs doivent-ils prendre en charge la base rythmique, et les instrumentistes la mélodie ? Ou l’inverse ? Chaque duo s’est prêté à l’exercice à sa manière. Et comme on a pu le voir à la fin de chaque concert, cette expérience inédite a pu rapprocher les musiciens entre eux. Maintenant, reste à savoir si certains décideront de continuer l’aventure.

Corentin Kieffer et Antoine Tombini

Visited 21 times, 1 visit(s) today