Voiron : “Il y a toujours un camion et un chien pas loin dans ma musique”

Vu et célébré sur la scène du petit dernier des fes­ti­vals français, Nord Fic­tion, Voiron a retourné le pub­lic nor­mand lors d’un live qui restera longtemps dans les têtes. Drum n’bass dévas­ta­trice, tech­no dansante et tran­si­tions savoureuses… C’est juste avant son état de grâce der­rière les platines, le ven­dre­di soir, que nous avons ren­con­tré le pro­duc­teur bre­ton. Il nous a livré une superbe exclu, beau­coup de boutades et de belles expli­ca­tions sur sa musique. Saviez-vous qu’il ado­rait les fleurs ? Entretien.

En bon bre­ton, tu allais régulière­ment en free par­ty lorsque tu étais jeune ? 

C’est un peu ce que racon­te la légende… Je suis né en Bre­tagne en 1987 donc lorsque j’avais l’âge d’y aller, c’était vrai­ment en plein pen­dant la mode des free par­ties mais pour le coup je n’en ai pas fréquen­té beau­coup. Voire même très peu. À l’époque tout le monde allait en free et juste­ment j’y allais pas trop parce que j’étais pas rac­cord avec la musique qui pas­sait là-bas. Selon moi, ce n’é­tait pas la meilleure péri­ode. Ils pas­saient surtout de la hard tech­no de m**de au milieu des années 90. Musi­cale­ment, c’était une péri­ode assez cat­a­strophique. C’était même plus un phénomène de mode qu’une vraie pas­sion, pour cer­tains. Il y avait quand même des trucs cools, là où j’al­lais… Enfin j’e­spère. 

 

Tu utilis­es ton nom dans les inti­t­ulés de tes morceaux, pourquoi ? 

J’ai tou­jours été fan d’Aphex Twin. Ce côté culte de la per­son­nal­ité qu’il pou­vait avoir en met­tant sa tête partout, je pense qu’inconsciemment j’ai été inspiré. Mais c’est surtout parce que ça me fai­sait mar­rer de met­tre mon nom partout, je ne l’ai pas cal­culé, c’était des con­ner­ies… J’ai com­mencé à le faire sur Voironiz­er sous le label Noc­ta Numer­i­ca. À l’époque, l’idée c’était de “voironiz­er”, impos­er mon style sans vouloir pass­er pour un pré­ten­tieux. Mais après je me suis enfer­mé dans ça, main­tenant je suis obligé de con­tin­uer à “voironiz­er” puisque je l’ai tou­jours fait. Je suis dans cette démarche de garder cette ligne directrice.

Tu n’as qu’un seul morceau sur Voironiz­er qui ne com­porte pas ton nom dans son titre, c’est “After chez Oim”, c’est l’un de tes titres les plus écoutés ?

Cer­taine­ment, et pour­tant je l’ai jamais joué en live parce qu’il est assez lent. Et à l’époque, ça ne ren­trait pas dans mes mix­es. Main­tenant je pour­rais plus le jouer en set parce que je fais beau­coup plus de ponts tem­po qu’avant. Ce track se base sur une mélodie d’after, en mode MDMA. À l’o­rig­ine c’était un titre que j’avais fait sur le côté. Je l’avais envoyé à Charles qui s’occupe du label, et il avait kif­fé. Mais c’est totale­ment un hasard que ce soit lui qui ait autant “pété”.

 

Tu n’as jamais cher­ché à sor­tir un deux­ième “After chez oim” ? 

Là juste­ment, dans le live que je vais faire ce soir, et dans les prochains sons à venir à la ren­trée, si tout se passe bien et si les délais de créa­tion de vinyles ne sont pas trop longs… Il y en aura qui ressembleront. 

 

C’est une exclu­siv­ité que je vous donne Tsu­gi : l’al­bum s’ap­pellera Ingénieur du son.”

 

Ton nom sera présent dans tous ces nou­veaux sons à venir ?

Oui, sauf le titre de l’album ! C’est une exclu­siv­ité que je vous donne Tsu­gi : l’al­bum s’ap­pellera Ingénieur du son. Pour ce prochain pro­jet, je me suis remis à faire des trucs sur des tem­pos qui se rap­prochent des 120 bpm, avec même des références à des morceaux min­i­males que j’ai pu écouter quand j’ai com­mencé à sor­tir en club. J’y ajoute des sonorités de la TB-303. Je com­mence à être vieux, et ça fait 20 ans que je fais exacte­ment la même chose. Je regar­dais des sou­venirs Face­book d’il y a 10 ans et je me dis que je fai­sais exacte­ment pareil. Mais je prends ça comme une force, si tu écoutes les trucs que je fais main­tenant et les sons de mes débuts, je n’ai pas l’impression qu’il y ait un gap. Même si des gens pour­raient me le reprocher, pour ma part j’en suis plutôt fier.

Voiron

La Roland TB-303 © Steve Sims

Faire fig­ur­er “Voiron” dans tous tes titres, c’est rac­cord avec cette volon­té de garder une ligne direc­trice très forte non ? 

Il y a beau­coup d’offres et beau­coup de DJ, de plus en plus jeunes. Même si je ne suis pas si vieux que ça, lorsque j’avais 20 piges c’était plus com­pliqué que main­tenant de faire de la musique. Aujourd’hui, il y a énor­mé­ment de propo­si­tions artis­tiques, il y a plein de gens doués très rapi­de­ment. J’ai l’impression d’avoir été nul pen­dant longtemps puis je suis arrivé à un bon niveau, désor­mais je stagne… Au moins, les gens recon­nais­sent mon style, du moins ceux qui s’intéressent à ce genre de musique de niche… même si ce n’est pas encore Venet­ian Snares. Bref, je m’attache à mon fil conducteur.

 

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Tu vis­es quoi à tra­vers ta musique ?

Pour être hon­nête, je ne vise plus grand chose. Je ne sais pas si c’est très vendeur…(rires) Pen­dant longtemps, le point cul­mi­nant était de réus­sir à être inter­mit­tent du spec­ta­cle. Je l’ai été juste avant le Covid, donc j’ai eut le droit à des aides durant la pandémie. Mais peut-être que l’année prochaine je ne le serai plus. Si je peux con­tin­uer dans la musique, c’est trop cool mais sinon je ne suis plus dans cette course infer­nale à jouer. C’est sûre­ment lié au fait que j’ai quit­té Paris. Je n’attends plus grand-chose de la musique, je suis bien con­scient que la mienne ne va pas soulever les foules.

 

Tu vis où maintenant ? 

J’habite un petit bled dans les Côtes d’Armor, entre Perros-Guirec et Paim­pol, Plougres­cant. J’ai bougé là-bas parce que ma copine est fleuriste. Elle en avait marre de tra­vailler sur Paris avec des fleurs importées des Pays-Bas, donc elle a lancé sa ferme flo­rale dans le patelin où on habite. Je l’aide beau­coup. Mon passe-temps c’est d’ailleurs plus l’exploitation de la ferme que la musique. (rires)

 

Donc si la musique s’arrête, tu as donc déjà ton plan de secours ?

De toute manière, j’ai tou­jours tra­vail­lé en par­al­lèle de la musique, notam­ment dans la restau­ra­tion. Je pour­rai faire autre chose, je m’en fous ! Même si à un moment j’aurais aimé pass­er un cap, je pense que ma musique m’au­rait fait défaut. Je serais tombé sur un pla­fond de verre.

 

Tu pens­es ? Même mal­gré ta productivité ? 

Je pense que je suis tou­jours autant pro­duc­tif, mais les his­toires de délais de pres­sage de vinyles peu­vent laiss­er penser le con­traire. Mon prochain pro­jet, Ingénieur du son ne sor­ti­ra qu’à la ren­trée prochaine alors que je l’ai fait en 2020. Ces délais me fatiguent. Je sais que c’est long, que c’est nor­mal mais c’est relou et pour être hon­nête ça me fait même un peu chi­er. La spon­tanéité me manque. Cer­taines per­son­nes me dis­ent qu’avant je fai­sais plein de morceaux. Mais avant, à peine le morceau était fait que je le partageais sur Sound­cloud

 

Qu’est ce que tu espères pour le pro­jet qui arrive ? 

D’abord je suis grave fier de sor­tir sur ce label, qui a sor­ti des dis­ques d’artistes dont j’étais fan lorsque j’avais quinze ans. Et s’il a un bon accueil de la niche je serai déjà hyper con­tent. Si cer­tains morceaux font mar­rer les gens, c’est tant mieux. Sur les 46 sor­ties d’Ana­log­i­cal Force, je crois que c’est le plus facile à écouter de tout ce qu’ils ont sor­ti avant. Je sais que le boss du label ne com­mu­nique pas auprès des médias, il n’est pas dans une démarche com­mer­ciale de la musique. Donc je ne m’at­tends pas à grand chose…(rires)

 

À chaque fois que je com­mence la pro­duc­tion d’un morceau je me dis qu’il faut que je fasse “Plas­ticine” de Plastikman.”

 

Où tu trou­ves l’inspiration pour tes morceaux et notam­ment pour le morceau Nin­ja Voiron qui tranche avec le reste de ta discogra­phie avec son sample ? 

Je crois que je suis tombé par hasard sur une bande de sam­ples dans une usine. Il faut savoir que j’ai enreg­istré ce morceau il y a peut-être qua­tre ou cinq ans. À l’é­coute, j’ai enten­du ce sam­ple qui rap­pelle l’Asie et j’avais tapé un trip là-dessus. (rires)

Encore une vision des choses très spontanée ? 

Oui, c’est tou­jours com­plète­ment débile. Jamais de la vie je me suis dit “là je vais faire un truc con­stru­it de cette manière-la”… Pour être clair, à chaque fois que je com­mence la pro­duc­tion d’un morceau, je me dis qu’il faut que je fasse “Plas­ticine” de Plas­tik­man. C’est la seule ligne con­duc­trice que je me fixe depuis 20 piges… Je veux faire une belle ligne de TB dans une ambiance un peu dark mais qui donne envie de pleur­er tout de même. Puis de ça, ça part en co**lles… (rires)

 

D’autres références ?

J’écoute très peu de musique élec­tron­ique. Je ne diggue plus rien. Je suis tombé dans une sorte de rou­tine dans laque­lle je me plais, et que j’essaie même de revendi­quer. J’utilise presque tou­jours les mêmes sons, tout le temps les mêmes boites à rythmes. Ce n’est tou­jours pas très vendeur je sais… (rires) Je pense que ce qui me lie à la tech­no c’est les musiques instinc­tives des années 90. A l’époque, les artistes étaient lim­ités par les bécanes qu’ils avaient, mais j’aime quand même garder cette idée que ma discogra­phie repose sur 5 présets. Dans l’idée, les pre­miers morceaux de tech­no que j’ai écoutés sont ceux de Sweet Exor­cist, avec des sons qui se ressem­blent énor­mé­ment sur les albums. Je suis resté blo­qué sur ce genre de truc.

 

Apparem­ment tu te sens comme un “faux parisien” ? 

Je suis né à Paris, mais j’ai gran­di en Bre­tagne depuis que j’ai deux ans. Par la force des choses je suis plus bre­ton que parisien. C’est en Bre­tagne que j’ai com­mencé à écouter de la musique élec­tron­ique. J’avais la chance d’avoir des potes qui avaient un grand frère qui était un gros nerd du break­core et d’autres gen­res de tarés. La Bre­tagne a tou­jours eu une vague alter­na­tive. Quand je suis allé vivre à Rennes une année après le lycée, il y avait ce dis­quaire, Switch, où un bac sur deux était dédié à la hard­core ou à la break­core, c’était improb­a­ble… Il y a même un moment où c’était la norme d’écouter du break­core. C’était hyper ok. Je pense que c’est des sons que j’ai eu très vite dans mon incon­scient et dans ma musique, même si après je suis par­ti dans les clubs à Paris et en Bel­gique… où j’ai décou­vert la min­i­male. Je pense que j’ai gardé cette emprunte bre­tonne. Il y a tou­jours un camion et un chien pas loin dans ma musique.

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