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7 février 2019

Vous ne le savez pas encore, mais Blu Samu est votre prochaine rappeuse préférée

par Clémence Meunier

Elle a passé sa petite enfance au Portugal puis a rejoint sa mère à Anvers, avant de se prendre une claque en découvrant le hip-hop adolescente et de débarquer à Bruxelles pour tenter sa chance… Tout ça à 23 ans : Blu Samu va vite. Elle court même. Et c’est d’ailleurs dans « I Run », son tout premier morceau entre rap et soul sorti il y a deux ans, que l’on retrouve le manifeste de cette jeune chanteuse et rappeuse : « Can’t afford to be dumb, you know / Used to be numb before / I got into all this music shit / Now I put my soul into the flows I spit » (« Je n’ai pas les moyens d’être idiote, tu sais / Avant, j’étais engourdie / Je me suis lancé dans cette putain de musique / Aujourd’hui je mets mon âme dans les flows que je crache »). Un rap loin des égo-trips, racontant les doutes et les errances d’une rêveuse d’aujourd’hui, et porté par des productions souvent chill, parfois concoctées par ses potes du 77. En live, le tout explose, dynamité par ce petit bout de femme en brassière et à l’anglais impeccable – une formule testée et approuvée en janvier dernier au festival Eurosonic. Peu de temps avant qu’elle ne monte sur scène, on a coincé Blu Samu pour une interview : impossible de rater le futur phénomène, jeune héritière des Fugees dont les influences sont plutôt à chercher de l’autre côté de l’Atlantique… Mais dont les « blindés » et autres expressions chelous rappellent Bruxelles, « BX », sa ville de coeur… Et décidément une ville bourrée de talent quand on parle de hip-hop.

Dans les commentaires Youtube d’un de tes clips, on peut lire « C’est ce qu’il se passe quand Sade et Lauryn Hill ont un bébé musical »… Tu te retrouves dans la comparaison ?

C’est super flatteur mais je n’aime pas trop me comparer à des gens que j’admire autant – Sade et Lauryn Hill sont des femmes qui ont vraiment laissé leur marque dans le monde de la musique et qui sont des modèles pour beaucoup de gens, dont moi. Ce serait un peu trop arrogant de ma part ! Je les admire énormément et je pense qu’inconsciemment je suis influencée par les deux, mais aussi par beaucoup d’autres artistes que j’ai pu écouter plus jeune. Il y a d’ailleurs certains de mes morceaux, dans un registre purement rap ou trap, qui n’ont pas grand chose à voir avec du Sade ou du Lauryn Hill.

Ton tout dernier morceau, « Verbal Glock » en featuring avec Félé Flingue du 77, est en effet dans un autre registre, purement rap, avec une esthétique assez oldschool, tandis que dans le clip de « Goose », on retrouve plein de références aux animés japonais. Tout ce que tu aimes, tu le mets dans tes clips et tes morceaux, et tu vois bien ce que ça donne ?

Exactement (rires) ! Pour les références au manga, c’est uniquement pour le clip, ça ne s’entend pas dans la musique, car les musiques d’animés sont très souvent horribles. Bon il y aurait peut-être quelque chose à faire de très lourd et trap avec la BO de Ghost In The Shell, mais à part ça c’est compliqué de piocher dans ces répertoires-là ! J’ai grandi en regardant beaucoup de cartoons et d’animés, ça fait partie de mes racines, comme la vie que j’ai vécu au Portugal puis en Belgique ou les musique que j’ai écoutées quand j’étais gosse… Tout ça me nourrit.

Tu écoutais quoi à la maison enfant ?

Ma maman achetait les compilations des gros tubes de l’année, les Hits Collections. Il y avait toujours un ou deux trucs de jazz, ou des trucs comme « Englishman In New York » de Sting ou « Where Is The Love ? » des Black Eyed Peas. Il y avait vraiment de tout, y compris pas mal de trucs moisis. Mais les morceaux que j’aimais bien, je les écoutais en boucle. Adolescente, mes potes écoutaient tous du hip-hop. Quand j’ai découvert ça vers 16 ans, j’ai cru que j’allais exploser tant je trouvais ça génial. Je me rendais compte aussi de la quantité de trucs que j’avais loupés, et je me suis mise à beaucoup en écouter, tout en gardant ces racines pop et jazz. Mais c’est sûr que ça a vraiment matché avec le hip-hop, surtout celui que mes potes écoutait, celui qui raconte des histoires, comme Mos Def, Jean Grae, Lauryn Hill et/ou les Fugees, The Underachievers, Rejjie Snow…

Du hip-hop qui raconte des histoires, en opposition aux ego-trips de pas mal de textes de rap ?

L’ego-tripping, ce genre de rap, on pouvait passer ça avant de sortir le vendredi, mais ce n’est pas du tout ce qu’on mettait pour chiller et réellement écouter de la musique. Dans mes textes, je ne suis pas trop dans ce délire-là non plus. Ca ne me dérange pas d’écouter l’ego-trip d’un rappeur, il peut lister tout ce qu’il a pour lui, mais ça m’intéresse vachement plus qu’il me raconte comment il a eu tout ça, qu’il m’explique pourquoi il est si fier de son bling ou quelle est son histoire.

Tes textes sont en effet personnels, et tu as fait apparaître ta mère et tes amis dans tes clips. Ça ne te fait pas bizarre d’aller autant dans l’intime ?

Je trouverais ça plus étrange de faire un clip autour d’un morceau qui raconte mon histoire, et d’aller caster une actrice pour jouer ma mère. Ce serait super space. En plus, je tenais vraiment à le réaliser moi-même, je trouvais ça cool de montrer ma vraie vie dans mon premier clip, montrer d’où je viens, avec ma mère, mes potes qui m’ont accueillie à BX et qui m’ont prise sous leur aile… Et puis ils sont tous tellement beaux ! (rires)

Tu as réalisé ton premier clip, mais à quel point t’es-tu impliquée dans les suivants ?

J’essaye toujours de m’impliquer d’une manière ou d’une autre dans les clips. La vidéo de « Goose » est celle sur laquelle j’ai le plus laissé faire, parce que j’avais une totale confiance en la réalisatrice. Je lui ai dit que je voulais un clip influencé par les animés, et que je voulais y apparaître dessinée, et c’est tout. C’est quelqu’un que je connais par internet depuis mes 16 ans, je savais déjà comment elle faisait ses montages, et c’était une chouette occasion de la faire venir en Belgique pour que l’on se rencontre enfin alors qu’on parlait quasiment tous les jours par Skype. Pour « Nathy » j’avais cette idée que l’on retrouve à la toute fin du clip (mais je ne vais pas spoiler!), et le réalisateur Romain Knudsen est arrivé avec cette histoire géniale de concours de danse chez les rednecks. C’était parfait et pas trop sérieux non plus. Quant à « Sade Blu », on l’a fait méga vite, car on voulait absolument avoir une petite carte de visite à présenter aux festivals. C’était vraiment freestyle, on s’est bien amusé et je l’aime beaucoup, mais plus jamais je ferai un clip freestyle comme ça, sans histoire derrière !

Tu mélanges le rap et le chant dans tes morceaux. Tu as plutôt commencé par quoi ?

J’ai toujours chanté et j’ai toujours aimé ça. Vers mes 18 ans, j’ai commencé à écrire des chansons, mais je ne le sentais pas vraiment. L’année suivante, j’ai écris mon texte de rap. J’écrivais déjà de la poésie assez rythmique avant ça, mais c’est avec ce premier texte de rap que je me suis dit « ah, c’est ça que je veux faire ». Parce que j’aime bien chanter, mais pas tout le temps. J’ai réalisé qu’il fallait que je fasse du rap, et que je mixe ça avec du chant et tous les styles qui me plaisent.

Aujourd’hui, il n’y a de toute façon plus trop de démarcation entre rap et chanson, notamment sur la scène belge…

Oui, surtout à Bruxelles. Le rap a toujours été assez lié avec la soul ou le funk, mais aujourd’hui c’est un style super populaire, et les mélanges sont encore plus flagrants notamment avec la pop et la chanson. Il y a beaucoup d’espace pour expérimenter. Et puis tu n’as plus nécessairement besoin d’être from the hood. Il y a même des gens qui font du comedy rapping comme Lil Dicky : c’est juste humoristique mais ça reste du rap ! Ça pouvait exister avant, mais il fallait tout de même avoir une certaine street cred. Au delà de la diversité des styles, c’est peut-être ça qui a le plus changé à mes yeux : plus besoin de venir d’une cité pour faire du rap.

Qu’est-ce qui se passe à Bruxelles pour que cette scène rap explose comme ça depuis quelques années ?

Je pense que Stromae a réveillé pas mal de gens. Voir ce mec être connu aux Etats-Unis, ça nous a montré que c’était possible. Et puis il y a eu Roméo Elvis, qui est devenu très connu très vite en Belgique puis en France. Tout le monde s’est rendu compte que la scène belge commençait à attirer l’attention. C’était le bon moment pour sortir de la musique ! Il y avait plein de gens avec du potentiel qui se sont mis à bosser, comme le 77. Il y a eu comme un appel d’air qui nous a tous permis de commencer à exister. Pourquoi j’irai à Londres ou je ne sais où, à devoir travailler à côté pour gagner des sous, alors que j’ai vu que c’était possible de faire tout ça d’ici ?

Tu as sorti un premier EP, Moka, sur lequel tu t’es entourée de différents producteurs. Comment travailles-tu avec eux ?

Parfois j’écris un texte à l’avance, parce que j’avais vraiment quelque chose à raconter à l’instant T. Ou alors j’arrive en studio, j’écoute les productions, je choisis celle qui correspond le plus à mon humeur du moment, et là j’écris. Si je me sens comme une merde ce jour-là je ne vais évidemment pas choisir un morceau trap super énergique… En tout cas, sur mon prochain projet, je vais essayer de plus m’impliquer dans la production. Et quand viendra le temps de faire un album, je veux tout produire. Pas jouer des instruments, mais être à côté du guitariste pour lui faire tester des trucs et finir par dire « c’est ça que je veux ». C’est l’objectif en tout cas !

Blu Samu sera en concert le 14 février au Confort Moderne à Poitiers, le 1er mars à l’Altercafé de Nantes, le 13 mars au Point Ephémère à Paris, le 6 avril à l’Aéronef à Lille puis dans divers festivals comme Nouvelle(s) Scène(s) à Niort. 

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