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Crédit : Kelsey Bennet
4 septembre 2019

« Wallop » de !!! (Chk Chk Chk) : quand l’Amérique de Trump se prend une claque dancepunk

par Clémence Meunier

Wallop. Une claque. Une beigne que l’on prend, à coups de rythmes électroniques, de paroles hallucinées et de lives surexcités mêlant la joie de la dance et l’énergie du punk. Et une tarte que l’on donne aussi, à une Amérique dans laquelle Chk Chk Chk ne se reconnait plus vraiment, en tout cas politiquement. En vingt ans de carrière, le groupe new-yorkais emmené par le chanteur-en-caleçon Nic Offer en a pourtant vu passer, des affaires politiques : dès 2013, il faisait référence à l’ancien maire républicain de la grosse pomme dans « Me And Giuliani Down By The School Yard (A True Story) ». Mais Trump, ils ne l’avaient pas vu venir. Et comme beaucoup d’artistes ricains, les sept membres de Chk Chk Chk (autrement écrit « !!! », au grand désespoir des moteurs de recherche) n’ont pas pu s’empêcher d’en parler dans leur nouveau disque sorti le vendredi 30 août sur Warp, leur maison depuis quinze ans. Mais attention, c’est subtile : les paroles de Nic Offer ne seront jamais premier degré, toujours un poil personnelles, ici très sombres (il est parfois question de rupture) mais calquées sur des productions qui font danser, inspirées des grandes heures électroniques des nineties. « Let It Change U » et « Off The Grid » sont de petits tubes en puissance, tandis que « Ur Paranoid » se parait début juin d’un clip en forme de film d’horreur house. Bref, une belle réussite, dont nous avons discuté au petit dej’ avec Nic Offer, le chanteur et performeur propriétaire des plus belles gambettes du game, qui portait ce matin-là, évidemment, un mini-short.

Si vous êtes plutôt Spotify : 

Ce nouvel album s’appelle Wallop. Un drôle de mot ! Pourquoi ce titre ?

Nic Offer : « Wallop », c’est une « tarte », qui t’étourdit et te surprend. On a tous ressenti un choc il y a trois ans par rapport à la situation politique américaine. C’était une grosse claque dans la figure. Tout le monde était assommé. Et on a eu l’impression que cet album était fort, et que même s’il est abstrait et étrange, il résonne comme une claque, un coup que l’on rend, raide et concis. Par ailleurs, j’ai toujours aimé les titres d’albums en un mot, comme Low, Heroes… Même si bon aujourd’hui c’est vachement à la mode, à Brooklyn tous les restaurants s’appellent « Bean » ou « Rice » (rires). Je ne voulais pas qu’on sonne comme un resto à la mode, mais « Wallop » sonne bien comme un album, et personne n’avait jamais utilisé ce mot-là pour baptiser son disque.

Vous avez commencé à l’écrire juste après l’élection de Trump ?

Pas immédiatement non. Nous étions en concert à jouer les nouveaux morceaux de Shake The Shudder, notre précédent album, le soir où il a été élu. C’était le tout début des lives pour ces titres. Tout le monde nous demandait s’il s’agissait d’un album politique, or nous les avions composées bien avant et on ne pouvait évidemment pas prévoir ce qui allait arriver ! Shake The Shudder a été écrit dans l’ignorance de tout ça. A vrai dire, je me souviens de la première fois où un ami étranger m’a parlé de Trump, c’était à Paris, et j’ai vite répondu que ce mec n’était qu’une blague… Je crois que j’ai même était un peu impoli, en mode « tu ne connais vraiment rien à l’Amérique ». J’ai dû retrouver cet ami ensuite pour m’excuser : il avait raison, j’avais tort !

Mais on ne peut pas complètement définir Wallop comme un album politique, les textes restent tout de même assez personnels…

Le fait que les gens semblaient vouloir voir en Shake The Shudder un album politique nous a finalement donné envie d’essayer avec le suivant, voire on ressentait ça comme un devoir. Sauf que ça n’a pas vraiment marché… Les morceaux n’étaient pas terribles. Et vu que tout le monde parlait constamment de Trump pendant les mois qui ont suivi les élections, c’était difficile d’apporter quelque chose d’unique au sujet. Au final, cet album se pose plus comme un reflet d’une période politique et sociale.

Le résultat joue beaucoup sur les contrastes : des paroles très sombres accolées à des productions électroniques ultra-festives et positives. Vous recherchiez cette ambivalence ?

Ce n’était pas un but en soi. On ne fait jamais de plans, on essaye juste de faire des expériences. Mais quand tu expérimentes pendant une période assez sombre de l’histoire de ta société, forcément les résultats sont sombres également. Le seul objectif que l’on avait était de nous laisser nous perdre – et en faisant cela, c’est ce contraste que l’on a trouvé. On a toujours été optimistes, et on trouve que la dance music a cette couleur également. Mais ce qui se passe actuellement est une attaque à notre optimisme. C’est la première fois de ma vie où je me suis vraiment demandé ce qui se passait, où est-ce qu’on allait, est-ce qu’on va bien s’en sortir… Et on espère vraiment être dans ce genre de situation où il faut être dans l’obscurité avant de revoir la lumière et l’aube. Un moment pour nous secouer, nous faire nous rendre compte que l’on n’a pas fait assez attention à la façon dont nous voyions la politique et le monde en général… Avant d’arriver à quelque chose de meilleur ! Bon, c’est assez difficile d’y croire complètement, à chaque fois que j’ouvre un journal c’est de pire en pire. Mais j’essaye d’y croire encore, je n’ai pas envie d’être paralysé par la peur. Parce qu’au final, les gens qui m’effraient, ceux qui haïssent, sont eux-mêmes paralysés par la peur – la peur du changement, la peur des autres.

Depuis trois ans, plusieurs albums s’inspirant de l’élection de Trump sont sortis aux Etats-Unis, comme American Dream de LCD Soundsystem. Est-ce que vous les avez écoutés ? Est-ce que ça a influencé la manière dont vous vouliez parler (ou ne pas parler) de politique avec Wallop ?

En termes de paroles, je pense que le Father Of The Bride de Vampire Weekend se classe parmi les meilleurs. Et l’album de LCD également. Mais d’une certaine manière, on ne peut pas vraiment écouter LCD, on nous compare tellement à eux qu’on a toujours un peu peur de s’en inspirer malencontreusement. En tout cas, tout le monde a eu l’air d’avoir un peu de mal à trouver une réponse artistique adéquate à cette situation, et certains albums étaient un peu trop premier degré dans leur manière d’aborder le sujet. La « protest song » a eu son heure de gloire dans les années 60, ça a l’air si vieux maintenant ! On dit toujours que les mauvaises situations politiques entraînent de bonnes initiatives artistiques… Mais tout le monde se demande est où cet art ? Quand est-ce que ça va arriver ? En 2019, il semblerait que la protestation trouve son écrin ailleurs, par des memes, les réseaux sociaux… J’ai l’impression que la musique aujourd’hui doit être un échappatoire vis-à-vis de nos téléphones et de nos réseaux. Écrire une chanson qui dit « hey devine quoi, Donald Trump est un crétin » n’aurait pas beaucoup d’intérêt.

Musicalement, cet album semble s’inspirer de la scène Madchester, type Primal Scream. Tu as expliqué que ce n’est pas forcément quelque chose que tu écoutais – ou même que les autres membres du groupe écoutaient – dans les années 90. Comment es-tu retombé sur ces morceaux ?

J’ai l’impression que la musique marche pas mal par cycles de vingt ans. S’intéresser à la musique qui est faite aujourd’hui aide à s’intéresser à celle des années 90. A cette époque-là, on était plutôt punk et on se penchait plutôt sur la soul des années 70 – encore cet écart de vingt ans ! On ne faisait peut-être pas très attention à ce qui se passait du côté des musiques électroniques, on écoutait plutôt Missy Elliott ou Timbaland – qui inspirent la musique américaine actuelle d’ailleurs. Mais les styles plus anglais, comme le garage ou la jungle, on n’aimait pas tant que ça, enfin surtout on connaissait mal. Daft Punk par contre a été une révélation : tout d’un coup, on s’est rendu compte que la house pouvait être cool ! C’est à partir de là qu’on s’est mis à fond dans la musique électronique – et ça s’est ressenti dès notre premier album en 2001. Mais ces styles anglais de dance, toute cette scène Madchester, faisait déjà partie du passé pour nous, et ce n’est que récemment que j’ai redécouvert tout ça. Et même Massive Attack ! Je n’ai jamais été particulièrement fan. Sauf que j’étais en Angleterre il y a quelques temps, et je voulais entendre quelque chose d’anglais que je n’avais pas déjà écouté des milliers de fois – Massive Attack donc. S’il y a toujours beaucoup d’éléments que je n’aime pas dans leurs morceaux, j’y ai quand même trouvé des choses intéressantes. Et un titre comme « Slow Motion » sur Wallop serait un peu notre tentative de créer une chanson à la Massive Attack – même si je trouve que la première partie du morceau sonnerait plutôt comme du Blur, avec un petit côté britpop.

Tout ça est très anglais… Tu as l’impression de t’éloigner de la musique américaine d’aujourd’hui ?

Disons qu’aujourd’hui, aux Etats-Unis, c’est le rap qui domine. Et tout le monde dit que le rock est mort. Mais ce n’est pas forcément vrai quand on voit des supers groupes comme Parquet Courts, Oh Sees ou Perfume Genius. Mais aujourd’hui, je ne me sens pas proche d’un style en particulier. On aime bien avec Chk Chk Chk piocher dans plusieurs genres différents, et avoir une alimentation variée et équilibrée pour nos oreilles !

Tu cherches à ce que les gens dansent à vos concerts. Est-ce que la culture club et la musique qui va avec sont des choses qui vous touchent encore personnellement ?

Oui bien sûr. La club music, c’est comme Paris pour les Parisiens : tout le monde s’en plaint, mais dans le fond, tout le monde adore. Alors bien sûr, quand ça fait 20 ans que tu sors en club, c’est plus difficile de retrouver les sensations du début. Mais j’y vais toujours, j’aime toujours écouter de la musique forte, sentir la communion des gens… Et les clubs restent le meilleur endroit pour vivre cette expérience. Sauf que la culture à New York change : la dernière fois que je suis sorti là-bas, les DJs étaient géniaux, mais c’était 50 dollars pour entrer. J’étais sur la guestlist, donc ça allait pour moi, mais je me demandais qui étaient donc ces gens qui payaient autant rien que pour passer la porte !

Vous n’allez pas tarder à commencer une énorme tournée, avec beaucoup de dates très proches les unes des autres, et ça fait presque 20 ans que vous faites cela avec Chk Chk Chk. Comment tenez-vous le coup ?

Hmmm… Je ne sais pas (rires). Mais bon, quand tu réussis à dépasser les premiers décalages horaires, c’est assez excitant de ne pas s’arrêter. Chaque soir tu deviens de plus en plus fort. Et c’est fun ! Je ne pense pas qu’on atteindra un jour ces conditions de tournée des grandes rockstars, qui peuvent se permettre d’avoir un jour off après toutes leurs dates pour traîner à la plage. Beaucoup de groupes finissent par abandonner ou du moins ralentir. Peut-être que ça nous arrivera un jour. Mais pour nos premières tournées, je me souviens qu’on arrivait à Paris, on faisait la fête toute la nuit et on enchaînait sur notre concert sans que ça nous pose de problème. Aujourd’hui, on fait plus attention – ou au moins on ne fait plus trop la fête quand on a une date le lendemain ! (rires)

Surtout que tu te donnes beaucoup quand tu es sur scène, tu danses énormément, tu sautes partout, harangues le public…

Je pense que c’est un point commun à de nombreux performeurs : putain, on veut être les meilleurs ! C’est pour ça que malgré son âge Mick Jagger est toujours bon – c’est une bitch, il veut être tout en haut du podium. Un petit conseil : si tu veux voir un vieux groupe en concert, il faut aller voir une diva. Comme Grace Jones, car elle connaît la différence entre des applaudissements polis et une ovation : à moins qu’elle soit de mauvaise humeur, elle cherchera toujours l’ovation. Si j’ai mal aux jambes ou que je suis épuisé avant de monter sur scène, je m’en fous : je veux toujours des applaudissements qui disent « fuck yes ! ».

!!! (Chk Chk Chk) sera en concert à la Maroquinerie à Paris le 3 décembre.

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