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© Louise Hucheloup
27 février 2019

Woman’s Speech : la nouvelle plate-forme féminine et queer des musiques électroniques

par Clémence Meunier

Female:pressure, shesaid.so et autres pages comme Paye Ta Note, qui sert à dénoncer les comportements sexistes dans le milieu de la musique : depuis quelques années, face à un milieu ultra-compétitif, trop souvent misogyne et non-inclusif, les femmes musiciennes, DJs, ingénieures, bookeuses ou programmatrices s’organisent et s’entraident via les réseaux sociaux. Nouvelle venue sur le créneau : Woman’s Speech, un groupe Facebook fermé pour les femmes et queers (seuls les hommes cis genre ne sont pas acceptés) cherchant à mettre en relation artistes et autres professionnelles. On a posé quelques questions à sa co-fondatrice, Mathilda Von Der Meersch.

Comment t’es venu cette envie de créer Woman’s Speech, une communauté en ligne autour des femmes et queers de la musique électronique ?

Mathilda Von Der Meersch : Cela fait un petit moment que j’y pense. Ça fait 7 ans que je travaille dans la nuit, en commençant dans le journalisme musical, où il y a peu de femmes et où se posent parfois des problèmes de sexisme. J’ai ensuite bossé en agence de promo, pour des clubs… Et s’il y avait souvent beaucoup de femmes dans les équipes, les programmations qu’on faisait, que ce soit chez Possession, Jeudi Techno ou Flash Cocotte, ne mettaient pas assez les femmes et les queers en avant à mon goût. On diggait pourtant, mais on ne trouvait pas de femmes qui nous chamboulaient, en tout cas pas facilement. Donc j’ai commencé à digger de plus en plus, et à me faire des fichiers de femmes DJ ou productrices qui perçaient un peu partout dans le monde. Je me suis mise à suivre des plate-formes comme Discwoman ou female:pressure. Je ne loupais pas une seule Boiler Room pour découvrir des mixes de femmes, même dans des styles que je n’apprécie pas vraiment personnellement, comme la bass music. Je me suis ainsi créé une base de données d’environ 150 femmes, productrices ou DJs, pour pourquoi pas les booker un jour mais surtout pour avoir quelque chose à répondre aux mecs qui prétendent qu’il n’y a pas de femmes dans cette industrie. Au bout de deux ans, je me suis dit qu’il faudrait quand même que j’en fasse quelque chose.

Et donc ce groupe Facebook…

J’ai d’abord voulu faire un festival, en inversant la tendance : avoir peut-être 80% d’artistes femmes, pour 20% d’hommes, en bookant des mecs respectueux de leurs consœurs, comme Shlømo, Hector Oaks… Je bosse souvent avec eux, et ces sujets les intéressent, ils sont sensibilisés, et il y en a plein heureusement – il y a d’ailleurs de plus en plus de DJs hétéro résidents en soirée queer. Mais je n’ai pas vraiment eu le temps de m’en occuper. Il existera sûrement un jour ce festival, mais c’était un peu gros pour démarrer. J’ai donc commencé par ce groupe Facebook. Je me suis fixé l’objectif un peu fou d’atteindre les 20 000 membres en un an. Parallèlement à ça je monte une chaîne de podcasts, à raison d’un mix d’une heure par mois, tous styles de musiques électroniques confondus – les DJs présentes sur le groupe peuvent tout à fait m’envoyer leurs mixes d’ailleurs. Et surtout, on a monté avec mon associée Elsa un fichier où toutes les DJs peuvent renseigner leurs coordonnées, afin que les programmatrices puissent les booker directement. Ce n’est pas très différent de female:pressure, mais côté français. On en est à un peu plus de 50 là. Et ça marche : Eklpx s’est faite booker à une soirée Jaded des Corsica Studios à Londres grâce à un podcast publié sur Woman’s Speech.

Pourquoi selon toi si peu de femmes sont bookées en festivals ou en soirées, même si l’on sent un mieux ces derniers temps ?

Parce que les programmateurs ne font pas correctement leur travail ! Ils se doivent de digger à balle. Et quand tu digges, tu en trouves des meufs. Elles existent. L’éternel « les femmes osent moins se lancer dans la musique, ce n’est pas notre faute si on en trouve pas », c’est une fausse excuse. Mais il y a en effet du mieux : le Weather par exemple cette année a une programmation paritaire, c’est la première fois pour eux. Ils ont un statut assez gros pour pouvoir prendre des risques, faire des paris, et mettre en avant des artistes qui n’ont pas forcément leur voix au chapitre ailleurs. Alors oui, il faut faire un effort. Ne pas se contenter de ce que les boîtes de promo envoient, mais aller fouiller des heures et des heures sur SoundCloud ou Discover. C’est ma passion, donc je le fais avec plaisir, mais il faudrait que ce soit un réflexe général. Aujourd’hui, il y a des femmes et/ou des queers dans les programmations de Primavera (énormément cette année!) ou de We Love Green. Mais c’est de la pop. En musiques électroniques, on est super en retard. Si tu n’aimes pas Amelie Lens ou Charlotte de Witte, t’as vite fait le tour.

Tu as des noms à conseiller ?

Ciel, Volvox, ShyBoy, Noncompliant, Softcoresoft, SPFDJ, VTSS, ou plus connues Ellen Allien ou Paula Temple, que j’adore et à qui j’aimerais demander d’être marraine du festival… Il y en a des tonnes. Mais il faut que ce soit naturel ! On ne va pas mettre une meuf au line-up juste parce que c’est une meuf, il s’agit uniquement de personnes dont j’aime sincèrement la musique. J’avais envie de me prouver et de prouver aux gens que c’est possible d’avoir de beaux line-ups qui s’avèrent être composés de femmes et de queers.

Pour l’instant, Woman’s Speech est réservé aux personnes travaillant dans le milieu uniquement ?

Dans un premier temps, oui, c’est un réseau professionnel composé de femmes et de queers travaillant dans l’industrie de la musique. Mais à terme, pourquoi pas ouvrir ça à des filles qui sortent, et qui cherchent tout simplement à découvrir de nouvelles artistes ou à savoir où sortir tout en se sentant safe. Je voudrais créer une communauté, une sororité, de femmes et/ou de queer, un lieu où l’on aurait confiance les unes en les autres, et qui peut potentiellement servir de soutien si quelqu’un subit des abus, dans la vie, au taff… etc.

Tu y acceptes uniquement les femmes et/ou les queers. Pourquoi ?

Parce que les hommes cis ont suffisamment d’espaces pour eux, et que je voulais créer un espace vraiment axé sur la sororité. Mais si ce festival finit par se monter, il y aura une page dédiée, sur laquelle évidemment tout le monde pourra aller – comme au festival d’ailleurs.

Tu as lancé ce groupe le jour même où l’affaire de La Ligue du LOL est sortie dans les médias, c’était une réaction ?

Pas du tout, je n’ai pas fait exprès, je ne pouvais pas vraiment prévoir ça ! Et j’ai été assez étonnée, sachant que je connais un des journalistes incriminés, je suis allée plusieurs fois au Berghain avec lui, et ça m’a choquée – est-ce que si j’ai traîné avec ce type, même si j’étais au courant de rien, ça fait de moi une complice de tout ça ? En tout cas, on est plein à penser qu’il y a eu le cinéma avec #metoo, les médias avec La Ligue du LOL… Et que la prochaine étape sera la musique.

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