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13 août 2018

20 ans cette année : « Aquemini », quand OutKast transperce les frontières du hip-hop

par Corentin Fraisse

« Ready for action« ? A l’automne 1998, OutKast débarque avec Aquemini, son troisième album qui va prouver que le rap US 90’s ne se limite plus au sempiternel match entre L.A. et N.Y.C. Qu’on peut aller chercher des prods originales ailleurs, à l’intérieur même des terres américaines, en trouvant ses inspirations dans le trip hop, le rock, la soul ou le funk… Loin des clashs ou autres egotrips remâchés et produits à la chaîne. En marge de la bataille caricaturale entre côtes Est et Ouest, les rappeurs d’Atlanta et fils prodigues de la Dunjeon Family (qui enfantera plus tard Cee-Lo Green, Janelle Monáe et Future) livrent un album qui s’imposera rapidement comme un pilier rap de cette fin de siècle… Quand le hip-hop alternatif se veut musique d’expérimentations et d’émotions, pour aligner les classiques avec une précision d’orfèvre.

Quand sort Aquemini, cela fait déjà six ans et deux albums savoureux qu’on connaît OutKast, jeune tandem rap aussi givré qu’instable : d’un côté par Andre 3000 au charisme virevoltant, maniaque du verbe au flow étincelant ; de l’autre B.Boi, sa nemesis solide et réaliste biberonnée au rap old-school, sorte de mastodonte au flow chirurgical. L’équilibre parfait entre les deux personnalités diamétralement opposées des Georgiens atteint son climax sur ce troisième opus. « You are now about entering the fifth Dimension, our only Intention is to take you high » : ces mots qui pèsent sur le dernier titre « Chonkyfire » auraient pu faire office d’introduction. L’album s’ouvre pourtant sur « Hold On, Be Strong », guitares en arpèges et voix enivrantes par Four Phonics, comme une douce libation avant de plonger vers le royaume de Psychedelia. Premières secousses avec « Return of the G » (comprenez « le retour du Gangsta ») qui sample le thème de Midnight Express pour y rajouter une harpe, quelques touches soulful, des paroles déjà incisives et un refrain immensément mélancolique.

Vient alors un titre taillé pour les radios, le single « Rosa Parks » qui vaudra au duo des déconvenues judiciaires, puisque son label LaFace sera poursuivi en justice par l’avocat de Ms. Parks. Pourtant, le nom de ce symbole féminin de la lutte contre les ségrégations raciales n’est pas cité sur le titre d’OutKast, le groupe n’y faisant allusion qu’à une seule reprise dans le refrain. OutKast voulait utiliser ce nom comme une référence symbolique, pour suggérer qu’ils amenaient un nouveau son original qui allait mettre fin à la suprématie des côtes Est et Ouest. Au final, aucune sentence pour les rappeurs. Il vaudra mieux retenir cette chanson accrocheuse au hook dansant, grâce à sa rythmique enregistrée à Flushing Meadow, puissante comme un ace de Roddick à 250 km/h. Même chose pour « Skew It On The Bar-B » -repris 13 ans plus tard par The Type et Prodigy– : trois minutes de hip-hop rond et sucré sur lesquelles s’invite Raekwon du Wu-Tang (quelle époque!). Suit le titre qui donne son nom à l’album, symbole de l’alchimie entre B.Boi et Dre : « Aquemini » est la fusion entre leurs signes astrologiques, Aquarius + Gemini (chez nous ça donnerait « Vermeaux » ou « Gerseau », beaucoup moins classe). Leurs talents semblent se décupler lors de ce genre de collaboration, comme une doublette Lennon-McCartney des temps modernes. On retrouve des touches de P-Funk sur « Synthesizer » avec la légende George Clinton, dont la voix fait étrangement penser au « Look Around » de Stevie Wonder : une complainte spatiale sur le thème du progrès à tout prix. Suivent deux tracks très old-school, « Slump » et « West Savannah », évidemment emmenées par Big Boi… Puis deux facettes du titre « Da Art of Storytellin » : la première entraînante et son refrain aux choeurs soul parfaits pour en faire un single, la seconde portée par une mélodie au piano épurée pour permettre à Andre 3000 et B.Boi de poser un flow toujours ciselé.

Les cinq dernières chansons s’allongent et s’étalent, pour toujours plus de plaisir… Notamment sur les titres « Mamacita » et son snare entêtant ou « SpottieOttieDopaliscious » avec ses rythmes chaloupés et ses cuivres charnels, entrecoupés par une interlude où, à l’autre bout du combiné, « Nathaniel » attend impatiemment sa sortie de prison. OutKast rebascule directement vers la boucherie textuelle « Y’All Scared », un voyage urbain glaçant qui ferait frémir tous les Charles Manson et Anders Breivik du monde, puis invite Erykah Badu et Cee-Lo Green sur « Liberation » pour une réunion ultra-soul des grands espoirs d’Atlanta. Dernière claque avec « Chonkyfire », ses violons, son piano doux et ses guitares bourrées de fuzz et de pédales wah-wah. Comme une nouvelle preuve que les frontières du hip-hop exploré par OutKast ne cessent d’être repoussées. Le duo d’Atlanta a livré avec Aquemini un incroyable sans-faute,puisque qu’il va piocher le meilleur des styles qui l’ont influencé pour composer cet album. Ce succès s’est notamment écrit grâce à Organized Noize et à leurs prods dessinées au pinceau, alliages parfaits de synthétique et d’organique pour un résultat sonore à étiqueter selon votre convenance : neo-soul, crunk façon Three-6 Mafia, space-funk ou dirty south. Peu importe l’appellation, Aquemini est un grand cru d’OutKast plein de sagesse, d’humour, de technique et de sens, symbole de leur perpétuelle remise en questions.

Si vous êtes plutôt Spotify :

Lire aussi les autres épisodes de notre série “20 ans cette année” : Moon Safari de Air, Mezzanine de Massive Attack, Is This Desire? de PJ Harvey et Moon Pix de Cat Power.

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