🤝 Modeselektor : « C’est le disque le plus important que nous avons fait depuis notre premier »

par | 22 04 2021 | magazine

2021 signe le grand retour du duo allemand Modeselektor avec l’époustouflante mixtape Extended de 27 titres inédits et plusieurs maxis à venir. Via Zoom, on a fait le point avec Gernot et Sebastian sur cette dernière année bien particulière, option vitriol. Attention, ça pique.

Gernot Bronsert et Sebastian Szary ont vécu en 2020 une des années les plus productives de leur carrière. Confiné dans son studio de Mitte, le duo berlinois est parti fouiller ses archives pour remodeler des idées laissées de côté dans une sorte d’upcycling musical parfaitement dans le Zeitgeist. Au bout du compte, une époustouflante mixtape façon “origin story”, avec 27 titres entre dancehall, techno, dubstep, boucles hypnotiques et basses qui fracassent, dont certains feront l’objet de maxis à venir au cours de l’année (le premier, Mean Friends, sort le 23 avril). Via Zoom, Gernot et Sebastian nous racontent cette année sans gigs à Berlin et la confection de ce qu’ils considèrent comme leur album le plus important depuis Hello Mom, leur premier long format en 2005.

« L’ambiance d’aujourd’hui nous ramène un peu à l’époque de la RDA. »

Comment ça se passe à Berlin ? Vous êtes au bord de nouvelles restrictions aux dernières nouvelles.

Sebastian : Oui, les restos, les bars et les clubs sont fermés, les écoles à moitié ouvertes… On a un couvre-feu et surtout, les regroupements sont interdits. Tu sais, on a tous les deux grandi dans l’ex-RDA. J’avais 14 ans quand le mur est tombé, Gernot en avait 11. Dans les années 80 en Allemagne de l’Est, c’était un peu la même chose. Il était interdit de se rassembler, les seules manifestations autorisées étaient celles en faveur du régime. Bien sûr, ce n’est pas comparable parce que personne ne vient contrôler tes papiers mais l’ambiance d’aujourd’hui nous ramène un peu à cette époque de la RDA.

Gernot : Avec la pandémie, on a eu le temps de réfléchir, de se demander pourquoi on faisait tout ça. Quel est l’objectif ? Quand on a commencé, on était les newcomers, puis on a tourné avec Moderat… On a lancé tellement de projets au fil des années qu’on a oublié, après le dernier album de Moderat, pourquoi on faisait ça. Pourquoi on avait commencé cette carrière ? On a découvert très vite que si on produisait des tracks, ce n’était pas pour l’industrie, pas pour la scène, mais pour nous, parce qu’on aime profondément la musique électronique. Nous sommes les enfants de la réunification. A la fin des 80’s/début 90’s, la scène techno n’était pas encore connectée à une industrie, c’était un truc de punk antisystème. Ce côté nous manque aujourd’hui dans la scène berlinoise. Le 1er mai, il ne se passe plus rien. J’ai grandi en voyant des black blocs se battre chaque 1er mai contre la police. Aujourd’hui, cette génération a tout, ils vont au Berghain deux fois et pensent savoir ce qu’est l’esprit de la techno. Mais ce n’est pas un concept musical, c’est un mode de vie.

©Birgit Kaulfuss

Vous avez eu des occasions de jouer devant du public en 2020 ?

Sebastian : Non, on n’a joué aucun show en 2020, à part deux livestreams. On connaît des artistes qui sont partis incognito pour des gigs en Afrique du Nord, en Géorgie ou au Mexique. Mais on a des familles, une entreprise, des employés, et le risque était trop grand.

Gernot : En ce moment, sur Instagram, tu peux voir toutes les “plague raves” de Tullum… Quand je vois qu’ils appellent ça des fêtes techno, ça m’énerve tellement… Ça n’a rien à voir avec la techno. On a reçu des tas d’offres pour aller jouer dans des raves au Mexique ou à Zanzibar. On a tout refusé : non merci, allez vous faire foutre. Parce que ces fêtes vont détruire notre écosystème. Il y a vraiment des gens qui meurent, ce n’est pas une blague.

C’est difficile de refuser l’argent en ce moment ? 

Gernot : Franchement, cet argent sale, on n’en veut pas… Avec la pandémie, on perd beaucoup d’argent tous les mois, mais c’est honnêtement la meilleure chose qui soit arrivée à Modeselektor : on en revient aux bases. Ça fait du bien de sortir un album comme celui-ci. Même si on ne gagne rien, c’est un statement à nous-mêmes et aux gens qui nous suivent. Il y a des choses plus importantes que l’argent en ce moment. On a donné des jobs à certains membres de notre équipe qui étaient free-lance depuis toujours, comme notre ingénieur du son de tournée, qui travaille en studio avec nous. Les DJ sets me manquent, bien sûr, mais nous ne sommes pas égoïstes. Je pense que tous les DJ’s qui partent mixer dans des pays exotiques en ce moment, sous prétexte de faire vivre la club culture, sont des idiots.

« Aujourd’hui, cette génération a tout, ils vont au Berghain deux fois et pensent savoir ce qu’est l’esprit de la techno. »

Du coup, vous avez passé toute l’année confinés en studio.

Sebastian : Pour la première fois depuis longtemps, nous nous sommes concentrés à 100% sur la musique. La dernière fois que c’est arrivé, c’est quand on a démarré Modeselektor, en 2002. On n’avait rien à faire : tu te lèves à midi, tu prends un kebab, tu vas au studio bosser. On n’avait pas de famille, pas d’enfants, on bossait jusqu’à 4h du matin, et le lendemain, pareil, au point de perdre la notion du temps. On a retrouvé un peu cette sensation l’année passée.

Et vous avez pu prendre le temps pour ce projet de mixtape qui vous trottait dans la tête depuis quelques années.

Sebastian : L’idée est venue il y a trois ans, après avoir écouté le mix qu’avait fait Ricardo Villalobos pour Fabric en 2007 (Fabric 36), sur lequel il n’avait placé que ses propres titres. Gernot m’a dit : “Tu sais ce qui serait cool ? De faire une mixtape avec seulement des titres de Modeselektor !” À ce moment, on a sorti notre album Who Else, suivi de la tournée en 2019, et enfin, on a commencé à y réfléchir. C’était à mon tour de jouer, en plongeant dans les archives, c’est-à-dire une boîte remplie d’une vingtaine de disques durs. Certains avec des stickers, certains qui étaient des copies de copies, d’autres qu’on a dû rebooter… J’ai commencé à remplir des dossiers, à faire des listes sur papier, à constituer un index de toutes ces pistes. Puis je les ai envoyées à Gernot en lui disant qu’on avait un paquet de trucs cool.

“Les DJ’s qui partent mixer dans des pays exotiques sont des idiots.”

Vous aviez une intention créative bien définie avant de démarrer la production ? 

Sebastian : Cette mixtape contient tout notre ADN. Comme les scientifiques, on peut en prélever un bout et créer quelque chose de plus grand. On a récupéré ces pistes et, pendant quatre mois, on ajoutait des éléments, des textures, des drums, en les combinant avec de nouvelles idées. Ensuite, on a choisi les 27 pour la mixtape. C’était vraiment comme préparer un DJ set, sauf qu’on fouillait dans notre propre magasin de disques.

Gernot : Tous les titres sont basés sur des anciennes idées qui ont été augmentées. On a créé pas mal de choses durant le mix, je dirais au moins la moitié des 27 titres d’Extended. C’est important de mentionner que ce n’est pas un album de chutes de studio de pandémie. Je pense sincèrement que c’est le disque le plus important que nous avons fait depuis Hello Mom. Ce disque ramène l’esprit du Modeselektor des premières années.

©Birgit Kaulfuss

Réécouter des titres d’il y a dix ou quinze ans a dû faire remonter des souvenirs ?

Sebastian : Oui, beaucoup d’émotions sont remontées au cours de ce travail, c’était parfois euphorique, souvent sentimental, toujours intense. Par exemple, le titre “Hood” avec Jackson And His Computer Band a été fait à l’époque où Gernot et moi sommes devenus pères. “Party Bus” est lié à un souvenir d’Afrique du Sud. On avait mixé dans un minibus Toyota, équipé de LED et d’un sound-system massif, qui circulait dans la ville du Cap. “Sekt um 12” parle d’une cuite au champagne à midi…

Vous allez sortir certains des titres de la mixtape en version longue sur des maxis. Combien de sorties sont prévues ?

Gernot : Pour l’instant, on a trois EP prévus avant l’été. Le premier, Mean Friends, sort le 23 avril, avec des remixes de Telefon Tel Aviv, DJ Stingray et Giant Swan. Ce sont des longs maxis, le premier aura huit titres, et c’est presque pareil pour les deux autres. On a vraiment pris notre temps pour trouver les meilleurs remixes et nous appliquer sur nos versions alternatives. Après l’été, je pense qu’on va sortir des versions spéciales, peut-être un autre album, qui sait ? On a tellement de matériel. Avoir du temps, c’est incroyable. On est parti bosser, bosser, bosser tous les jours en studio, un vrai cliché allemand !

« Pour nous, il n’y aura pas de saison des festivals cette année. Mais ça va revenir. La patience est le nouveau truc à la mode. »

Un mot sur la performance exceptionnelle de Corey Scott dans Work, le film qui accompagne la mixtape ?

Gernot : Corey Scott a une façon de contrôler son corps qui est unique. On l’avait vu danser dans un festival il y a quelques années et il est ensuite venu avec tous ses danseurs à la soirée où l’on jouait et on est devenus amis. On voulait collaborer avec lui depuis longtemps mais il était toujours super busy. Avec le Covid, il avait enfin du temps pour ce projet, et on était évidemment ravis.

Vous espérez jouer un peu cet été ?

Gernot : Non, je pense que l’automne est plus réaliste. Les grands festivals qui ont tenté le coup pour cet été ont déjà annulé. C’est trop compliqué. Peut-être des plus petits événements à l’automne ? On discute avec des promoteurs en Angleterre, où la vaccination va plus vite, mais je pense que pour nous, il n’y aura pas de saison des festivals cette année. Mais ça va revenir. La patience est le nouveau truc à la mode.