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4 avril 2025

Claude: « L’acid est devenu partie intégrante de la pop » | INTERVIEW

par Corentin Fraisse

À force de chansons habiles et de productions électroniques accrocheuses tendant souvent vers l’acid, Claude délivre une musique qui a su charmer une bonne partie de la rédaction chez Tsugi. On a discuté avec lui dans son mini-studio chez microqlima, quelques mois après la sortie de son excellent album In Extremis, et avant qu’il reprenne les routes de la tournée et des festivals. INTERVIEW

 

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claude

© Geray Mena

L’un de mes titres préférés de ton album, c’est ‘La pression’. Tu t’étais mis la pression avant de sortir le disque ? Maintenant qu’il est sorti depuis quelques mois, es-tu en paix avec ton album ?

Bien sûr que je me suis mis la pression, c’est comme ça que je fonctionne. Je fonctionne beaucoup à l’insatisfaction. Pour l’album je remettais tout en question toutes les 30 secondes. J’ai écouté 50 fois les mixes, les masters. On faisait une semaine de mix pour un morceau… Puis deux mois plus tard je me suis dit « en fait il faut le remixer, repasser dessus. »

Avant, la pression c’est : « est-ce que l’album est au niveau de ce que j’attends ? » La pression d’après, c’est « est-il au niveau de ce que le public attend, comment il est reçu ? »

 

C’est une belle première présentation. Tu es satisfait du rendu ?

Oui, parce que certains artistes regardent leur premier album, dix ans plus tard, avec énormément de dégoût. Peut-être que ce sera aussi mon cas, mais j’avais très peur de ça.

Quand je ferai l’album 2, l’album 3… J’aimerais que ça fasse partie d’un corpus qui soit de qualité. Et c’est un gros stress : un album, ça dure. C’est ce que tu laisses et ce que tu vas aller défendre en live. Et ça j’ai hâte.

 

« Bien sûr que je me suis mis la pression, c’est comme ça que je fonctionne » Claude

 

Tu avais des certitudes sur certaines de tes chansons ? Des titres dont tu savais qu’ils allaient rencontrer leur public ?

Je suis auditeur comme tout le monde, donc je pense que j’avais plutôt bien compris ce qui allait plus ou moins plaire aux gens, ce qui pouvait les interroger ou les paumer. « Micro-ondes » bizarrement, ça parle aux gens en concert. On m’en parle beaucoup et de mon côté, c’est un deep deep track : notre kiff à nous avec Alexis, avec qui on a fait le morceau. Et en fait, ça a plus parlé aux gens que prévu.

« Addition » on l’a fait très rapidement, et une fois le morceau terminé je n’y pensais plus. Ensuite pour l’album, mon management disait « Bon bah ce sera probablement le premier track qu’on va sortir ». Honnêtement, je ne comprenais pas. « Addition, vraiment vous êtes sûrs ? »

 

Parce que le titre ne rassemblait pas tous les éléments que tu voulais présenter de toi, justement ?

En fait, le morceau qui devait sortir en premier single, je ne l’ai jamais terminé et il n’est jamais sorti. Il n’est même pas sur l’album, c’est la conversation que je n’arrive toujours pas à terminer.

Alors il a fallu trouver un autre titre pour présenter l’album. Ça me surprenait pas mal qu’on sorte « Addition » en premier single. Même si je l’adorais, et encore aujourd’hui. Vu qu’on l’a fait rapidement, je n’avais forcément pas pris le temps de m’attacher au morceau. Maintenant j’ai compris, je crois.

 

Sur le mixage comment ça s’est passé avec Alexis Lelong ? Quelle était votre direction ?

Avec Alexis, on a plutôt des références de musique électronique, de compositions mais pas du tout des références ‘chansons’. Alors dans nos mixes, mettre la voix en avant n’était pas une évidence. Il a fallu trouver un équilibre. Parce qu’on voulait que ça cogne et que tout soit intelligible. Que les points soient clairs.

 

« On voulait que ça cogne et que tout soit intelligible » Claude

 

Comme tu disais, cet album a été conçu avec d’autres personnes : notamment Tomasi, Alexis Lelong. Comment on laisse la main à d’autres pour faire avancer des chansons qui sont, pour toi, très intimes ?

En ce qui me concerne, l’intime est dans les paroles. Tomasi m’a aidé à avoir confiance en mes textes, aux phrases que je choisissais. Un échange et des tests constamment.

J’ai écrit la majorité des textes seul chez moi. J’ai laissé un peu la main sur la production, mais ça ne veut pas dire laisser quelqu’un faire le travail. Pour le coup, je ne laisse pas la main sur les toplines, les mélodies… Je reconnais simplement que j’avais des lacunes en production, en composition instrumentale. Et Alexis c’est vraiment un génie de la composition, de la production.

 

claude

© Emma Kraemer

Comment ça fonctionnait concrètement, entre vous ?

On avait une stimulation de l’un vers l’autre assez extrême : je lui balançais des paroles avec des voix, lui me balançait des accords pour répondre à ces mélodies de voix, et on se disait tout de suite si c’était super ou si c’était à modifier.

Il n’y a même pas eu de période d’ajustement. En une session on comprenait plus ou moins comment l’autre fonctionnait. Je n’ai pas la sensation d’avoir perdu la main, mais plutôt d’avoir gagné en qualité grâce à lui. C’est bien de reconnaître que tu n’es pas le meilleur dans chaque domaine de ta musique. C’est essentiel si tu veux progresser.

 

Je te pose aussi la question parce que, au début de ton projet, tu avais cette volonté d’être seul aux manettes

Je n’étais pas à l’aise, parce que je n’étais pas très bon sur Ableton. Je prépare les morceaux seul, je fais mes petites maquettes avec mes voix… Mais à un moment, il y a une limite de qualité dans ma production.

 

Tu te sentais frustré par ça ?

Je suis limité. Surtout, ça fait que je me concentre moins sur l’écriture, sur la composition, sur les de voix, etc. Avoir Alexis dans cette équipe-là, ça me permet de me concentrer sur mes textes, mes mélodies, être ultra exigeant là-dessus. Comme ça je peux me permettre de tâcher des trucs tout le temps et sur la production en fait je peux vraiment m’appuyer sur quelqu’un qui va amener ce que je fais, vraiment plus loin.

 

Quelles sont tes plus grosses influences et inspirations électroniques ?

*Il cherche dans son petit ordinateur* Andy Stott, Boards of Canada, Nicolas Jaar sont de grosses influences. En fait il y a dix mille trucs… Ah, comment il s’appelle ? Vegyn ! Binary Digits aussi, qui fait de la musique brute et minimaliste… Boundary aussi, beaucoup. J’ai eu de vraies fondations acid sur l’album. En termes de recherche d’identité, quand je me disais « OK, à quoi ressemble mon album musicalement ? », la fondation, la base c’était l’acid.

J’écoute ces artistes –et d’autres- depuis longtemps, consciemment ou non ça a trainé dans ma tête, du coup pour moi l’acid est devenu une construction ‘classique’ de la musique que j’appréciais. Je me suis retrouvé à voir des Tame Impala -grosse influence sur l’album également- qui allaient vers l’acid. C’est quoi ce morceau dans le dernier album, qui finit très ‘acid’ ?

 

« L’acid est devenu une partie intégrante de la pop, dans mon imaginaire » Claude

 

Ce ne serait pas « Posthumous Forgiveness » ? Ou la fin de « Breathe Deeper », qui était d’ailleurs plus acid dans son Tiny Desk ?

C’est ça ! En entendant ça, j’ai vu l’acid comme une partie intégrante de la pop, dans mon imaginaire. On l’a diluée un petit peu genre il est caché un peu dans des morceaux, des morceaux où il est évident, d’autres où il est presque caché.

 

(S’ensuit un bon moment où Claude me fait écouter plein de trucs, par séquences de 5 secondes)

On a vraiment des machines estampillées ‘acid’ : par exemple la Xoxbox, qui est une réplique de la TB-303. On en a glissé dans plein de morceaux. Parfois c’est juste une basse, et d’autres fois comme dans « La Pression » c’est le propos principal.

 

L’un des titres de l’album, c’est « La nausée » : est-ce une inspiration directe du livre de Sartre ? Comment ça a fonctionné pour toi, le travail d’adaptation d’un art à l’autre (ici, de la littérature à la musique) ?

C’est une référence, un hommage au livre. Avec Alexis, on se disait que ce serait bien d’avoir un morceau 100% acid dans l’album, sans compromis. Au début l’idée c’était de parler dessus, comme un interlude, plus ou moins comme dans le livre : un monologue où tu sens le stress monter, jusqu’aux hallucinations.

Dans La Nausée, le sentiment c’est une dépersonnalisation, le fait d’être complètement déphasé par rapport au monde réel. Jusqu’au point où tout lui paraît étrange, même son corps. L’idée c’était de faire un texte où tu arrives à ce constat de stress maximum : « il y a un monde dans lequel je ne suis pas réel ». J’ai écrit ce texte, en y mettant plein de raisons qui m’amènent à cet état-là.

 

En termes de composition, comment ça s’est traduit ? Pourquoi la voix a disparu ?

On est partis de l’instru. Alexis pour déconner a pris l’OP-1, synthé de fou furieux minuscule mais vraiment incroyable. Et tu peux avec l’OP-1 tu peux capter des fréquences radio, et sampler plus ou moins tout fichier audio.

On a samplé la radio, on a pris genre Fun radio, on a pitché vers le haut, accéléré et découpé… Ensuite on a trouvé le *il chante l’intro de son track ‘La Nausée’*. Ensuite drums, et puis on a cherché une boucle d’acid qui marchait avec ce sample de voix.

On a essayé d’enregistrer la voix, et en fait j’ai dit à Alexis « tout ce qui doit être dit est déjà dit dans l’instrumental », le sentiment était déjà clair dans la musique. Alors on a jeté la voix et on a gardé le morceau comme ça.

 

Dans tes compositions, on trouve des chansons tendres comme « Micro-ondes », « Changement à Mannheim »… Et tu vas jusqu’à des extrêmes comme « La nausée ». Quel est le lien entre ces titres ?

Le fil conducteur, c’est le propos. Même dans les morceaux calmes, c’est toujours en tension. « Changement à Mannheim » par exemple, le mot ‘changement’ est important. Le titre n’est pas au milieu de l’album par hasard. C’est la tension quand tu passes d’une étape à l’autre de ta vie.

« La nausée » c’est le sentiment juste avant de péter un cable. Comme « In extremis » qui parle de la colère juste avant de vriller, « addition » c’est progresser dans une relation amoureuse ; « Soustraction » c’est juste avant de se faire larguer ; « La pression » c’est celle qui monte sans savoir vers quoi ça mène… Même « Micro-ondes », c’est sur une personne de plus en plus seule…

Oui, la tension/appréhension est ce qui lie tous les tites. Et vu qu’il y’avait cette cohérence, de morceau en morceau, on a fait exactement ce qu’on voulait au niveau instrumental.

 

Maintenant cet album, tu le défends en tournée. Tu as déjà dit que tu n’es pas forcément un oiseau de nuit : alors comment est le Claude en tournée ?

J’aime bien mes temps solo. Je n’aime pas les soirées, les verres… Ce n’est pas vraiment mon truc. Mais avec mon équipe de tournée, on est de très bons amis donc on a passé l’étape de ‘l’exercice social’. La tournée c’est être avec ses amis, dans une ambiance colonie de vacances. En plus, ce sont des gens carrés et ça m’arrange bien. Par exemple Antoine, le batteur, fait une heure de sport tous les jours, qu’on soit en tournée ou pas.

En tournée, tu te couches à une heure minimum parce qu’il faut ranger, trouver l’hôtel, s’installer, t’as fait un concert donc tu t’endors tard, tu passes tes matinées dans un van à pioncer… C’est rigolo ! Je ne le ferais pas pendant 5 semaines non-stop, mais c’est une expérience de fou. L’expérience de tournée, c’est dingue de savoir que je peux vivre ça.

 

Aujourd’hui tu te sens à l’aise sur scène, ou il faut encore que tu l’apprivoises ?

Mon rapport à la scène est toujours assez étrange… Je n’aimais VRAIMENT pas ça à la base. Aujourd’hui, c’est toujours une grosse source de stress, mais j’aime beaucoup ça. Même si ça me fout en panique (rires)

((ndlr : Même s’il a dû mal à le dire, Claude fait preuve d’une aisance indéniable sur scène, peu importe qu’elle soit singée ou naturelle. On a pu le constater en long et en large pendant sa prestation au Trianon))

 

Tu arrives à profiter du moment, ou tu as l’impression de passer à travers ?

J’arrive à profiter du moment. Avant, c’est vraiment compliqué de profiter et d’être confiant. C’est juste une remise en question absolue : est-ce que je suis comme il faut sur scène ? Est-ce que c’est pertinent ? Est-ce que je propose un spectacle qui touche les gens ? Je suis vraiment en méga panique jusqu’au moment de monter sur scène.

Maintenant, j’arrive à vraiment profiter du moment sur scène ! À kiffer, à me lâcher, à avoir l’impression de défendre quelque chose de qualité. Ça doit être cool pour les gens d’être là et on s’amuse bien ensemble.

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Claude au Trianon © Emma Kraemer

 

Tu dis que tu n’écoutes pas de chanson française. -J’en écoute zéro. -Tu ne lis pas énormément non plus. D’où, du coup, te vient cette attention particulière accordée au texte ?

Je pense que c’est plus oral qu’autre chose. Effectivement, je ne suis pas un gros lecteur ; par contre, je suis un énorme fan de stand-up, par exemple. Je porte une attention particulière à la délivrance du texte, à la formulation, à comment dire les choses.

Et c’est sans doute truc de bon gros égoïste-égocentrique, mais j’ai toujours aimé parler, en fait ! J’aime bien parler, utiliser et tordre des expressions, re-questionner certains mots qu’on utilise sans y penser.

Et puis le rap en vrai, américain ou français. Je pense que ça a été mon premier rapport au texte dans la musique. Ça a dû jouer, j’imagine. J’ai beaucoup plus d’admiration pour un couplet de H Jeune crack, que pour la majorité des trucs de chanson française. Parce que je trouve que c’est brillamment écrit, intéressant, drôle, surprenant.

 

Comment écris-tu, d’ailleurs ?

Quand j’écris des textes, c’est sur mon téléphone. J’écris en automatique, tout ce qui me passe par la tête à un moment T. À la fin, ce qui va rester, ce sont les trucs que j’ai pensés comme ça, ou que j’ai dit à haute voix et qui m’ont marqué. Mais ce n’est pas un exercice de style : je n’essaie pas de faire des assonances, des allitérations, même les rimes à la rigueur…  Si je dis deux phrases l’une après l’autre et qu’elles sonnent bien l’une avec l’autre, je m’en fous que ça rime ou pas.

Hier, je suis retombé sur Wallace Clever. Sur « xénon » il disait « quand un amour part, bah ça renaît pas ». Le sens de la formule. C’est d’une connerie, cette phrase en soi, c’est un constat d’enfant. Et en même temps la phrase est magnifique. Le « bah » typiquement est trop cool.

C’est cette liberté dans l’utilisation du vocabulaire, qui m’a beaucoup nourri et appris en étant adolescent. C’est une utilisation du vocabulaire beaucoup plus intéressante. Et où il n’y a pas de limites. Tu as trouvé une manière de le dire et pas besoin d’en faire un truc extrêmement poétique.

 

Claude, ce n’est donc pas ton vrai prénom. Quand on demande la raison de ce nom de scène, tu donnes à chaque fois une réponse différente. Est-ce aujourd’hui qu’on connaîtra la vérité ?

Ce n’est pas aujourd’hui qu’on saura la vérité. Beaucoup connaissent mon vrai prénom. Des gens du public m’envoient des messages « Je crois que j’ai trouvé ton prénom ». Déjà, je ne sais pas comment ils font. Après, je suis sur les réseaux depuis quelques années… Ce n’est pas comme si c’était un secret très bien gardé.

Et même la vraie raison, je pense que l’explication du nom Claude, je la donnerai aussi. Mais pour l’instant, j’en dis suffisamment dans ma musique pour ne pas avoir à tout à tout révéler. Je sais pas pourquoi le Jay-Z s’appelle Jay-Z, tu vois.

 

Aussi sur tsugi.fr : Back to basics : le tubesque de ‘Vol. 2: Hard Knock Life’ de Jay-Z

 

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Et vous savez quoi ? Claude a désormais annoncé sa tournée des festivals. Il passera notamment par le Printemps de Bourges, à Art Rock, à We Love Green, Musilac, au Cabaret Frappé ou encore au Festival de Marne !

C’est maintenant qu’il faut le voir, n’attendons pas qu’il remplisse des Zéniths
(même si ce sera bientôt le cas)

 

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Streamez Claude, courez le voir en live, bisous

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