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Timothy_Saccenti_2019
30 août 2019

Velvet Negroni : l’enfant du R’n’B qui a grandi trop vite

par Elie Chanteclair

Ce n’est un secret pour personne : le hip-hop est devenu omniprésent, voire omnipotent dans le paysage musical mondial. Et sur de nombreux points désormais, la France n’a plus grand chose à envier aux États-Unis. Au-delà de leur place dans les charts, les rappeurs et les profils n’ont jamais été aussi diversifiés, accouchant régulièrement de très bons disques, dans la sphère underground comme mainstream. Alors, Cocorico ? Oui, mais attention tout de même. Car s’il y a bien un domaine où l’Hexagone a du retard sur l’Oncle Sam, c’est au niveau de la « scène urbaine » alternative. Le terme est certes fourre-tout, mais pour une bonne raison : ce pan de la pop music actuelle est encore mal représenté, ou du moins très peu visible chez nous. À quelques exceptions près (qui, pour la plupart, s’inspirent largement des Américains), il est difficile de trouver du R’n’B sortant un peu des sentiers battus sans explorer les abysses du Youtube francophone (et en ressortir quasi bredouille). On est donc très loin des Lizzo, ABRA, Clairo ou Lucky Daye qui peuvent se targuer – chacun à leur échelle – de jolis succès. On pourrait aisément expliquer cet écart par la différence de taille entre les deux pays. Mais il faut aussi considérer le fait que la musique populaire française n’a pas les mêmes standards qu’Outre-Atlantique, avec une tradition de la chanson encore très solidement ancrée. Et mis à part les mastodontes radiophoniques, le rap américain dans son ensemble ne fonctionne plus vraiment en France, top 50 à l’appui

Difficile donc de s’importer lorsqu’on est Velvet Negroni. L’alias de Jeremy Nutzman, chanteur et musicien de Minneapolis, a tout du phénomène underground made in USA. Une créature R’n’B ayant hérité d’un ADN à mi-chemin entre The Weeknd et Bon Iver : protégé de Justin Vernon, Nutzman a d’ailleurs posé quelques chœurs et vocalises sur le récent album de ce dernier. Paroles cryptiques, productions pop avant-gardistes et insaisissables… Après plusieurs disques réalisés en totale indépendance sous de multiples noms (Pony Bwoy, Bright Club, Spyder Baybie Raw Dog…), il sort en 2017 T.C.O.D., carte de visite hallucinée pour son nouveau pseudonyme, Velvet Negroni. Cette sortie s’accompagne d’une heureuse entremise : le titre « Waves » fut effectivement samplé par Kanye West pour KIDS SEE GHOSTS, projet commun avec Kid Cudi.

Deux ans plus tard, il revient avec l’excellent et tout neuf NEON BROWN, qu’il vient présenter à Paris à la fin du mois de juin dernier. Et si le garçon commence à avoir le vent en poupe sur ses terres natales – après des années de galère qui semblent l’avoir profondément abîmé -, il est bel et bien inconnu chez nous. Et pour cause, la salle du 1999 où il se produit pour sa release party est quasiment vide. Mais peu importe : Velvet Negroni monte sur scène pour entamer une véritable séance d’exorcisme. Ses yeux, comme des billes, roulent ou se perdent dans le vide. Sa voix, trempée dans d’étranges effets de pitch, reverb ou delay, maltraite les productions éthérées de son nouveau disque. Son câble de micro s’enroule et s’emmêle au fur et à mesure qu’il enchaîne les passages dans le public. On comprend alors immédiatement les références et confidences dont il nous avait fait part quelques heures plus tôt : les souvenirs émus du concert de Andrew W.K. – où les gens montaient sur scène pour embrasser le chanteur de hard rock avec hystérie – ou les chansons des Backstreet Boys, qu’il récitait devant le miroir de sa salle de bain étant gamin. Avec sa folie naïve, Nutzman semble être un enfant qui a grandi trop vite : il prend une gorgée de bière qu’il recrache directement sur le parquet de la scène, à la manière d’un bain de bouche.

Puis le show s’achève brusquement. Nous finissons conquis, mais sans repères. À l’image de l’artiste : une créativité étrange et insaisissable semble lui donner trois ans d’avance sur le reste du game R’n’B (même s’il s’en moque probablement) – il suffit d’écouter l’album pour s’en rendre compte, mais il est difficile de prédire l’évolution de son parcours. Il n’en reste pas moins un garçon torturé et imprévisible (en studio comme en live) et un excellent exemple de ce qu’est la pop alternative étasunienne, aussi novatrice qu’excitante. Dommage qu’il risque de peiner à traverser l’Atlantique, mais croisons les doigts, on ne sait jamais…

NEON BROWN de Velvet Negroni est sorti le 30 août 2019 sur le label 4AD :

Et si vous êtes plutôt Spotify :

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