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Artwork du disque
7 juin 2021

💿 Album du mois : Poté passe de la bass music à la pop (et ça marche)

par Tsugi

C’est l’album du mois du Tsugi 141 : A Tenuous Tale Of Her de PotĂ©, sorti chez Outlier, le label de Bonobo.

Chronique issue du Tsugi 141 : Ed Banger 18 ans et toujours perché, disponible en kiosque et en ligne.

Il faut du temps pour se trouver. Mais Poté semble être sur la bonne voie. Depuis plusieurs années déjà, ses productions pour les clubs montraient son envie d’aller plus loin, avec des premiers singles privilégiant tout autant l’émotion que l’efficacité. Autant dire que la situation actuelle a accéléré ce processus de réinvention. Alors qu’on parle de musique post-club pour ces DJs qui voudraient dépasser le dancefloor, le terme n’a jamais paru aussi pertinent que depuis un an. Si la musique de danse est toujours largement convoquée ici, c’est bien plutôt sous l’angle du souvenir. Nimbée de reverb et delay, elle vise plutôt à recréer les émotions ressenties lors de ces soirées. Ce qui fait de A Tenuous Tale Of Her un de ces disques qui soignent et comblent l’absence.

Plus largement, Poté veut se confronter à ses angoisses, et essayer de progresser. Pour cela, il opte pour une construction très narrative: alors que la première moitié du disque se concentre sur des sentiments négatifs (la claustrophobie dans « Stare », la paranoïa dans « Valley », sans parler de « Lows », instrumental au titre explicite), la seconde partie, faite de morceaux plus apaisés, remonte la pente, montrant une volonté d’accepter ses émotions (« Open Up » en étant l’exemple parfait). Tout ceci menant à « Together », final élégiaque où les percussions font leur retour d’une manière plus affirmée que jamais. L’album est donc à la fois le processus et le résultat de cette démarche de guérison mentale de l’artiste. Mais surtout, Poté nous embarque avec lui, travaillant à chaque instant une grande proximité. Sa voix susurre, chuchote, tremble, navigue du très grave au très aigu, on entend à plusieurs reprises ses respirations ; il se met à nu, non pas devant un public, mais devant chaque auditeur individuellement. Celui-ci devient à la fois témoin, confident et acteur de la thérapie en cours.

Toute cette démarche d’ouverture met également l’accent sur l’autre grande qualité de cet album: son ambition. Poté veut assumer tout son héritage, cherchant à faire cohabiter toutes ses facettes. Ce qui l’amène à puiser dans tous les styles de musique qui l’ont façonné. La house et ses dérivés restent centraux, avec toujours cette présence importante des percussions caribéennes (Poté est né à Sainte-Lucie, île au sud de la Martinique), mais celles-ci se retrouvent croisées avec de nombreux styles : pop, trip-hop, R&B, rap, musiques africaines, etc. Tout ceci se matérialise notamment à travers la collaboration d’artistes tous portés sur les croisements et métissages. On pense bien sûr à l’omniprésent Damon Albarn, mais aussi à Bonobo, qui héberge cet album sur son label. Ce brassage, finement équilibré, permet ainsi à Poté de mieux se construire, mais également de matérialiser l’idée de lutte intérieure. Il assume tout ce qu’il est, ses paradoxes, ce qui le constitue, aboutissant à cet album aussi nocturne que solaire. Oui, Poté est bien là où il a envie d’être. Et on l’y rejoint avec plaisir.

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Retrouvez plus de chroniques dans le Tsugi 141 : 18 ans d’Ed Banger, en kiosque et en ligne

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