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© studio Winslow
27 décembre 2023

Au Studio Winslow, la 75e Session continue d’écrire son histoire

par Sasha Abgral

Immergeons-nous à l’intérieur du Studio Winslow. Dans ce lieu situé au cœur du 20ème arrondissement, à quelques minutes de marche de la ligne 2, je suis accueilli par Sheldon, Vidji et Shien. Une décennie après avoir commencé l’aventure du label 75e Session au Dojo, leur ancien studio de Saint-Denis, les trois, normalement quatre avec Yung.Coeur, travaillent ici en tant qu’ingénieurs du son et beatmakers depuis 2021.

À deux pas de là, la magnifique fresque hommage dédiée à Népal n’est plus. Pourtant, on regarde le mur comme si c’était toujours le cas. Celle qui était affichée en début d’été 2021 a été détruite depuis, par nature, mais également par la main des graffeurs venus reprendre leur espace. Le coin est calme, contraste étonnement bien avec une rue de Bagnolet passante. On a déjà l’impression d’être dans le Studio Winslow, lieu de musique dont le nom est tiré de l’un des personnages du classique Phantom of the Paradise. L’affiche du film, fièrement encadrée sur un mur, fait face aux quelques disques d’or que détient l’équipe 75e Session. L’ensemble se confond parmi toutes les autres références de pop culture exhibées par les maitres du lieu : figurines de manga, Funko Pop, livres de graff, de rap, mini console Atari… Une fois les salutations faites, Sheldon, Vidji et Shien, les ingénieurs du son et beatmakers occupant l’espace, me le font découvrir. On discute.

 

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Studio Rouge

Studio Winslow, esprit Dojo

On se pose dans l’espace de détente afin qu’ils m’expliquent le fonctionnement de la boite. En réalité, celle-ci se divise en deux studios distincts : le rouge, occupé par le duo Sheldon/Shien, et le bleu, occupé par Vidji et Yung.Coeur. Des différences dans l’approche artistique ? Non, le set-up des deux pièces est identique et se partage entre les duos. Deux Neumann U87 pour l’enregistrement, deux Apollo X8, deux paires d’ATC SCM 25, une multitude de synthés, de guitares… Il y a même un Yamaha DX7 ! Bref, un backline large pour un studio de rap, qui à de quoi se revendiquer pleinement comme « studio de musique ». « C’est une volonté » me raconte le trio qui a construit, de ses mains et à l’aide de ses amis du label 75e Session, cet espace qui lui ressemble.

La volonté principale des quatre ingénieurs du son, mixeurs et producteurs pour le nouveau local, c’était Paris : une ville « plus simple pour la clientèle » selon Shien, qui donne « envie aux gens de venir » selon Sheldon et qui « crée plus d’opportunités dans le centre névralgique » selon Vidji. Parmi une vingtaine de locaux visités, celui-ci fut le bon, confortant une dimension professionnelle devenue chère au collectif dans sa vision des choses. Des collaborateurs de longue date de la 75e Session comme le suisse Di-Meh ou le belge Caballero, peuvent même venir s’installer au Mama Shelter, l’auberge située juste à côté du Winslow, lorsqu’il sont de passage pour travailler sur de la musique.

 

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Studio Bleu

Ici, le billard n’est plus. Personne ne vient juste pour venir comme au Dojo, ancien studio de la 75e Session dans lequel des Nekfeu, PLK et Alpha Wann sont passés lors du début de leur carrière. Au Winslow, on mixe, on masterise, on enregistre, on compose et on réalise en compagnie du quatuor qui accompagne ses clients. Ça va avec un certain changement de « standing » selon Sheldon : « ici, c’est très différent, même si ça reste un lieu de vie. On travaille pas plus, mais mieux » constate t-il, lui qui ressent aussi une amélioration dans sa propre carrière. L’esprit est le même, le collectif y travaille autrement. La qualité de la musique que le Winslow produit vient de son propre environnement, plus apaisé. En principe, ces changements d’esthétique, l’homme qu’on appelle aussi Sheldragon n’y pense pas directement, mettant plutôt ça sur le coup de la maturité acquise à travers les années.

 

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Sheldon, rappeur, ingé son, producteur : artiste

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Il faut dire que l’artiste est à l’origine de beaucoup, lui qui a fait ses armes au sein d’une sphère rap parisienne déterminée à effacer son statut « maudit », entre 2005 et 2010. Sheldon se souvient que la 75e Session, avant d’être une histoire de potes, c’est avant tout une « histoire de rap« . Le collectif co-créé par lui-même est depuis sa création en 2012 sur tous les terrains du rap : label, production de musique, de clips, communication, création de projets comme les freestyles anonymes John Doe… Et ses participations multiples à des projets comme Reste Calme (2014) de Di-Meh, Paris Geneve (2014) avec la 13 Sarkastic et le Panama Bende, 16par16 de Népal, ou même les siens, marquaient les débuts d’une génération complète. Cette genèse, il la doit au peu d’offre d’artistes émergeants à l’époque, car lui même confie s’être formé en compagnie de ces derniers : « je ne me revendique absolument pas formateur. Si, par exemple,  j’avais pas connu un Di-Meh qui commençait le rap à ce moment là, jamais j’aurais pu gagner l’expérience que j’ai maintenant. Il y a dix ans, t’avais pas mille options« .

Entre deux mentions du Technodrome, ancien studio dans la cuisine de Vidji, le trio reconnait que les temps ont changé. Effectivement, le rap s’est démocratisé en France via des équipes qui avancent désormais de manière individuelle pour la majorité. « Aujourd’hui, tu verras jamais un groupe comme le Dojo Klan se former, les profils sont trop différents » raconte Sheldon, qui composait le groupe avec Népal, Sopico, M le Maudit, Hash24, Inspire et Ormaz notamment. Mais les gérants du Winslow ne sont pas du penchant « c’était mieux avant » : certains rappeurs et beatmakers côtoyant le collectif n’avaient même pas leur propre matériel à l’époque. Un temps révolu, comparé à nos jours où tout peut se faire depuis le plus simple des ordinateurs.

Dans le même temps, il ne faut pas perdre de vue que le rap français fait l’objet d’un renouveau exceptionnel marqué par l’émergence d’artistes avant-gardistes, grâce notamment à l’accessibilité des moyens de production. Certains d’entre eux font partie de la 75 comme Zinée, rappeur Toulousaine débordante d’émotions que Sheldon produit. La force du Studio Winslow donc, c’est l’expérience acquise à travers la dizaine d’années de bons et loyaux services au rap Français, retransmise au service d’artistes inspirés tous genres confondus. Une manière pour Sheldon, Shien, Vidji et Yung.Coeur, de perpétrer la 75e Session autrement et, on le sait, on le sent, toujours avec le même esprit.

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