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© Société Acéphale
20 février 2023

Berlinale : ‘After’ d’Anthony Lapia, œuvre poétique sur l’underground parisien

par Tsugi

After, d’Anthony Lapia a été projeté pour la première fois dans la section Panorama du festival de Berlin. Matière sobre et fluide, le premier long-métrage du réalisateur français sur le milieu techno parisien émeut autant qu’il obsède.

Nuit. Petit appartement parisien. Affublée d’un body léopard, une jeune femme à l’allure gracile écoute, cigarette entre les doigts, « I go to sleep«  d’Anika. La musique crachée par une enceinte déborde timidement sur le plan suivant. Soudain, les corps délavés d’une soirée underground apparaissent à la lueur d’un stroboscope. L’after est lancé. 

Premier long métrage d’Anthony Lapia, After a été sélectionné à la Berlinale aux côtés d’une ribambelle de films français (4 au total). Côté production, le film est à l’initiative de la Société Acéphale : boîte de prod parisienne dont cet ancien de la Fémis tient également les manettes. Aux commandes du vaisseau depuis presque 10 ans, Anthony Lapia et ses collègues ont produit près d’une quinzaine de courts métrages. Mais, avec After, c’est la première fois qu’ils se rendent à Berlin à la tête d’une fiction longue. D’ailleurs, avec La bête dans la jungle de Patric Chiha, c’est le second film hexagonal autour de la « teuf » à participer à la compétition berlinoise cette année. Comme quoi le sujet passionne.

 

 

L’histoire. Félicie et Saïd se croisent dans les sous-sols d’un squat banlieusard et finissent par terminer la nuit chez la jeune femme. En parallèle, un petit gang de teufeurs attend patiemment le jour sous les kicks assourdissants d’une techno industrielle. Ici les corps se mêlent et s’enchevêtrent au détour d’un dancefloor ténébreux. Ça parle, ça se chamaille, ça s’émeut, ça danse et ça sniffe de la drogue comme on boirait un Coca en terrasse. 

Pourtant, le drame n’est jamais débordé par l’ambiance et se meut subtilement entre les relations tissées par les personnages. Parce qu’avant d’être un film sur la drogue ou la musique, c’est un film sur les corps et les interactions sociales. Un film qui connecte des images et des sensations dont la teuf n’est que la toile de fond.

 

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Loin des clichés

Car dans ce sous-sol lugubre de la banlieue parisienne, il n’est question ni de déchéance, ni de trafic, ni de remise en cause existentielle. Pour une fois, les clichés liés à la teuf restent hors-champ de l’événement, même s’ils apparaissent ça et là. Forcément. Mais le réalisateur en joue habilement, sans faire de bruit, contrairement à d’autres œuvres sur le sujet. En France, on pense bien sûr à Eden de Mia Hansen Love (2014) qui n’était qu’une évocation trop ambitieuse des états d’âme de son DJ de frère. A l’étranger, Victoria de Sebastian Schipper (2015) et Les paradis artificiels de Marcos Prado (2012) n’ont fait qu’effleurer la question en tombant dans les écueils narratifs et esthétiques du cocktail drogue, techno, violence qui a fini par plomber l’ambiance.

A l’inverse, dans After la violence est gardée à l’écart. Si elle n’est ni physique ni mentale, elle se dévoile sous son aspect politique et social lors de la dernière séquence : plan où Saïd circule sous la lumière pâle du matin pour aller garnir les rangs de la manif des gilet jaunes.

 

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Une oeuvre sans gras

Pour ce qui est de la forme, c’est une œuvre immersive, simple et sans gras qui n’en fait jamais trop. De l’aveu de l’auteur, le film s’est construit autour de références cinématographiques qui ont pris le temps d’être digérées et macérées. Et ça se voit. Le drame circule de manière fluide car ces dernières patientent discrètement entre les plans. 

De la scène de rave de La question humaine (Nicolas Klotz, 2007) aux photographies d’Antoine d’Agata en passant par les gros plans sur fond d’acidcore de La vie nouvelle de Philippe Grandrieux (2002), toutes ces images cochent les cases des clins d’oeil disséminées par Anthony Lapia.  

Mais ce n’est pas tout. Félicie, dans sa chambre, discute de politique avec Saïd. Ils sont rentrés de la soirée et prolongent le plaisir autour d’un verre de rouge. La discussion est sobre et fébrile. Le jeune homme évoque en creux sa condition de chauffeur VTC et sa volonté de changer les choses par la violence. Toujours parée de son body léopard, elle se détache sur un fond bleu. Plan simple et basique à la Godard. Le débat s’étire et se restreint, la condition sociale des deux protagonistes opposant leurs points de vue. Elle et ses bouquins qui jalonnent les planches de sa bibliothèque, lui et ses histoires de gilets jaunes. 

Comme le visage de Félicie sur le mur de son salon, cette scène se détache de l’univers festif et rappelle aisément certains débats de chambre entendus chez Jean Eustache ou Philippe Garrel. Deux autres sommités du patrimoine cinématographique français. Ici encore, les références sont exigeantes. Mais elles ne sont jamais forcées et fonctionnent comme un contre-point subtil aux pérégrinations festives des teufeurs.

 

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Un film tactile

À l’autre bout du spectre formel, le grain de la caméra rappelle que l’image, quelle que soit la qualité de son format, est d’abord là pour servir le récit. En 16 mm couleur ou en HDV (format vidéo grand public) les images d’Anthony Lapia sont là pour éponger la sueur de la fête et se greffer au destin fiévreux des personnages : comme cette jeune fille étourdie par la drogue qu’on retrouve aux ¾ du film. Alliées au son rugueux de la techno, les images s’articulent comme une rengaine obsessionnelle qui nourrit le récit de décharges sensitives. After est un film tactile à l’instar du grain de sa photo qui donne envie de la toucher et de plonger à l’intérieur.   

C’est aussi une œuvre pauvre qui assume sa dimension documentaire. Le budget est de 60 000 euros et les petites mains de l’underground parisien ont grandement participé à sa conception — Maximilien Pegasus ancien DA de la Péripate pour le lieu et la figuration, et Panzer, le boss du label Intervision, pour la musique. Un film purement techno.

 

Harold Rive-Decaillot

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