© Instagram @bobsinclar / Capture d'écran Youtube du clip "Dodo" de Tayc

Bob Sinclar, Tayc… En 2023, la culture du viol en musique se porte toujours bien

En quelques jours Bob Sinclar puis Tayc se sont illus­trés, cha­cun de leur côté, par des sor­ties aus­si inat­ten­dues que choquantes : deux événe­ments qui illus­trent un cli­mat abject, et qui par­ticipent à ce qu’on appelle la ‘cul­ture du viol’. En 2023, en toute impunité, vis­i­ble­ment sans se souci­er du mal que cela peut engen­dr­er. On vous raconte.

Cocori­co ! La France a un incroy­able tal­ent, surtout pour la ‘grivois­erie’ cracra, bien “je-dépasse-les-limites”. Mais tout le monde ne peut pas faire preuve d’un esprit fin : la fron­tière est alors très poreuse, entre la blague potache qui provoque le rire gras, et les propos/actes qui vont beau­coup trop loin. Sur le sujet, dans la famille “Gros Lour­dauds Prob­lé­ma­tiques”, je voudrais d’abord Bob Sinclar. Le DJ et pro­duc­teur français des Hauts-de-Seine, 53 ans, poste régulière­ment sur ses réseaux soci­aux des mini-sketchs humoris­tiques, comme l’ont égale­ment remar­qué nos con­frères de Trax. Une vidéo pour présen­ter une pré­ten­due érec­tion mati­nale (par ici), une autre où il joue de la gui­tare avec son sexe pour repro­duire “Love Gen­er­a­tion” (c’est là)… D’acc. C’est exces­sive­ment lourd, pas orig­i­nal, mais pour l’in­stant pas méchant.

Et puis d’un coup, une vidéo plus du tout excus­able, postée sur Insta­gram. Bob Sinclar l’a évidem­ment retirée depuis, mais quelques per­son­nes ont eu le temps d’en­reg­istr­er la séquence, pour la reposter :

 

On réca­pit­ule : dans cet extrait on s’in­stalle du point de vue d’une per­son­ne qui prend sa douche, vis­i­ble­ment une femme. On ne voit pas son vis­age, seule­ment sa main, une salle de bain et un savon. Alors que le savon tombe à terre, une musique angois­sante s’in­stalle, et on voit Bob Sinclar d’abord à la fenêtre en train de relu­quer, puis s’ap­prochant de la porte, puis dans l’en­tre­bâille­ment avec le pan­talon sur les genoux. Au moment où la jeune femme se baisse, on nous fait com­pren­dre qu’elle se fait agress­er sex­uelle­ment, grâce à de sub­tils sons de gémisse­ments et de clapo­tis, pour mimer un va-et-vient. On est devant un viol.

Si c’é­tait seule­ment lourd comme d’habi­tude, on se con­tenterait de souf­fler sans s’in­surg­er. Mais là c’est beau­coup trop. Il s’in­scrit par­faite­ment dans la cul­ture du viol : on min­imise les vio­lences sex­istes et sex­uelles pour dans le même temps, décul­pa­bilis­er les agresseurs tout en cul­pa­bil­isant les vic­times. Soit Bob Sinclar n’a pas con­science de ces mécaniques, soit il s’en fout com­plète­ment. Et on est ten­tés de dire “un peu des deux” au vu de la vidéo qu’il a postée, juste après les réac­tions sus­citées par le désor­mais fameux “sketch du viol” :

 

Un deux­ième événe­ment sur­venu dans le même temps. Tayc, chanteur d’afropop a lui aus­si une cer­taine idée de l’amour à la française : en bon loveur, il a sor­ti le 14 févri­er son album Room 96. Dix chan­sons par­mi lesquelles on trou­ve “Quand tu dors”, dont les paroles lais­sent peu de place au doute.

Ok, imag­ine un truc, j’ren­tre du boulot, tu vois ? Toi tu dors déjà. Et plutôt que de te réveiller […] Je t’en sup­plie, dors encore, dors encore… Pourquoi te le dire ? Pourquoi prévenir ? […] Ça ne te deman­dera aucun effort” /// “T’es telle­ment belle quand tu dors […]  Tes lèvres sont fer­mées mais j’en­tends ton appel. Je dois hanter ton som­meil. Je dois te con­som­mer. T’as mis mon pyja­ma préféré. Je n’au­rai pas grand-chose à t’en­lever. Et ne m’en veux pas si je descends.” 

Désolé si on enfonce encore des portes ouvertes, mais une per­son­ne qui dort ne peut pas être con­sen­tante. Et le non-consentement ne peut pas être perçu comme exci­tant. Tayc a rapi­de­ment été accusé de faire l’apolo­gie du viol con­ju­gal avec cette chan­son, de le roman­tis­er. Il a d’abord essayé de présen­ter des excus­es, dis­ant qu’il avait “pris con­science que la chan­son avait sévère­ment heurté l’opin­ion publique” et refu­sant que sa musique “serve un mes­sage ambigu” (le mes­sage com­plet ci-dessous). Mal­adroit sûre­ment, et trop tard surtout. Peu après, la chan­son est retirée de son album, face aux nom­breuses réactions.

viol taycviol tayc

Tayc est régulière­ment accusé d’in­stau­r­er un envi­ron­nement prop­ice à ce genre de déra­pages : accu­sa­tions de racisme envers la femme noire il y a dix ans, ‘dans­es sex­uelles’ avec des fans sur scène, reni­flage de sous-vêtements pour femme en plein concert…

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Bob Sinclar et Tayc, cha­cun à leur manière, don­nent en ce début d’an­née 2023 un bel exem­ple de ce qu’est la “cul­ture du viol”. Et à quel point elle est solide­ment ancrée. La cul­ture du viol, pour rap­pel, c’est un con­cept soci­ologique dévelop­pé dès les années 70 aux États-Unis, qui qual­i­fie un ensem­ble d’at­ti­tudes et de com­porte­ments partagés par une société qui min­imisent et nor­malisent le viol. C’est la créa­tion d’un envi­ron­nement où le viol/l’attouchement sur le corps de la femme, ce ne serait “pas si grave”.

Ici, nos deux Français se sen­tent assez en con­fi­ance pour dif­fuser ce genre de mes­sage sans penser à mal, sans se souci­er de l’im­pact que cela peut provo­quer. Bref, ils ne sem­blent y voir aucun prob­lème. Bob Sinclar et Tayc n’ont pas con­science, ou pas envie de se souci­er, du dis­cours dan­gereux qu’ils véhiculent.

Et on le sait, en écrivant ceci, que cer­tains trou­veront qu’on en fait ‑beaucoup- trop sur le sujet. Pour rap­pel, 94 000 femmes vic­times de viol ou de ten­ta­tive de viol chaque année en France. Ce genre de mes­sage ne peut pas être véhiculé, en France en 2023. Nos mots et nos actes ont tou­jours une portée, un impact.

 

Quelques ouvrages qui par­lent du sujet :

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