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25 février 2022

Born Bad réédite Ruth, génial artiste méconnu de new wave française

par Antoine Gailhanou

En 1985, le musicien français Thierry Müller publiait le premier album de son projet Ruth, Polaroïd/Roman/Photo. Passé inaperçu à l’époque, sa qualité en a progressivement fait un disque culte durant les années 2000, particulièrement son single éponyme. Aujourd’hui, le label Born Bad réédite l’album dans son ensemble.

Le véritable point de naissance du rock français se situe à la fin des années 70. La vague post-punk qui rebat les cartes du rock déclenche une véritable fièvre créatrice dans l’hexagone. Franchement punks, plus électroniques ou axés sur une musique plus expérimentale, toute une génération émerge, formant enfin un véritable continent rock dans un pays où n’existaient que quelques individualités parisiennes. Une telle effervescence amène forcément son lot d’oubliés. Pris entre les fleurons de l’expérimentation comme Heldon ou les groupes plus pop estampillés « jeunes gens modernes » (Jacno, Mathématiques Modernes, etc.), Thierry Müller n’a pas eu sa chance. Aujourd’hui, il bénéficie malgré tout d’une reconnaissance tardive, qui se manifeste aujourd’hui avec la réédition par Born Bad Records de son album le plus abouti, Polaroïd/Roman/Photo, paru en 1985 sous le nom Ruth.

À ce moment, Müller a déjà une bonne expérience. Passionné de musique contemporaine et expérimentale depuis son enfance, il monte son premier groupe Arcane en 1977, en parallèle de ses études d’Art Appliqué. Très expérimental, le groupe ne dure pas, et le musicien se lance en solo sous le nom Ilitch. Un premier album en 1978 (sous influence de Philip Glass ou Robert Fripp) le fait connaître d’un certain cercle expérimental. Il s’installe à Rouen, chez son ami Philippe Doray. Si la musique qu’ils produisent sous le nom de Crash convoque plutôt Cabaret Voltaire ou This Heat, Müller a envie de faire un disque pop. C’est là qu’il imagine son alter ego : Ruth M. Ellyeri (un simple anagramme de son nom). « C’était un jeu pour exprimer une autre partie de moi, plus extravertie, plus pop et plus féminine » expliquait-t-il en 2009 au site Popnews.

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Dès 1982, il pose les bases de ce qui reste comme son morceau le plus culte, « Polaroïd/Roman/Photo ». Toujours pour Popnews, il raconte : « J’avais envie de faire un morceau pour faire danser les filles en se moquant des garçons. J’ai branché une petite horloge artisanale sur mon orgue en guise de séquenceur, j’avais un petit synthé-guitare Korg, j’ai rentré l’orgue dedans, ça a démarré comme ça. » L’autrice Frédérique Lapierre écrit quelques paroles, et devient la voix de Ruth (bien qu’elle ait finalement été remplacée dans la version finale). Rythmique glaciale contrebalancée par un saxophone chaloupé, le tout rythmé par un bruit de Polaroïd et une voix ironique : le morceau semble imparable.

Faisant appel à de nombreux amis, pour des paroles ou des instruments comme le violon ou le cor, il compose ainsi son album en pure indépendance. Il a l’espoir de le faire vendre par une major, mais toute refusent le projet. Il se résout à rejoindre un label indépendant, qui écoule à peine 50 exemplaires du disque. Écœuré, Müller retourne à l’underground pour le reste de sa carrière, jonglant entre Ilitch, Crash et Ruth. Il relate sa désillusion au site Quietus : « Quand j’ai démarré ce projet, je sentais qu’un tel projet pouvait exister en France […], que l’on pouvait enfin respirer, développer d’autres choses. C’était le cas, mais pas autant que je l’espérais. La France était encore le pays de nos parents. »

Ce n’est qu’à l’aube des années 2000 qu’il réalise que son morceau phare circule. De nombreux DJ le contactent par mail, donc Marc Colin et Ivan Smagghe. Les deux DJ publient en effet en 2004 la compilation So Young But So Cold chez Tigersushi, dédié à la scène cold wave française. Born Bad incluait déjà ce même morceau dans une de ses premières compilations, BIPPP : French Synth Wave, en 2008. Aujourd’hui, c’est enfin l’album Polaroïd dans sa totalité qui est réédité. Permettant de réaliser sa qualité, qui ne se limite pas à son morceau éponyme. Que ce soit le nerveux « Thriller », la reprise du « She Brings The Rain » de Can ou l’étonnant « Mabelle », il est traversé de trouvailles expérimentales et pourtant résolument pop. Si l’empreinte des années 80 est indéniable, Müller a su produire un son original et éloigné des sonorités usées de l’époque. La qualité finit toujours par être reconnue.

 

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