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Vini Vici sur la scène du W © Jean-Adrien Morandeau
3 mai 2022

C’était comment le retour du Printemps de Bourges à jauge pleine ?

par Guillaume Monnier

Week-end de découverte, de diversité musicale et éternel lieu de référence des intrépides créatifs, le Printemps de Bourges – Crédit Mutuel marquait sa dernière édition d’un retour dans une version “zéro contraintes”. Signant la fin d’une longue attente pour les artistes INOUÏS et les autres, qui trépignaient à l’idée de jouer à nouveau devant des fosses pleines.

Quel plaisir de voir les rives de l’Auron, la rivière qui traverse la ville et le site du festival, grouiller à nouveau d’artistes, de professionnels, de journalistes, de festivaliers pour ce qui est une étape incontournable de la saison musicale dans l’Hexagone. Dès le mercredi dans la salle du 22, les INOUÏS ont placé la barre très haut avec une éclatante envie de marquer les esprits. Très bon cru 2022 avec la chanson troublante de Yoa, l’électro barrée du duo de druides Walter Astral, le rap queer de la Québecoise Calamine, celui mutant d’Eloi ou encore Zaho de Sagazan qui nous avait déjà fait frissonner à Panoramas le week-end précédent. Du côté des lauréats, si on a moins été séduit par la prestation de St Graal, et ses vocalises pas toujours maîtrisées – qui a pourtant reçu le Prix du public – on valide à 200% les choix du jury présidé par Abd Al-Malik : Oscar les Vacances et sa pop ludique et attachante ou Eesah Yasuke, rappeuse puissante et solaire. 

Notre soif de découvertes étanchée au 22, à la venue du week-end à Bourges tout bascule, et le public se hâte entre le grand chapiteau blanc du W et le Palais d’Auron. La grande salle de ce bâtiment se transforme alors en véritable club et son immense parking se plie en quatre pour accueillir le célèbre W, qu’on pourrait comparer à un Zénith mobile. L’heure est venue de célébrer, de chanter, de danser sur des morceaux d’artistes aguerris et bien installés dans le paysage musical francophone. 

 

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Pour cette édition 2022, au W et au Palais d’Auron, les musiques électroniques étaient à l’honneur. Entre Vitalic, plein de revanche après avoir été contraint par la crise sanitaire de décaler la fête de ses 20 ans de carrière, Anetha, figure majeure de la techno en France et grande prêtresse du label Mama Told Ya ou la funk house sur-vitaminée de Folamour, les corps se libéraient sur les pistes du Palais d’Auron et du W. Aux rythmes des basses, quelques gouttes de sueur perlaient sur les fronts des festivaliers en quête de sensation. Un concert a déchaîné les cœurs et les corps plus que les autres… À mi-chemin entre une performance d’astrologues frappés et un concert, le duo complètement barge d’ascendant vierge a retourné le Palais d’Auron, déjà chauffé à blanc par l’électro envoutant et cathartique de French 79 et la pop libertine de Vendredi sur Mer. À croire que Bourges n’attendait plus que les percussions rebondissantes et lancées à vive allure du gabber pour exalter, avec la voix de Mathilde Fernandez en fond pour aussi planer. Le duo, tout de rose vêtu, s’est même permis de lire les horoscopes du jour, histoire de plonger totalement initiés et non-initiés dans leur univers. Certes, le show de Vitalic était bluffant avec ses deux grands blocs de projecteurs hissés au-dessus de la scène, celui de Folamour plein d’amour et porteur d’un message magique de vivre-ensemble, mais la prestation aussi énergique que technique et humoristique d’ascendant vierge a séduit le public qui semblait ne plus vouloir quitter la salle. Alors pour faire passer la pilule, Anetha a pris le relais, envoyant bangers sur bangers, pour garder cette belle énergie.  

Bourges

Vitalic en live au W © Antoine Monegier du Sorbier

Changement de style de l’autre côté de l’allée du site du festival. Après une prestation envoûtante de Thylacine, accompagné d’un piano à queue sur scène et de barres de LED dynamiques qui collaient parfaitement à l’énergie de son live, Laylow débarquait sur la scène du W pour un show le samedi soir. En 2020,  le rappeur basculait dans une autre dimension grâce à “l’ambiance matrixienne” de son album Trinity. En 2021, son projet semi-autobiographique, semi-romancé L’Étrange Histoire de Mr. Anderson, renforçait son nouveau statut de tête d’affiche en France. Laylow est monté sur scène pour asseoir sa place de nouveau leader du rap français. D’abord intimidé  : “Vous êtes nombreux ! Ça fait longtemps que j’attends de venir en festival”, il se lâche vite (très vite), avant l’apothéose : un saut dans la foule. Il s’était pourtant interdit de le faire. “Non, si je saute je vais retarder la programmation”. Il en mourrait d’envie et nous aussi… Parce que le rap est devenu un genre taillé pour le Printemps de Bourges (et même pour l’ensemble des festivals), teinté d’influences d’autres genres, comme d’ailleurs la programmation de la Halle au Blé avait pu le démontrer avant le week-end. Il fallait alors une affiche à la hauteur de sa diversité. Pari réussi, les vendredis et samedis soirs, avec les couleurs rock et pop, respectivement de Sopico et Luidji qui transgressaient les codes hip-hop et bousculaient les idées du public sur ce qu’est, et devrait être, le rap. Mais pas d’inquiétude, le style pur jus était très bien représenté également avec le duo Caballero & JeanJass. Sur des instrumentaux trap ou boom-bap, les Belges enchaînaient les punchlines souvent avec humour pour JeanJass avec beaucoup d’egotrip pour Caballero. Un savant mélange qui se connectait parfaitement avec l’atmosphère du week-end, bon enfant mais très sérieux musicalement.   

Bourges

Caballero & JeanJass au Palais d’Auron © Jean-Adrien Morandeau

Entre les INOUÏS, les grosses têtes d’affiches et les découvertes, c’est donc une subtile équation que la programmation de ce Printemps qui parvient à réunir sur le même événement, Dutronc père et fils, Last Train, Charlotte Adigéry & Bolis Pupul, Oboy ou Juliette Armanet et son époustouflant live disco. Mais l’ADN de Bourges ce sont aussi les créations. Et en la matière, l’attraction du début du festival cette année était sans conteste la “Fucking Night”, un spectacle hommage à Brigitte Fontaine qui avait annoncé y faire ses adieux à la scène, et puis finalement non, enfin, on verra ! Le festival a réussi le tour de force de mettre sur un même plateau, dans une Maison de la Culture flambant neuve, la reine des zazous, les réalisateurs grolandais Gustave Kervern et Benoît Delépine, Béatrice Dalle, Arthur H, Bertrand Belin, Philippe Katerine, la comédienne Anna Mouglalis, Jarvis Cocker, ou Rebeka Warrior et P.r2B tous venus célébrer la poétesse sur les arrangements brillants de la musicienne et percussionniste Lucie Antunes. Le résultat ? Imprévisible comme une interview de Brigitte Fontaine, avec ses moments de grâce et d’autres, peut-être, plus dispensables. C’est le jeu avec ces créations, des spectacles uniques voués à l’éphémère. En cette année électorale – le festival se tenait juste avant le deuxième tour – et en écho à une superbe exposition imaginée par la Discothèque de Radio France, des anciens Inouïs se sont aventurés vendredi sur le terrain de la chanson engagée, répertoire dont nombre d’artistes se tiennent souvent à distance. Nikola, Tracy de Sà, Flèche Love, Mimaa, YN et Terrenoire, sur des orchestrations signées Adrien Soleiman, ont chanté Ferré, Renaud, Carte de séjour, Diam’s, Souchon ou “Le Chant des Partisans” comme un écho apaisant et classieux à cette fin de campagne inquiétante et face au couple Hollande-Gayet qui se trouvait dans l’assistance, aussi enthousiaste que le reste du public.

On a forcément oublié de citer des artistes. Poupie, Lujipeka, Deluxe, NTO… il y en a tellement. Impossible de tout voir mais cette édition 2022 valide encore une fois la réputation de ce festival parmi les plus vieux de France. Celle d’un événement qui, malgré deux précédentes années difficiles pour le secteur musical, continue de prôner l’éclectisme et la recherche de nouveaux talents. Bravo ! Comme le déclarait Boris Vedel, le directeur du Printemps au micro de Tsugi Radio : “c’est leur Tour Eiffel !” et pour cette première édition post-Covid, elle a bien brillé.

Bourges

© Jean-Adrien Morandeau

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