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© Galen Higgins
3 février 2025

Cory Wong (Vulfpeck) : « Voir le public crier ta mélodie, c’est fou »|INTERVIEW

par Corentin Fraisse

Cory Wong, sans doute l’un des meilleurs guitaristes funk au monde et pilier du groupe Vulfpeck, sera à Paris les 11 et 12 février à l’Olympia. Quelques semaines avant ces deux soirées de concert, Tsugi l’a eu en interview pour parler de live, de composition, Minneapolis et Prince, mais aussi de sa tournée européenne.

Cory Wong c’est un guitariste américain mondialement reconnu par ses pairs, adoubé par Prince (oui, le Kid de Minneapolis himself). Depuis quelques années il s’est offert une reconnaissance planétaire, au travers de deux groupes : Vulfpeck et Fearless Flyers, deux formations adulées par les musicien-nes en herbe et les music nerds autour du globe.

Lors de notre échange (en janvier) Cory n’avait pas encore débuté sa tournée européenne, alors on s’est parlé par visio. Il était chez lui dans son home-studio à Minneapolis, avec son rack de 25 guitares posé à ses côtés. Avant de lancer l’enregistrement, on a parlé de ses autres groupes, en tête Fearless Flyers et évidemment Vulfpeck -dont un nouvel album est en préparation… Mais aussi de la tournée européenne, qui allait commencer ce 30 janvier 2025 par une date à Copenhague.

cory wong

© DR

 

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Votre tournée européenne est sur le point de commencer. Comment te sens-tu ? Est-ce que vous tournez avec une formation différente de celle de la tournée américaine ? 

C’est exactement la même formation que pour ma tournée américaine. J’ai un groupe de dix musiciens, et le groupe Couch assure nos premières parties. Leur chanteur va nous rejoindre pour quelques chansons tous les soirs, c’est génial. Et j’ai prévu des invités spéciaux. J’aime bien garder la surprise ! On ne joue jamais le même set. On aime changer tous les soirs, le jazz et les jams m’ont beaucoup appris de ce côté-là.

Par exemple : pour nos deux soirées à l’Olympia (11 et 12 février, ndr) nous allons jouer un set différent chaque soir. Histoire de rendre les choses plus excitantes. Comme ça si certaines personnes viennent aux deux shows, on leur propose un spectacle unique !

 

Et comment faites-vous vos choix, entre ce que vous jouerez le premier ou le deuxième soir ?

Ça dépend beaucoup de comment je ressens l’ambiance de la salle, de la ville… Ça dépend aussi de l’état des troupes à ce moment de la tournée ! Comme une équipe de sport, tu inscris tes joueurs les plus en forme sur la feuille de match. En tournée, la majeure partie de nos sets est très arrangée, carrée, méticuleusement mise en place. Mais il y a toujours des points de sauts, de digression. Il y a beaucoup d’exploration.

On met en avant ceux qui sont en feu, on redonne de la confiance à ceux qui ont fait une moins bonne date les soirs précédents… Sur le parallèle sportif, il faut savoir en tant que manager, comment tirer le meilleur de ton équipe ! On y fait attention. Et parfois on se dit « on n’a pas joué ce morceau depuis quelques temps! » puis boom, le soir-même on la joue.

 

Vous revenez à l’Olympia les 11 et 12 février, quelle est votre relation avec la mythique salle parisienne ?

J’y ai joué deux fois avec Vulfpeck, et j’y ai joué l’an dernier en tant que Cory Wong. L’Olympia, c’est l’une de mes salles préférées au monde. C’est un endroit spécial et unique, qui a tellement d’histoire. Je pense à certains albums live joués dans cette salle, à certains artistes qui y sont passés. Et honnêtement, c’est le plus beau fronton du monde : avoir son nom en immenses lettres rouges, c’est tellement cool !

(Fait exprès ou non, Cory Wong a même une chanson nommée « Olympia », présente sur l’album Power Station. Complètement crazy non ?)

 

Quelle a été ta toute première guitare ? 

Le tout premier instrument que j’ai eu est en fait juste ici : celui-ci. C’est une Fender Jazz Bass (il la prend en mains pour me la montrer). C’est toujours la basse que j’utilise aujourd’hui. Puis quand j’ai commencé à jouer de la guitare, j’avais une guitare pourrie achetée dans un pawn shop. Elle avait cinq cordes, elle était très abîmée mais c’est tout ce que je pouvais m’offrir.

Puis j’ai commencé à prendre la guitare un peu plus au sérieux. J’ai travaillé dur et mes parents m’ont aidé à acheter une Stratocaster. J’aime les Strat’ depuis que je suis gamin. Ma première était une Stratocaster bleue, c’est toujours ma préférée.

 

Et les premières chansons que tu as essayé d’apprendre ?

J’ai commencé jeune et j’ai grandi en regardant MTV dans les années 1990. J’aimais beaucoup les Red Hot Chili Peppers, Nirvana, Green Day, Blink-182. Je crois que la première chanson que j’ai apprise c’est « Come As You Are » de Nirvana. Puis « Today » des Smashing Pumpkins, « When I Come Around » de Green Day…

 

Et les premiers cahiers de partitions/tablatures que tu as achetés ?

C’était impossible de trouver des tablatures en ligne pour l’album Evil Empire de Rage Against The Machine ! J’ai donc acheté un livre de tablatures de guitare pour Evil Empire. Si tu connais cet album et la façon de jouer de Tom Morello, tu sais que c’est en grande partie grâce aux pédales d’effets qu’il utilise.

Je joue, évidemment ça ne sonne pas du tout comme ce que j’entends sur l’album. Ça m’a ouvert les yeux. Mais au départ j’étais frustré, je me disais « ce livre est vraiment nul, il est horrible ». Mais le premier livre que j’ai vraiment acheté, où j’ai beaucoup étudié et appris, c’étaient les livres de guitare et de basse pour l’album des Red Hot Chili Peppers Blood Sugar Sex Magic.

 

C’est à cette période que s’est forgée ta technique, mais aussi une façon de travailler que tu gardes aujourd’hui ?

Oui ! Je rentrais de l’école et je jouais tout l’album à la basse, puis je jouais tout l’album à la guitare. Et j’ai fait ça pendant des semaines. Et ce que j’ai appris en apprenant les deux, c’est à comprendre le rôle des instruments dans la musique. Je pense que beaucoup de gens, lorsqu’ils apprennent leur instrument, se disent simplement : « Je joue de la guitare, voici les parties de guitare ». Ils n’ont pas conscience de ce que font les autres instruments ou comment ils fonctionnent ensemble.

Ce qui a été génial pour moi, c’est que j’apprenais l’arrangement sans même m’en rendre compte. Aujourd’hui j’y suis attentif et je suis reconnaissant de cette expérience.

 

Comment êtes-vous passé de ces débuts rock à l’exploration du jazz, du funk ou des styles expérimentaux ?

J’ai grandi à Minneapolis, j’y vis toujours. La plupart de mes mentors venaient de l’école de Prince, Paisley Park. J’ai donc grandi sous leur égide et celle du funk de Minneapolis. Il fallait être capable de jouer ce style, c’était obligatoire. Morris Day and the Time, Mint Condition, The Family… Dans ces groupes, beaucoup de ces musiciens étaient mes amis et/ou mes mentors.

 

Et pour la partie jazz ?

Mon père avait une énorme collection de disques et m’a intéressé au jazz en grandissant. Comme j’écoutais les Red Hot et Primus il m’a dit « OK, tu aimes les bons bassistes ? Laisse-moi te montrer Jaco Pastorius »

J’ai découvert la musique de Pastorius à 13 ans, ça m’a ouvert les oreilles et les yeux sur un tout nouveau monde sonore, d’options harmoniques, de mélodies et de prises de risque !

 

Tu as toujours travaillé, composé et joué en groupe. Quel impact ça a eu sur ta technique, pour trouver ton son ‘signature’ ?

Pendant longtemps, j’ai essayé de maîtriser mon art, d’être aussi bon que possible. Puis j’ai essayé d’imiter les maîtres, d’imiter mes héros. J’ai passé beaucoup de temps à essayer de ressembler à Prince, à Pat Metheny, à George Benson ou à Nile Rogers. Un jour, un de mes mentors m’a dit : « C’est super, mais on veut entendre comment tu sonnes »

J’ai commencé à me demander quelle était mon expérience de vie. Quelles sont mes influences ? J’ai grandi à Minneapolis, sur la scène funk avec une formation jazz, en écoutant les Chili Peppers, Weezer, Green Day et Blink-182. À quoi ressemble ma musique ?

 

Alors, comment as-tu trouvé ce qui faisait le ‘style Cory Wong’ ?

J’ai commencé à faire des choses avec mon instrument et les gens m’ont dit : « ça, c’est le truc que tu fais et que les autres ne font pas ». On jouait un gig par semaine dans un club de Minneapolis, Bunkers. Tous les membres de mon groupe à l’époque étaient des élèves de ‘l’Académie Prince’, sauf moi. Et Prince passait au club pour regarder le groupe jouer. Il venait traîner, s’asseoir, parfois jouer de la guitare et chanter quelque chose. C’était incroyable.

Ce soir-là il venait juste pour regarder. On a commencé à jouer et je me suis mis à jouer comme lui, dans le style de Prince. Mon batteur m’a crié dessus « Hé, arrête ça ! » alors que j’avais la sensation de tout déchirer. « Je te vois, t’essaies de faire du Prince. S’il venait ici pour entendre quelqu’un jouer comme lui, il jouerait lui-même sur scène. Il veut entendre comment TU joues. » Alors j’ai joué à la Cory Wong.

 

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Et qu’en avait pensé Prince ? 

Je suis sorti de scène et Prince m’a fait un signe de la main. Dans ma tête c’était : « D’accord d’accord, Prince m’appelle, bien sûr ». Il m’a dit « Hé mec, tu as une belle voix et un son unique. » Et je pense que ce compliment me portera pour le reste de ma vie. Dès que je me sens mal, je pense à ce moment. Et depuis, c’est un voyage incroyable.

 

Pendant vos lives, le public est souvent à fond. On a tous vu cette vidéo de ‘Dean Town’ au Maddison Square Garden, où le public chante chaque note de la partie basse. Ça procure quoi ce genre de moments, quand on est sur scène ?

C’est fou pour moi de savoir que j’ai des fans, des gens qui connaissent ma musique, dans le monde entier. Quand j’ai commencé, je me disais que ce serait génial de pouvoir faire des concerts de temps en temps, dans la région où j’habite. Au fil du temps et du succès, tu gagnes en confiance. C’est tellement drôle de venir en France… De jouer à l’Olympia ou la Cigale et de voir les gens chanter, voire crier ta mélodie et les parties de guitare et de basse pendant qu’on les joue, c’est fou.

La dernière fois où on a joué à la Cigale, on venait de finir de composer un morceau. J’en avais simplement partagé un extrait sur nos réseaux sociaux, le track n’était pas du tout encore sorti. Une semaine plus tard à Paris, le public chantait ce track avec nous.  J’ai trouvé ce dévouement des fans absolument incroyable.

C’est toujours un plaisir de pouvoir jouer pour un public qui est là pour l’art, pour le divertissement. Je suis très reconnaissant d’avoir des fans purs et durs.

 

La technologie évolue sans cesse et avec elle, la musique court après le progrès. Comment voyez-vous l’avenir de la musique à guitares, en parallèle de l’évolution technologique faite de machines, de compositions électroniques ou encore d’IA ? 

Historiquement, on a vu des instruments devenir à la mode, être en vogue pendant deux-trois décennies, puis disparaître. Par exemple, le saxophone a été partout pendant des décennies : pop, rock, big bands, musique populaire… Aujourd’hui c’est beaucoup moins le cas.

On a connu l’avènement de la guitare électrique dans les années 1950 jusqu’aux années 1990-2000 et maintenant elle est un peu moins présente. Bien sûr, elle est toujours là et de nombreux genres dépendent de cet instrument. Je ne pense donc pas que la guitare ou même que les instruments vont disparaître, mais je pense que leur rôle dans la musique pourrait changer. Cela fait partie de l’évolution de la musique.

 

Donc finalement pas besoin de s’écharper, les machines et les instruments ‘organiques’ pourront cohabiter ?

Les instruments ‘organiques’ offrent des possibilités que les instruments technologiques ne pourront jamais offrir. Si vous allez camper, autour du feu vous ne sortirez pas un PC et un DJ-set. Vous allez sortir une guitare acoustique. Je ne suis pas du tout en colère contre la technologie et les IA. Je suis optimiste et je pense qu’on peut trouver du bon partout. Tout ce qui est bon pour débloquer notre créativité.

 

Rendez-vous les 11 et 22 février, pour Cory Wong à l’Olympia

 

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