© PXHere

Et si le mash-up révolutionnait le rap français ?

Mélange d’un instru­men­tal avec les acapel­las d’un ou plusieurs morceaux déjà exis­tant, le mash-up séduit tou­jours plus les ama­teurs de rap français. Si la tech­nique peut s’apparenter à un exer­ci­ce de geek d’Able­ton ou de FL Stu­dio, cer­tains artistes se sont emparés du con­cept avec le plus grand sérieux, n’hésitant pas à rompre avec les codes de pro­duc­tion traditionnelle. 

Sur le Youtube français, c’est l’une des références du mash-up, le nom de ce pro­duc­teur malin ? PNL World. Des acapel­las de Orel­san et Angèle isolés puis assem­blés sur un instru­men­tal de drill anglaise ou PNL en col­lab­o­ra­tion avec The Week­nd don­nent lieu à de nou­veaux morceaux… Cer­tains de ses manip­u­la­tions font saliv­er, d’autres sourire tant les lignes artis­tiques des inter­prètes sélec­tion­nés diver­gent par­fois. Une chose est sûre, le tal­ent et l’audace y sont. À une péri­ode où le tra­vail des pro­duc­teurs est défi­ni par le nom des rappeurs — les instru­men­taux présen­tées sous le mod­èle ” types beats insér­er le nom d’un rappeur ” en sont la par­faite illus­tra­tion — PNL World bous­cule à sa manière la hiérar­chie implicite entre rappeur et beat­mak­er. Le Bor­de­lais sélec­tionne, pro­duit et con­stru­it ses morceaux comme il l’entend à par­tir de titres exis­tants d’artistes français. Cepen­dant la pra­tique reste “totale­ment illé­gale”. Les morceaux emprun­tés sont sous licence et les beat­mak­ers sur Youtube n’entreprennent qua­si­ment jamais les cou­teuses démarch­es d’obtention des droits. Les anglo­phones par­lent de “boot­leg” qu’on peut traduire par “pirate”. Si PNL World a la “béné­dic­tion” de cer­taines têtes d’affiche du rap en France (sans trop de sur­prise, notam­ment du duo PNL) pour emprunter leurs morceaux, son ambi­tion est ailleurs. “À l’avenir, je souhait­erais démarcher des artistes en développe­ment qui ont besoin de vis­i­bil­ité. À par­tir d’une palette de leurs acapel­las, je com­poserai un son avant d’en assur­er moi-même la pro­mo­tion sur mes réseaux.”

 

Les Daft Punk m’ont beau­coup influ­encé dans la con­struc­tion, la struc­ture etc… J’ai beau­coup écouté leur album Alive 2007 avec des mash-ups de leurs pro­pres morceaux, c’était ma référence.”

 

L’épopée du Grey Album du DJ et pro­duc­teur new yorkais Dan­ger Mouse pose les bases de l’engouement autour du mash-up. Le disque, entière­ment com­posé des paroles de Jay‑Z sur Black Album ajustées aux instru­men­taux de l’Album Blanc des Bea­t­les, sort en févri­er 2004. Le disque est com­mer­cial­isé sous l’accord d’exploitation du déten­teur des morceaux des Bea­t­les, EMI. Quelques tours devant la jus­tice auront rai­son de la dis­tri­b­u­tion du pro­jet de Dan­ger Mouse. Dom­mage pour la mai­son de disque, il est trop tard. Des cen­taines de mil­liers de copies cir­cu­lent déjà sur la toile. Le mou­ve­ment mash-up fonc­tionne et est écouté. Il ne manque plus qu’un pro­jet d’envergure pour con­quérir l’hexagone. Qui de mieux que les Daft Punk pour s’en charg­er ? “Les Daft Punk m’ont beau­coup influ­encé dans la con­struc­tion, la struc­ture etc… J’ai beau­coup écouté leur album Alive 2007 avec des mash-ups de leurs pro­pres morceaux, c’était ma référence”, con­fie PNL World.

Désor­mais, c’est au tour de jeunes pro­duc­teurs français d’assembler, dis­sé­quer et recon­stru­ire des morceaux cha­cun y allant de ses influ­ences entre rock, hip-hop, musiques élec­tron­iques etc… La méth­ode de tra­vail de PNL World est rodée. “Je réper­to­rie les sons dans un gigan­tesque tableau Excel con­stru­it sur deux axes, X et Y. Le pre­mier ren­seigne les gammes et les tonal­ités de chaque morceau et le sec­ond ren­seigne tous les BPM. Je sélec­tionne une zone où il y a une den­sité de morceaux de deux artistes que je souhaite mix­er entre eux. Je sélec­tionne des morceaux des artistes avec plus ou moins 15 BPM de marge de manœu­vre. Ensuite j’extrais les voix et je com­mence le tra­vail de pro­duc­tion de l’instrumental.” Le pro­duc­teur n’en dira pas plus, c’est à par­tir d’ici que la magie opère. Ses mash-ups trans­for­ment les morceaux jusqu’à faire pass­er des morceaux aux paroles pleine de nos­tal­gie et de mélan­col­ie pour des sons faits pour danser… Finale­ment, les rôles s’in­versent entre pro­duc­teur et rappeur. Le beat­mak­er décide de la direc­tion artis­tique. L’idée plait à PNL World qui rêve un jour de “ren­vers­er le sys­tème” dans le rap.

La direc­tion artis­tique passe entre les mains du beatmaker

Sto

© Mobiüs Visio

Le rappeur Sto a com­mencé à con­cré­tis­er cette démarche. Le mem­bre du col­lec­tif TNF a déjà lancé deux con­cours auprès des beat­mak­ers pour qu’ils pro­duisent un morceau à par­tir de ses acapel­las. S’en est suiv­ies de nom­breuses propo­si­tions et le pub­lic à tranch­er pour les morceaux fin­aux, “Mon­ey” et “Tim­ber­lake Remix”. Au-delà d’être une nou­velle manière de con­cevoir de la musique, “l’idée der­rière ces con­cours est de faire par­ticiper les ama­teurs comme les pros”, explique Sto. “Les derniers EP Remix sont issus d’une remise en ques­tion.” Le rappeur tour­nait en rond avec les straté­gies de com­mu­ni­ca­tion tra­di­tion­nelles. “Je voulais tester une autre façon de pro­duire et aus­si faire plaisir à la com­mu­nauté d’utilisateurs de Sound­cloud”, par­ti­c­ulière­ment pointilleuse sur le rap et à l’af­fût des futures têtes d’af­fiche et des prochains courants musicaux.

Les mash-up de Sto sont des tracks où le rappeur exploite des instru­men­taux de chan­sons préex­is­tantes. De Mobb Deep à Star­dust en pas­sant par The Black Eyed Peas, il a posé sa voix sur dif­férents tubes retra­vail­lés pour lui. S’ils amè­nent “une nos­tal­gie intéres­sante chez les audi­teurs”, ces morceaux, se bas­ant sur des sam­ples, ont aus­si un coût financier impor­tant. Les prob­lé­ma­tiques de droits d’auteur ont poussé le rappeur a arrêter ce for­mat de morceaux. Mais la machine est déjà lancée. Pas ques­tion de stop­per le mash-up en terme de tech­nique de pro­duc­tion. Sto tend à don­ner plus de vis­i­bil­ités aux pro­duc­teurs qui l’entourent. Sur Sound­cloud, leurs noms suiv­ent sys­té­ma­tique­ment le nom des morceaux. “Dans mon cas le beat­mak­er est essen­tiel, il fait 70% du taff et j’en suis con­scient. Je suis d’accord pour dire que les pro­duc­teurs doivent avoir une plus grande place dans le milieu musical.”

Pour­tant loin d’être le mod­èle de pro­duc­tion priv­ilégié chez les com­pos­i­teurs de hip-hop, le mash-up bous­cule les codes de pro­duc­tion et Inter­net. Avec 200 000 abon­nés à sa chaîne, un nom­bre de vues par vidéos allant de 2,4 mil­lions à 30 000 mais dont une bonne majorité dépassent la barre des 100 000 vues, PNL World illus­tre à mer­veille l’effervescence et la demande du pub­lic autour des mash-ups en France. Même son de cloche aux États-Unis, là-bas, c’est Play­boi Car­ti qui prête le plus sa voix aux mash-ups. Et pour cause, l’aisance mélodique du rappeur se prête par­faite­ment à l’exercice. Un pro­duc­teur et com­pos­i­teur comme Adri­an a ain­si dépassé la barre des neuf mil­lions de vues sur son morceau “7AM”. De cette notoriété, le pro­duc­teur en a tiré une col­lab­o­ra­tion avec la rappeuse de Man­ches­ter IAMDDB sur le morceau “Quar­an­tine”. Plus qu’un effet de mode, il s’agit aus­si de tir­er leur carte du jeu pour les beat­mak­ers. En France, les autres pro­duc­teurs phares de mash-up se nom­ment BNVSK8, LEOKUMO ou Sim­courbe… Une des raisons de leur suc­cès ? “Le pub­lic appré­cie le con­traste entre les pro­duc­tions et la façon de rap­per des artistes”, sup­pose Sto. Totale révo­lu­tion ou légère évo­lu­tion des pra­tiques de pro­duc­tion, tant que le mash-up per­met de créer du con­tenu artis­tique inno­vant et qui sort des codes ordi­naires qui s’en plaindra ?

(Vis­ité 757 fois)