Gwendoline, le rock breton amer
Taillé dans la morosité embellie, le deuxième album du duo rock breton, Gwendoline, C’est à moi ça, est une petite claque qui entre en résonnance, presque malgré lui, avec le climat social actuel. Une décharge poétique brute et grave, un disque qui fait mouche là où tant d’autres se sont plantés en beauté.
Article rédigé par Brice Miclet dans le Tsugi 168
Ça schlingue, c’est gris. Le fond d’air est bourré de Covid et la gueule de bois difficile à gérer. La veille, le 19 décembre 2023, aucune fête, pourtant. Mais l’alliance idéologique entre le gouvernement macroniste, Les Républicains et le Rassemblement national est parvenue sans peine à faire adopter à l’Assemblée sa loi immigration, mettant en place le conditionnement des aides sociales, un grand pas vers la préférence nationale, les quotas migratoires et la déchéance de nationalité. Le lendemain, il faut quand même bosser, malgré le réveil difficile et la radio qui crache les explications hasardeuses de la Première ministre d’alors, Elisabeth Borne.
Un café tout de même, l’ordinateur qui s’allume, un lien dans la boîte mail, un clic, et une voix, morne mais belle, qui retentit : « Arrêtez de critiquer, retournez dormir, allez travailler, retournez dormir, vive la Nation, vive la Légion. » Derrière, une nappe inquiétante et un kick entêtant, froid, avant que les guitares n’explosent. C’est le deuxième album du groupe breton Gwendoline, intitulé C’est à moi ça. Il vient se lover, parfaitement, curieusement, dans l’ambiance nauséabonde du moment, sans redonner espoir, mais comme accompagnant la chute de la plus belle des manières : « Ça ne m’étonne pas que ça fasse écho à tout ça », explique plus tard Pierre Barrett, moitié du duo.
« Le climat est bien anxiogène. Disons qu’on recrache aussi ce merdier.«
Gwendoline : viser juste
Il y avait eu un premier album, Après c’est gobelet !, qui les avait tranquillement installés sur la scène rennaise et au-delà. « Il a été enregistré pendant l’avènement de Macron, se souvient son camarade Micka Olivette. Notre musique n’est pas vraiment politique, mais elle résonne avec le climat social. » Sorti uniquement sur Bandcamp sans promo, « juste pour faire marrer les potes« , usant de jeux de mots tels que « Audi RTT » ou « Chevalier Ricard », il était republié début 2022 de façon plus officielle et structurée, emmenant les deux potes en tournée, en promo, sans qu’ils n’aient planifié ou réellement voulu quoi que ce soit.
Aucune ambition. « On ne voulait même pas faire ce premier album, avoue Pierre. On a juste enregistré un morceau au début, puis deux, puis trois, et à la fin il y en avait neuf. Il fallait trouver un nom de groupe, on en a trouvé un, et l’histoire aurait dû s’arrêter là. » À force de concerts dans la région rennaise, voilà les Gwendoline repérés par les grands manitous des Trans Musicales et envoyés dans d’autres sphères, surtout après leur signature sur le label Born Bad Records. Deuxième album, donc, bien plus attendu que le premier, qui lui ne l’était pas.
Forcément, difficile pour le binôme de se remettre à écrire et à composer tout en sachant que, cette fois, il sera écouté, et pas qu’un peu. « Il y avait de l’attente… Au début, on essayait de refaire le premier album, se souvient Pierre. En tout cas de garder la même ambiance, de rester fidèles à nos débuts. On se mettait beaucoup de contraintes, de censure, ça ne fonctionnait pas du tout, c’était compliqué. On tentait de reprendre la même recette, sauf qu’on n’avait plus envie de raconter ça. Mais on est parvenus à passer outre, à se défaire de tout ça et à partir sur autre chose. »
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Autre chose, c’est, certainement, une ambiance qui prête moins à sourire, un air plus grave, qui met en exergue la fascination inavouée de notre société pour le fascisme, dépeint les campings géants dans un naturalisme froid, la complexité des sentiments amoureux parfois, terriblement ironique, et ce phrasé presque parlé qui chevauche un post‑punk tendance cold‑wave électronique. Combien de groupes ont tenté ce mélange en se ridiculisant ? Eux visent juste.
Ville qui change et changement de ville
C’est donc à Rennes que Gwendoline a vu le jour. Avant, Pierre, originaire de Nantes la voisine, était cuisinier. « Je ne voyais plus personne. Je sortais tout seul le samedi soir, je rentrais le lendemain à 15 h, je dormais, et le lundi je retournais au travail. Ça a duré deux ans. » Micka, lui, pur produit de la capitale bretillienne, lâche le nom de son ancienne activité avec une morosité involontaire, mais franchement palpable : « pion à Tinténiac« , un bled du coin, plutôt joli d’ailleurs.
Il habitait au sud de la gare rennaise, dans ce quartier en pleine mutation, faisant du rade du coin, Le Terminus, son repère, puis celui du duo. « J’avais un rapport hyper fusionnel avec Annette, la tenancière. J’y allais très souvent. C’était une relation amicale et les gens qui s’y retrouvaient étaient touchants, avaient tous des histoires de vie. C’était beau. Et ça se perd. Les propriétaires historiques revendent ces lieux à leur retraite et sont remplacés par un gars qui a déjà cinq ou six bars, qui met des employés dedans et ne vient jamais. » La gentrification rennaise, phénomène bien connu des locaux, est à l’œuvre.
Sur la pochette de leur nouvel album, C’est à moi ça, les Gwendoline apparaissent visages cachés devant une masse bétonnée surplombée d’un clocher mordorien. On reconnaît instantanément l’église Saint-Louis à Brest, symbole de la reconstruction des années 1950, de cette architecture dure et usuelle ayant pansé les stigmates de la guerre, des bombardements. Ville juchée au bout du monde, là où l’on ne passe pas mais où l’on va, dans laquelle Pierre et Micka ont récemment élu domicile, par envie de changement, par amour un peu, et aussi pour fuir l’inarrêtable embourgeoisement rennais.
Autre ambiance, autres rades, autres repères, et autre musique, donc. Toujours à deux, histoire de ne pas se perdre dans la déprime environnante. « Humainement, ça fait du bien de ne pas être seul, conclut Pierre. Aller jouer ensemble, voir que des gens, des inconnus, viennent voir ça en concert, c’est rassurant. » Un peu.