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©Yohann Cordelle
23 avril 2024

Smeels, l’homme qui murmure à l’oreille des producteurs | INTERVIEW

par Tsugi

Minimum syndical pour les autres, j’ai la dalle, j’veux tout.” Citation piochée à la source dans « Goldie » de Smeels, preuve sans équivoque des hautes ambitions de l’artiste, dans son nouveau projet intitulé GLOF. Dès le début – et ce jusqu’à la fin de son nouvel EP – Smeels pose les bases de son état d’esprit : la tête sur les épaules, il sait où il veut aller, après trois ans d’absence.

Article rédigé par Mohamed Bensafi

 

Cette période semble avoir été riche pour le Bordelais, à mesure que l’on découvre l’éclectisme artistique de GLOF. Aux productions, on retrouve Paul Dumas et Twinsmatic : deux compositeurs en phase avec l’univers de Smeels. Entretien avec un artiste pleinement conscient des dangers de l’industrie musicale, amoureux des prods et prêt à marquer 2024 de son empreinte. « Je suis né au Cameroun. Je suis arrivé à Paris quand j’avais cinq ans. Ensuite Marmande, Bordeaux au lycée et un BTS MUC. Je l’ai fait pour ma mère, parce que je m’en foutais de l’école. »


Quelle place occupait la musique avant tes 19 ans ?

Je ne peux pas te faire le discours mytho, dire « j’ai grandi dans la musique » alors que ce n’est pas vrai. Ma mère écoutait beaucoup de chansons du bled*. Sa chanteuse préférée c’était Charlotte Dipanda, artiste que j’écoute encore : réécouter de vieux morceaux, ça développe les souvenirs. Au collège, c’était beaucoup Booba, Rohff, mais ce que j’adorais par-dessus tout, c’était Sexion d’Assaut. A l’époque, j’écrivais des textes ‘vraiment’ rap.

*Le Cameroun, donc

 

Tu as une de tes phases en tête ?

J’avais sorti “Lunettes Cartier, gold chain on my neck, tu parles sur TV7 nous on est écouté sur Namek.” C’était vraiment très ‘Sexion’ : tu finis avec les mêmes syllabiques. Au lycée, j’écoutais vraiment de tout et j’ai commencé à faire de la musique, sans jamais la poster.

…Pourquoi ?

Parce que les enfants sont cruels, mec.

 

Smeels

©Yohann Cordelle

Quel était ton rapport au regard des autres, à ce moment-là ?

Il dépassait mes propres prises de position. Je n’avais pas encore fait le travail de m’émanciper du regard des autres et de penser par moi-même. J’avais une seule hâte, finir l’école. Et aux premières grandes vacances à la fin de mon BTS, j’ai envoyé. J’ai fait des petits boulots pour acheter du matériel avec un ami, Yeong Michin. Il regardait des tutoriels pour faire des prods et je cherchais comment enregistrer, faire les tranches de consoles, les presets… On a mis tout le matériel dans son appart. Globalement, mes titres les plus connus ont été faits là-bas.

 

Ce n’était pas trop tard pour commencer la musique ?

Non, parce que je n’avais pas cette règle-là.

 

Mais d’où vient cette idée qu’il faudrait commencer jeune ?

Inconsciemment, à ces âges-là, tu te dis que tu as le droit d’échouer. Ton subconscient te dit “pas de loyer à payer, pas de responsabilités”. Quand tu arrives à un certain âge, tu flippes un peu plus et tu te dis “je vais me lancer dans une carrière incertaine, alors qu’il faut ramener de l’argent ?” Un point important, c’est que mes parents ont toujours été détendus au sujet de mon avenir. Exemple, si j’ai envie d’aller faire de la capoeira au Brésil, ma mère ne va pas me dire “qu’est-ce que tu me racontes” mais plutôt “ah lourd, bah vas-y envoie moi des photos” !

 

Qu’est-ce que tu préférais le plus quand tu as commencé la musique ?

Pour tout te dire, ce n’était même pas le fait de sortir des titres. Moi, c’était le mix. C’est la partie aujourd’hui que je préfère, encore aujourd’hui. Parce que c ‘est là que la magie opère et que tu peux être amplement satisfait. J’étais fasciné par deux trucs: enregistrer et mixer. Et mon pote faisait les arrangements. On prenait aussi des samples de sons déjà connus, et on les modifiait.

 

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Tu mets le producteur sur un piédestal dans ton processus créatif. Est-ce que tu penses que c’est un métier sous-coté ?

Je nous mets exactement au même niveau. On se complète car nos créativités sont différentes. C’est un travail qui manque de lumière.

 

Sur ce projet, tu as travaillé avec Twinsmatic et Paul Dumas. Comment est née cette collaboration ?
Pour Twins il faut remonter à 2020, sur l’EP Very Bad Drip. Je reçois le message d’un certain Ben… Eros, mon manager à l’époque, me dit que Ben est le manager de Twinsmatic. Le courant est passé dès les premières minutes : trois notes de piano ont suffi ! Pour Paul, il était au studio avec Twins. On bossait sur un titre et il a rajouté de la guitare. On s’est tout de suite bien entendus.

…Et comment vous travaillez ?
Je les appelle pour une session studio. Ils me font écouter des trucs qu’ils ont déjà fait. Quand Twins commence à composer, il fait juste un sample et je fais pratiquement toute la mélodie dessus. Pendant que je suis en train de poser, il ajoute des éléments. On n’a même pas fini la prod, qu’il compose en même temps que je pose ! On capture l’énergie du moment. Une fois qu’on a la base, on peaufine. Et depuis qu’on bosse comme ça, on a des morceaux authentiques. Ça a vraiment été fait avec les tripes, pas avec une stratégie commerciale.

 

En t’ouvrant à des collaborations, n’as-tu pas peur de perdre ta manière de penser de tes débuts ?
Non, parce qu’on est pareils ! Je peux ne pas parler avec Twinsmatic pendant trois mois, on n’a pas besoin de se voir H24 : on se sait. Là où on est similaires, c’est qu’on a les mêmes réticences, les mêmes attentes. Et on sait dans quelles directions on peut aller ou non.

 

Les mêmes attentes, sur le plan musical ?
Sur le plan industriel, musical, humain… L’industrie, c’est un peu devenu de la merde.

…Tu veux en parler ?
Après, tout le monde le sait. Le côté business a dépassé l’humain, il faut l’accepter. Pour avoir vu l’industrie, il y a très peu de gens à qui tu peux vraiment te lier. Ce peu-là me suffit pour pouvoir avancer. C’est la loyauté que je cherche. Je parle plutôt pour les petits artistes qui commencent. Il faut arrêter de mettre sa santé mentale -et même physique- en jeu. Soyez éveillés les mecs, ne mettez pas d’affect. Si je fais vingt ventes, ce n’est pas grave. Je le pense vraiment. C’est pour ça que je me dis que je suis encore plus fou aujourd’hui qu’à l’époque.

 

smeels

©Yohann Cordelle

Sur ce projet, la prod semble être le noyau dur de la majorité des morceaux. Ta voix fait office d’accompagnateur. Pourquoi est-ce si important pour toi d’être un ‘plugin supplémentaire’ ?
Quand un producteur est dans son processus créatif, je le respecte. Je ne touche pas la prod. Je la prends et j’essaie de lui apporter mon énergie.

 

Tu arrives à sentir le moment où tu dois laisser couler la prod, lorsque vous composez le son en live ?
Je le sens au moment de chercher la mélodie. Je pense ‘live’ aussi. Je n’ai aucun problème à mettre un pont de 3 mesures seulement pour la vibe, avec seulement des backs, de l’ambiance. Pour moi, il ne faut pas saturer une prod avec des informations.

 

C’est quoi “faire du Smeels” ?

C’est vrai que j’avais dit ça à l’époque, j’suis un ouf. Mais dans la manière de travailler le morceau -si tu prends pour référence le paysage musical français- je suis sûr et certain qu’il n’y a quasiment personne qui fait ce que je fais.

 

Ok, mais tu te définis comme rappeur ?
Non. Ce n’est pas du rap. Je n’ai pas encore trouvé le terme. Dans le dernier projet, ‘Goldie’ oui, c’est un tout-droit. ‘Les métaux’ aussi, c’est très Toronto. Mais je ne suis pas un enfant du rap.

 

Dans ‘le fil’, et ‘Jamais sous l’eau’, on sent une influence pouvant s’apparenter à l’univers large et divers que représente la musique électronique…
Il y a quelque chose. Ce qui fait vraiment la magie, c’est le synthé. Dès qu’il y a du synthé, tu mélanges tous les artistes : Brodinski, Kavinsky… J’aimerais travailler avec des mecs qui sont vraiment dans l’univers électronique. L’occasion ne s’est pas encore présentée. Twins a des petits projets électroniques en cachette qui sont vraiment pas mal… Je me verrais bien poser sur un de ses sons.

 

La durée moyenne d’un titre sur ton projet, c’est 2 minutes 30. Faut-il faire plus court pour capter l’audience ?
Ce n’est pas une question de capter l’audience, c’est déjà réussir à me capter. Un titre de trois minutes, ça m’ennuie. Je suis pour la mort du deuxième couplet.

…C’est aussi un phénomène générationnel.
Ouais. Il y a trop de musique, trop de titres, trop de sorties. On est dans une ère de fast food music.

 

Le projet de Smeels est disponible sur toutes les plateformes. Des live-sessions sont également prévues.

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