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© Tony Altermatt
28 mars 2024

Lakna, déferlante suisse du R&B | INTERVIEW

par Léa Crétal

Amateurs et amatrices de r&b : ne cherchez plus, la relève de la scène francophone est bel et bien là, et porte le nom de Lakna. Originaire de Suisse et fraîchement installée à Paris, l’étoile montante du r&b et de la neo soul nous a parlé de son dernier EP (UTC-O), de la place du métissage dans ses textes, de ses coups d’audace et de son imminent voyage musical au Ghana. 

Il y a chez Lakna un petit quelque chose de magique, qui marque naturellement l’esprit de celui ou celle qui l’écoute. La recette : des textes sensibles, une voix puissante et ultra-maîtrisée, ainsi qu’un groove irrésistible, inspiré de la soul et du r&b.

Originaire de Lausanne, la chanteuse suisso-burkinabée a récemment posé ses bagages dans le XIXe arrondissement de Paris, pour entamer un nouveau chapitre de sa carrière. Déjà passée par les plus grandes scènes de Suisse (dont le Montreux Jazz Festival), Lakna part désormais à la conquête des scènes françaises, sur lesquelles elle compte bien déferler et déverser son énergie bouillonnante. On a tenu à échanger avec cette chanteuse magnétique au futur prometteur.

 

Tu viens de quitter Lausanne pour emménager à Paris. Comment se passent tes débuts parisiens ? 

Ça se passe bien. Je viens de me promener pendant trois heures avant de venir ici. J’adore, je me sens comme dans un film. Je trouve même que c’est sympa de voir les gens qui s’insultent pour l’instant. Mais je sais que ça ne va pas durer (rires).

 

lakna

Lakna © Tony Altermatt

Pourquoi avoir quitté la Suisse ? 

D’abord parce que j’ai changé de management il y a quelques mois. Maintenant je suis accompagnée par Ama, qui est basée à Paris. Ensuite, je trouve qu’en tant qu’artiste, tu atteins vite le plafond de verre en Suisse, étant donné que c’est un petit pays. Tu as rapidement accès aux grandes scènes et donc, à un moment donné, tu ne sais plus quoi faire après. Personnellement, du côté francophone de la Suisse, j’ai fait les principaux festivals et les grandes scènes, comme le Montreux Jazz Festival. J’avais envie de changer. Et puis je trouve qu’en France, il y a un rapport différent à la culture, par rapport à la Suisse. C’est vraiment central ici.

 

Tu es suisse mais également burkinabée. D’ailleurs, le métissage est un thème qu’on retrouve dans ta musique. Comment t’en inspires-tu ? 

Quand tu es une personne métisse, tu grandis toujours avec le flou de ne pas savoir d’où tu viens. Il y a un an, grâce au mouvement afro-féministe et à mes lectures, j’ai réussi à mieux verbaliser ce sentiment. À ce moment-là, j’ai remarqué que personne ne parlait de métissage sans tomber dans un pathos dérangeant. Je dis ‘dérangeant’ dans le sens où ça reste toujours plus compliqué pour les femmes noires que pour moi, qui ne sait ‘juste’ pas d’où je viens. Mais ça reste une expérience difficile, que je voulais raconter dans ma musique.

 

C’est une question que tu as notamment beaucoup abordée dans ton dernier EP (UTC-O). Peux-tu m’en dire un peu plus à propos de ce projet ? 

(UTC-O), c’est un projet posé et introspectif, qui porte le nom du fuseau horaire du Burkina Faso. Je voulais y aborder les thèmes du métissage et de la décolonisation, comme dans les morceaux ‘Lait de Coco‘ et ‘Solo de Sax‘. Sur la chanson ‘Sans Ecran‘, j’ai réalisé une collab’ avec Malcolm. Dans le clip, j’ai voulu nous immerger au cœur des montagnes suisses pour mettre en avant le sujet de la double culture. Il y a aussi ‘Tetris‘, un morceau plus subtil qui parle des hommes fétichistes. C’est pour ça que je cite Vincent Cassel.


Tu viens également de compléter l’EP avec un nouveau single, sorti vendredi dernier et intitulé ‘Depuis que t’es plus là’. 

Oui! C’est un titre bonus de l’EP, qui se rapproche de la chanson française, et qui parle de la mort. En fait, j’ai une peur phobique que mes proches meurent. Dès que quelqu’un part, je me dis qu’il ou elle va mourir. Donc je me suis dit que j’allais écrire un son sur le chagrin, comme si j’avais perdu quelqu’un. L’idée m’est venue d’une chanson de Nino Ferrer, ‘La Rua Madureira‘. Elle raconte l’histoire d’un amour brisé par la mort de la personne aimée, sauf que c’est fictif, ça n’a jamais eu lieu. Je m’en suis inspirée, et je me suis projetée dans la douleur que ça me provoquerait. Le clip a été réalisé par Lucas Perrin, mon meilleur ami.


À propos de peur, dans l’un de tes derniers post sur les réseaux sociaux, tu as dit avoir peur de « ne pas vivre assez ». Cette peur est-elle un moteur ou un frein chez toi ? 

C’est clairement un moteur. Quand j’étais petite je voulais toujours sauter plus haut et aller plus loin, malgré la peur. Je prends plaisir à ressentir ce sentiment, et à oser quand même. Ça me fait avancer. D’où mon amour pour la scène.


Tu parles d’audace finalement. Oser malgré les risques. Il parait même que tu as inventé un faux manager par le passé. C’est vrai ? 

Oui (Rires). Quand j’ai commencé la musique en 2020, personne ne m’a donné l’heure, en comparaison à d’autres artistes, pour la plupart blancs, qui avaient directement un entourage professionnel. Moi, j’avais beau remplir des salles et faire des scènes où tout le monde sautait, je ne recevais pas un seul coup de téléphone. J’ai commencé à penser que c’était peut-être parce que je me vendais mal moi-même, et donc que personne n’avait envie de croire en moi. Du coup, j’ai pris le nom de mon ex -qui avait un nom qui sonnait très ‘manager’ (rires)– et j’écrivais aux festivals ‘Bonjour, je représente la nouvelle artiste suisse Lakna…’, mais en réalité c’était que du vent.


Tu as réussi à obtenir des dates grâce à ça ? 

Franchement, oui! J’avais trouvé des bookings, notamment en festivals. Je crois que j’ai obtenu au moins huit dates. Mais après, il y a eu la crise du COVID-19.

 

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Ton père est griot. C’est un messager de la tradition orale en Afrique de l’Ouest, à mi-chemin entre le poète et le musicien. Est-ce que tu as été bercée par ses histoires quand tu étais petite ? 

Alors d’abord, il faut savoir que les histoires de mon père ne parlent que de la mort. Dès qu’il t’en fait la traduction, c’est horrible (rires). Ensuite, je ne parle pas dioula (langue nationale du Burkina Faso), donc il ne m’a pas vraiment conté les histoires. Mais je les ai entendues.

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Lakna © Tony Altermatt

J’imagine que tu as tout de même grandi dans un environnement qui accordait beaucoup de pouvoir et de force à la parole. 

Oui, d’autant plus que la tradition des griots est héréditaire. Ma grand-mère elle-même était griotte. Quand j’étais petite, elle a demandé à mon père « Pourquoi tu ne lui apprends pas ? » Il avait répondu : « Elle va chanter à sa manière, chez nous c’est dans le sang. » En plus « Lakna » ça signifie « ce que dieu veut dire ».


Stylistiquement parlant, il y a un élément notable chez toi : le coquillage cauri que tu portes au front, comme bijou de visage. Quelle signification a-t-il pour toi ? 

Il me protège et représente la chance et la féminité. Le mien est coupé, mais normalement, l’un des côtés du cauri est rond, comme un ventre de femme enceinte. Si j’en porte un, c’est déjà parce que j’aime beaucoup. Mais en plus, en tant que métisse, on ne me reconnait pas, on me confond avec les autres métisses. Avec mon cauri, les gens n’ont pas d’autre choix que de me reconnaître, je suis la métisse avec le coquillage sur le front.

 

Qu’est-ce que tu prévois pour la suite ? 

Il va y avoir un prochain EP. Il s’appellera (GMT+1), comme le fuseau horaire de la Suisse. Ce sera une sorte de réponse à (UTC-0), qui était plutôt axé sur des sonorités occidentales. (GMT+1) sera plus afro, plus solaire. Il y aura de l’amapiano. Dans deux semaines, je pars au Ghana pour travailler dessus avec des producteurs sur place. J’ai envie de rythmiques plus traditionnelles, tout en gardant un aspect moderne!

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